« Mon quotidien, c’est appeler des lycées tous les jours »

Alors que près de 12 millions d’élèves ont repris le chemin de l’école lundi, plusieurs milliers d’enfants sont restés sur la touche. Outre-Mer, mineurs étrangers, redoublants sans affectation, voie professionnelle ou élèves en situation de handicap : cette année encore, l’école de la République ne semble pas ouverte à tout le monde.

Cette semaine, 11.997.900 élèves retrouvaient les salles de classe tandis que d’autres se retrouvaient sans affectation, contraints de regarder leurs camarades de loin. D’après des données du ministère de l’Éducation, l’an dernier, 17.832 élèves étaient sans classe à la rentrée. Un chiffre déjà en augmentation de 33% par rapport à l’année 2021. La Défenseure des droits, Claire Hédon, dénonçait déjà cette situation. En 2023, cette dernière tire à nouveau la sonnette d’alarme en interpellant le ministère de l’Éducation et en pointant plusieurs cas urgents dans un communiqué publié de 31 août.

Double peine pour les enfants en situation de handicap

En France, l’accueil des élèves en situation de handicap présente de réelles carences. Le manque de moyens matériels et humains ainsi que l’absence de formations de qualité et d’aménagements propices éloignent toujours plus les enfants dont la présence à l’école nécessite une organisation particulière.

Comme nous le mentionnions dans un précédent article, l’UNAPEI (réseau d’associations de représentation et de défense des personnes atteintes d’un trouble ou handicap) indiquait dans une enquête du 29 août que sur 2000 enfants recensés pour l’étude, 23% n’ont aucune solution de scolarisation et 28% passent moins de 6 heures à l’école. Ce problème a notamment été souligné au mois de juin par le Comité des Droits des Enfants de l’ONU qui a demandé à la France de développer l’inclusion de ces élèves.

École pour tous ?

Les enfants en situation de précarité sont également un public souvent exclu. Pourtant, il est tout à fait illégal de refuser de scolariser un enfant, qu’il soit issu de la communauté des Gens du voyage, hébergé par un organisme social ou en occupation illicite d’un lieu. Les enfants s’inscrivant dans un contexte de conflit avec la loi peuvent eux aussi rencontrer des difficultés, notamment ceux vivant en centre de détention pour mineurs.

Pour les étrangers aussi, le chemin est semé d’embuches. Les difficultés apparaissent par exemple pour les inscriptions. Les mineurs étrangers peuvent mettre jusqu’à 6 mois à s’inscrire et arriver en classe seulement après que la moitié de l’année scolaire soit déjà écoulée. Ces derniers peuvent ensuite intégrer des UPE2A (Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants) bien que les places soient parfois insuffisantes selon la Défenseure des droits.

Le scandale des Outre-mer

Il y a l’eau, le logement, la santé et l’éducation. Comment expliquer que sur un territoire de la République, les populations et les services publics soient bien plus pénalisés que dans les autres départements? Le taux de non-scolarisation est de 8 points supérieur à celui de l’hexagone en Guyane avec près de 10 000 enfants concernés. À Mayotte, la Défenseure des droits s’inquiète de voir leur nombre « estimé à plus de 15 000 ».

Laissés sur le carreau

En parallèle de ces problèmes d’intégration de tous les enfants dans le système scolaire, il y a celui de la non-continuité de certains parcours. Des élèves sortant du collège ne trouvent pas de place en seconde, particulièrement dans la voie professionnelle avec en cause, un défaut total d’anticipation dans la prévision des effectifs et l’affectation de moyens adéquats. Pour le gouvernement, si l’inscription dans le lycée de secteur ou la réinscription dans l’établissement d’origine est un droit, l’exercice de celui-ci est limité par les capacités d’accueil.

Ainsi, on fait aussi état d’élèves de seconde qui ne trouvent pas d’affectation en première, notamment dans les filières technologiques STMG (sciences et technologies du management et de la gestion). Sans oublier celles et ceux qui, après un échec au bac ou au brevet, se voient refusé le redoublement dans leur établissement ce qui est pourtant de droit. En effet, pour le lycée, l’article 331-42 du code de l’éducation prévoit que les élèves ayant échoué à l’examen du baccalauréat disposent d’un droit de suivre une nouvelle préparation en classe de terminale dans leur lycée d’origine dans la limite des places demeurées vacantes après l’inscription des élèves de classe de première de l’établissement.

Passer la seconde sur les 3ème

Les 3ème oubliés, « ce sont des élèves qui n’ont pas eu d’avis favorables pour le lycée général, qui doivent donc aller en lycée professionnel mais ces filières les refusent car elles ont déjà rempli leurs classes avec des élèves possédant de meilleurs dossiers. », résume Frédéric Campguilhem de la CGT Éduc’Action 63. Pour la seule ville de Clermont-Ferrand, un recensement des établissements le 1er septembre aurait permis de comptabiliser une centaine d’élèves sans affectation après la 3ème.

Pourtant, hier matin, au micro de France Bleu, le recteur de l’académie de Clermont-Ferrand semblait confiant quant à ces questions. Il déclarait : « Nous avons la chance, sur le territoire, en Auvergne, d’avoir une offre scolaire qui est à la hauteur des besoins donc effectivement, on a plus de latitude pour que chaque élève trouve l’affectation de son choix, donc c’est vrai qu’on est sur des situations très très marginales et je crois qu’aujourd’hui, chaque lycéenne ou lycéen a pu trouver une affectation qui lui convienne. ».

« Nous, on le lie directement à la politique déployée dans l’Éducation nationale. On a cassé les lycées professionnels, les CAP, les classes de 3ème et ça donne ça. Il faut rouvrir des CAP, des classes en lycées professionnels, recruter des professeurs et ouvrir des classes au collège pour accueillir ceux qui veulent redoubler. », explique Frédéric Campguilhem.

Parcours du combattant

Cette situation, Inès la supporte depuis plusieurs mois maintenant. La jeune fille a 15 ans. L’an passé, elle était en troisième. C’est aussi l’année où elle a perdu son père. Une année pas comme les autres donc, pas avec les mêmes chances que les autres. Les cours, c’est compliqué. Gérer tout ça et la fatigue. Ce qu’elle voudrait, c’est aller en seconde générale. Continuer un peu plus loin.

Mais à la fin de l’année, Inès n’a pas son brevet. Est-ce un crime ? Elle n’est ni la première, ni la dernière. On lui dit que pour la seconde, c’est râpé. Il faut aller en lycée professionnel. Seul problème, il n’y a plus de place.

« La scolarité en 3ème a été compliquée. Les 2008-2009 comme elle ont connu le covid en 6ème avec beaucoup de manquements qui se retrouvent en 3ème. Là, elle a manqué beaucoup de cours. Elle n’était pas admissible en 2nde générale. Mais pour le lycée pro, ce sont des filières très demandées, il n’y a pas de place. », explique sa maman.  

Alors lundi, lorsque ses ami.e.s retournent en cours, Inès est chez elle. La seconde, pas possible. Le lycée pro, pas de place. Redoubler, plus de place non plus dans le public. Payer pour redoubler alors que ce n’est pas son choix et en plus devoir le faire dans le privé ? hors de question pour la famille.

Des centaines par département

« Ma fille n’a pas d’affectation. On est dans l’attente. La 3ème, c’est pire que Parcoursup, il faut une quinzaine de vœux pour être sûr, elle l’a fait mais elle est en liste d’attente partout. Mon quotidien, c’est appeler des lycées tous les jours, embêter les étudiants qui bossent en vie scolaire et qui ont autre chose à faire. Tous les enfants sont rentrés cette semaine mais pas Inès. Elle a déjà passé une période très difficile, là, au lieu de rentrer dans une dynamique, elle se retrouve dans le même état d’esprit qu’il y a quelques mois. Même pour moi, laisser sa fille pendant qu’on va au boulot, c’est pas évident. », confie Émilie.  

Elle et sa fille ont fait des demandes dans tout le département. Inès a 15 ans. L’instruction obligatoire s’applique encore dans son cas. Lorsque sa mère entend les propos du recteur, elle s’étrangle. Non, tous les élèves n’ont pas d’affectation et c’est une atteinte directe aux droits des enfants.

Atteinte aux droits

Les articles 28 et 29 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, ratifiée par la France garantissent en effet à chacun le droit à l’éducation. Toutes ces situations, si elles sont un parcours du combattant administratif, représentent aussi un impact considérable sur le moral et l’état d’esprit des élèves concernés. Isolement, remise en question, réorientaions subies, redoublements forcés, éloignement et adaptation du quotidien ou encore décrochage scolaire, la liste est longue.

Le jour de la rentrée, UNICEF France adressait une lettre ouverte à la Première ministre Élisabeth Borne contre la non-scolarisation. De son côté, la Défenseure des droits rappelle que « l’accès à l’éducation pour tous les enfants ne peut être une variable d’ajustement des contraintes budgétaires et matérielles, alors même que la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), que la France a ratifiée, consacre un droit inconditionnel à l’éducation. L’effectivité de ce droit est un impératif. A cet effet, elle invite les élèves et leurs représentants légaux à saisir l’institution de toute situation qui entraverait l’accès d’un enfant à l’éducation. »

Les nombreux délégués présents localement partout en France peuvent servir de relai. Dans une décision que Claire Hédon a rendu le 6 juillet, cette dernière établit une liste de recommandations adressées au ministère de l’Éducation. Elle invite notamment le ministre Gabriel Attal à fournir d’ici le 11 septembre, « les éléments chiffrés relatifs aux élèves sans affectation au lycée dans les filières générale, technologique et professionnelle, au 4 septembre 2023, jour de la rentrée scolaire. »

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