Pas une seule classe n’est épargnée par le drame…

Mediacoop met en place des ateliers d'éducation aux médias pour apprendre notamment aux jeunes à développer l'esprit critique, débattre et s'y retrouver un peu dans le monde journalistique. Durant ces ateliers, il nous arrive de vivre des moments forts. Aujourd'hui, nous avons envie de vous raconter l'un d'entre eux...

5eme. Dans un collège du Roannais. En 5eme, tu crois encore que tu vas devenir basketteur professionnel. Et peut-être même que ça arrivera.

A 12 ans, tu te marres, en classe avec les potes, et tu n’aimes le collège que pour ça d’ailleurs. A 12 ans, certains ont déjà vécu des drames. Il n’est pas rare que l’un d’entre eux profite de la présence de nous, journalistes, pour parfois s’épancher. parce qu’on le métier de l’injustice et de l’explication. Parce qu’on ne juge pas, on essaie de comprendre.

Il y a 9 ans, c’est comme ça que je me suis retrouvée au poste de police parce qu’un jeune m’avait confié être maltraité.

Bien sûr, je m’en étais référée à son enseignant qui avait fait un signalement. J’étais la seule personne à laquelle, le gamin avait raconté les bleus, les douleurs, les pleurs et les cris.

Au commissariat, on m’avait demandé de raconter. Plusieurs plaintes de voisins avaient déjà été déposées. Mais, le gosse, jusque là n’avait jamais avoué.

Je portais alors ce témoignage, je racontais les bleus qu’il m’avait montrés. On appelle ça le journalisme d’impact. Celui qui peut faire bouger des choses ou changer des vies.

Malheureusement, l’enfant avait été auditionné, en présence de sa mère qui niait tout en bloc. J’ai appris qu’ils avaient juste bénéficier de la mise en place d’une assistante sociale qui passerait de temps en temps, voir si tout allait bien.

J’ai recroisé le gamin des années plus tard. J’étais en voiture, lui à pieds, il m’a reconnue. Il m’a hélée, et a couru après ma voiture. Je crois qu’il était vraiment content de me voir. a-t-il su que j’avais raconté son secret à son enseignant ? Savait-il que la convocation chez les flics, c’était à cause ou grâce à moi ?

Un autre jour, c’est en créant un jeu sur le cyber-harcèlement dans une autre classe qu’une élève a tout lâché.

Il faut dire que le scénario inventé par ses camarades me semblait tiré par les cheveux. Une ex qui récupère les identifiants d’un compte insta pour se venger, des photos de nu partagées à une classe entière, des appels aux viols…

Mais, les gosses me l’assuraient, ça se passe comme ça dans leur monde.

Puis, la gamine, alors, hyper inventive, s’était écroulée. Comme ça. Inerte. On ne pouvait plus la réveiller. Crises d’angoisse, me répétaient ses camarades.

C’est le proviseur qui a réussi à la réveiller. Et lorsqu’elle a repris ses esprits, elle a aussi eu envie de se débarrasser de ses monstres. Elle, violée, elle l’avait été par son frère, désormais en prison. Puis, dernièrement, à une soirée, elle avait été droguée, et violée par ceux qu’elel croyait être des potes. Elle avait 15 ans. Etait tombée enceinte, avait avorté.

Tout était sorti, mal, violemment. Mais, les choses étaient dites. Elle était retournée en classe, comme si de rien n’était et avait continué de participer.

Des histoires comme celles-ci, je pourrais vous en conter des dizaines. Des enfants qui tombent dans les pommes parce qu’ils n’ont pas pu manger le matin, des jeunes filles anorexiques, des garçons suicidaires, des relations toxiques, des enfants battus, des gosses pris à parti dans un divorce, des orphelins, des malades, des blessés. Pas une seule classe n’est épargnée par le drame…

Mais, ceux d’hier, je les connais bien. Je connais leurs secrets, leurs amourettes, leurs espoirs. Et leurs rêves.

Parce qu’avec eux, on bosse sur le rêve. Sur le rêve à travers le temps, sur nos lieux préférés, sur la nécessité de s’évader.

On réalise un vrai travail d’enquête. On interviewe des gens et on réfléchit. C’est quoi rêver en fait ?

Ils ont 12 ans, alors certains rêvent d’être astronaute ou d’être un jour le plus grand de la classe.

On part en EHPAD. Parce que finalement, rêve-t-on encore quand on est vieux ?

je reste à l’arrière de la file dans la rue, car J. traine la patte. Elle s’est fait opérer pendant les vacances, me raconte-t-elle. Je lui pose quelques questions. Ses réponses restent vagues. je comprends qu’on lui a découvert un truc à la hanche et qu’elle a subi 8 opérations depuis le Covid. Ah oui, quand même. Mais, elle se marre.

Les personnes âgées nous attendent. On allume les enregistreurs, ca pouffe parfois quand les « vieux » font répéter dix fois. Mais, on apprend qu’on rêve encore à 96 ans, alors on repart contents, se disant qu’on a de la marge.

De retour au collège, cette fois, on est accueillis par l’Association des Paralysés de France. Devant nous, des jeunes en situation de handicap. Une mère et sa fille diagnostiquée de la myopathie à 14 ans. Un jeune en fauteuil, après être né prématurément. Il a toute sa tête, mais ne peut plus bouger certaines parties de son corps. Il faut lui tenir le micro.

Enfin, c’est au tour d’une jeune fille au caractère bien trempé. « Tu n’oublies pas de me présenter » Ordonne-t-elle au petit journaliste en herbe.

Ainsi, elle raconte, elle souffre d’un type de maladie de Charcot. Je l’écoute, attirée par ses atrophiées qui n’ont de cesse de bouger. Elle a une énergie incroyable dans ce fauteuil roulant qui a du mal à la contenir.

Je me retourne. Et je la vois. Ma J. ma petite collégienne de 12 ans. En larmes.

Je l’interroge du regard. Elle me fait comprendre que la maladie dont souffre la jeune fille, c’est aussi la sienne. Un truc moche, dégénératif.

Ses larmes ne s’arrêtent plus. Je comprends bien qu’elle voit son avenir, là devant le micro, les jambes sans muscles, et les mains déformées.

En douceur, je pleure. Et je me rappelle.

Avoir voulu faire ce métier pour contre les injustices, pour raconter les différences afin que chacun les apprivoise. Pour dénoncer, comprendre. Pour ne pas rester sans rien faire dans un monde mortifère.

Cependant, avec le temps, j’avais fini par comprendre, qu’on ne sauve pas le monde, à peine le sien.

J. m’a ramenée à la forme d’injustice qui m’effraie le plus : la tristesse d’un enfant, son impuissance face à la maladie.

Alors, avec douceur, j’ai pleuré moi aussi. Devant cette jeune fille qui dans son fauteuil ne disait pas que son rêve ce soit de marcher, non elle son rêve c’est que le monde, la ville, la culture soient plus accessibles pour les personnes en situation de handicap. Et, elle pensait à tout le monde, aux sourds, aux muets. Bien sûr, elle l’a admis volontiers, elle aurait adoré danser.

L’interview s’est terminée. Avec d’autres élèves, on remballait les micros. J. est allée voir la jeune femme, et elles se sont parlé. Pas des heures. Mais suffisamment de temps pour que J. ait séché ses larmes.

Elles sont revenues vers nous. Une maman lui a dit : « Tu as le droit de pleurer, et d’avoir peur. »

J. balançait la tête : « Je n’ai pas peur. »

Non, J. n’avait plus peur ni des opérations ni de l’avenir. Ni du regard des autres. Elle était tétanisée.

Alors qu’elle se forçat à sourire et à garder la face, je lui ai dit : « Et puis, tu sais, tu as le droit de trouver ça vraiment dégueulasse, parce que ça l’ait, parce que c’est ignoble, injuste et vraiment, vraiment dégueulasse. »

Dans mes bras, la gamine sanglote. Et me répète comme une caresse.  » C’est tellement pas juste. » Avant de se ressaisir. « J’ai un car qui m’attend. » Et de reprendre sa vie d’ado qu’elle voudrait tant comme les autres.

En repartant dans ma voiture, j’ai repensé au trajet pour aller à l’EHPAD. L’un d’eux m’avait demandé sur le chemin : « Et toi ? En tant que journaliste, c’est quoi ton rêve ? Tu aurais aimé interviewé qui ? » J’avais sans trop réfléchir répondu : « Mandela ». J. avait expliqué à son camarade : « Il a lutté contre le racisme et a fait beaucoup de prison. » Maxence lui avait alors répondu: « Pouah c’est horrible de faire de la prison alors que tu as raison… »

J’ai repensé à ça et je me suis dit deux choses. La prison de Justine est aussi voire plus indigne que celle de Mandela, et si on devait me redemander quel est mon rêve en tant que journaliste, je répondrai aujourd’hui sans hésiter :

Continuer à rencontrer, et à prendre dans mes bras, toutes ces petites vies brisées, et lutter contre l’injustice jusqu’au dernier mot que je pourrai écrire.

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