L’outrage de la tristesse

Ce mardi 7 juin, Eric était convoqué au tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand pour outrage à agent. Une affaire qui date de mars 2021, un jour de grand froid. Récit.
De la simple vérification à la garde à vue

En ce 7 juin 2022, un repas partagé est organisé devant le tribunal. Des militants sont venus soutenir Eric, enseignant d’histoire-géographie, accusé d’avoir eu des propos outrageants face à un policier, en mars 2021.

Eric sortait alors de trois semaines de grève de la faim pour protester contre le sort réservé à Madama. Depuis deux ans, ce jeune malien vivait avec Eric et Véronique, sa compagne. Un agriculteur le prenait en apprentissage pour la culture de lentilles. L’avenir semblait enfin radieux pour ce jeune homme qui avait fui l’épouvantable de son pays. Depuis quelques mois pourtant, la justice française prétexte les faux papiers du jeune migrant pour signifier son illégalité sur le sol français.

Et, en mars 2021, alors qu’il pense être convoqué à Gerzat pour une simple vérification, il sera mis en garde à vue. Ses parents de cœur attendent dans le froid, grillant des clopes pour simuler un quelque réchauffement. Ils sont eux aussi entendus. Les papiers de Madama seraient des faux. Ils répondent avec courtoisie aux interrogatoires, expliquent, racontent. Ils sont dehors. Madama, lui, ne sort toujours pas.

Ils ne partiront pas. Le couple d’enseignants veut des nouvelles. Avec eux, deux militants restent pour les soutenir.

Leur fils en centre de rétention

Un policier finit par leur faire signe. Eric et Véronique se précipitent. le policier leur dit alors que Adama a été envoyé en Centre de Rétention à Lyon. Il va bientôt prendre un avion pour son pays d’origine. Véronique se met à pleurer, s’effondre.

Eric perd son calme devant le policier qui leur parle avec la froideur de la météo du jour. Il ne se souvient pas des mots exacts, mais il n’a jamais nié s’être agacé, devant tant d’injustice. Le policier lui dit de sa calmer sinon il va porter plainte. Alors, Véronique, et les deux autres témoins prennent Eric et l’emmènent plus loin. Là, il s’effondre à son tour.

Dépôt de plainte pour outrage

Il est donc convoqué pour ce fait. Le policier a porté plainte pour outrage.

Ce 7 juin, il fait beau. Oublié le froid du mois de mars 2021. Mais, Eric semble encore atteint. Surtout qu’il n’a plus vraiment de nouvelles de Madama. Après avoir été libéré du centre de rétention, il est entré dans la clandestinité. Leur fils de coeur.

« Une justice disproportionnée« 

Heureusement, la solidarité fait son œuvre. Devant les grilles du palais de justice, les drapeaux syndicalistes et associatifs se dressent. Eric prend la parole. « Malgré l’acharnement judiciaire, n’ayez pas peur de les accueillir. Ils vous donneront toujours plus que ce que la justice vous prendra. »

Il rappelle que l’histoire des faux papiers malgré les gardes à vue et les perquisitions n’ont rien donné. « La justice est disproportionnée. »

Jules de Sud Education lui rappelle que certains combats ont des visages. Ceux d’Eric et Véronique qui luttent pour ce jeune malien font partie des paysages héroïques. « Une lutte de 18 mois, magnifique pour les sans-papiers. Mais cruelle aussi. On criminalise et on broie les gens. »

Délit de solidarité

« Plutôt que le racisme d’Etat, choisissons la solidarité, et demandons la régularisation de tous les sans papiers. Le seul tort d’Eric c’est d’avoir fait preuve de solidarité et d’amour. »

Sylvain de Sud, raconte à son tour, ce matin froid. Ce contrôle de Madama qui dure et se transforme en garde à vue. Des longs silences. De la longue attente. Et cette annonce « Madama est presque dans l’avion. » Ces quelques secondes de stupéfaction, de colère, après 18 mois de luttes, ces trois semaines de grève de la faim.

Restriction à l’audience

Après quelques autres prises de parole, il est l’heure. Eric a sa convocation. Véronique est témoin. Ils n’ont droit qu’à un accompagnant chacun. Les autres n’ont pas le droit de se rendre au tribunal dont les audiences sont pourtant publiques.

Devant une salle pourtant comble, (de nombreux étudiants en droit sont venus assister aux différentes affaires), la juge demande à Eric de venir à la barre. assez vite, elle coupe Eric qui veut expliquer le contexte, les deux ans d’hébergement, le ton du policier, la longue attente. L’accusé reconnaît sans problème s’être emporté. Il s’excuse.

Il reconnaît qu’il n’aurait pas dû. La juge lui fait la morale. « Ce policier n’était pas obligé de vous prévenir. Il l’a fait quand même. » Eric se tait. L’enseignant sait que si le policier ne l’avait pas appelé, il aurait dormi devant le commissariat. « Il nous a demandé de dégager. » Retorque-t-il avant de poursuivre « alors qu’on venait de perdre notre fils. »

Des excuses et des regrets

« Le tribunal n’est pas une tribune politique. Mais on comprend votre souffrance. » Finit-elle par dire.

« Je ne suis pas fier, je regrette, et j’en souffre. Je tenais à m’excuser auprès de ce policier. » Le plaignant est absent. En revanche, Eric en est à peu près sûr, il n’a pas dit certains propos qui ont été relatés. « Je ne me souviens pas avoir dit que la police était vichyssoise. D’ailleurs, je suis historien. Je sais qu’on dit vichyste pas vichyssois. » La juge ne relève pas. « Je ne me suis pas levé le matin en me disant que j’allais aller insulter un policier. »

Eric se tait. Puis conclut : « Laisser mon enfant partir c’est ignoble. Une partie de moi disparaissait. Pour moi, on envoyait mon enfant à la mort. Mais, je comprends pourquoi je suis là. Je comprends un peu moins ce que l’on a fait subir à mon fils. »

Véronique, la témoin

Véronique, en tant que témoin, raconte la même histoire : le froid, le choc de l’annonce, les larmes, avoir pris Eric par les épaules quand il a commencé à perdre son calme. « Le policier nous a dit : Partez, sinon vous allez commettre un outrage. » Dès qu’il a fait sa menace, Nous avons été plusieurs à prendre Eric dans nos bras.

Réquisition de la procureure

La procureure défend le policier. « Il a été insulté car il faisait son travail. Et notre accusé est un coutumier du fait. » Elle demande alors 90 jours -amendes à hauteur de 10 euros chacun.

Plaidoirie de la défense

L’avocat de la défense, maitre Borie reprend le dossier. « On leur dit de se présenter au commissariat pour une simple vérification, en fait c’est un traquenard, on envoie leur fils en Centre de Rétention. Ce n’était pas ça qui leur avait été expliqué. Il faut imaginer le choc ! »

Son client, en plus de sortir de trois semaines de grève et 18 mois de luttes judicaires est aussi reconnu à Haut Potentiel Intellectuel et Emotionnel. « C’est un homme qui a une grande culture. On vous le répète, il n’a pas pu parler de la police vichyssoise. »

Le bâtonnier demande alors une dispense de peine, en insistant aussi sur la non-inscription sur le casier judicaire. « Vous avez dans le dossier de nombreux témoignages prouvant que mon client est un excellent enseignant. »

Puis, il insiste sur le fait qu’Eric a fait ses excuses, qu’il a arrêté ses propos dès que le policier lui a demandé de le faire. « La demande de 1000 euros de dommages et intérêts par la partie civile c’est démesuré. »

Verdict

Il faudra attendre trois heures avant que le verdict tombe. 600 euros d’amende, 500 euros de dommages et intérêts, et dispense d’inscription dans le casier. Un soulagement pour Eric qui pourra continuer à enseigner. « Toute cette histoire est tout de même disproportionnée. Mais, cet acharnement judiciaire ne m’empêchera pas de continuer à aimer et à aider ceux qui en auront besoin. » Même si dans ce pays, parfois l’amour, c’est cher payé.

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