Salah Hamouri :  » Ma présence en Palestine est un acte de résistance « 

A l’occasion du festival  » Palestine en vue », Salah Hamouri était invité par l’Association France Palestine 63  pour participer à un débat et a été désigné hier, citoyen d’honneur, par la mairie d’Aubière. Mediacoop avait pris position lors de son arrestation arbitraire en Israël, et avait interrogé sa femme, Elsa. Salah Hamouri représente pour nous une définition très juste de la résistance. Nous ne pouvions rater notre rencontre avec lui. 

Salah est timide, mais jovial. Très vite, à la sortie du train, et d’une humilité déconcertante, il parle de son pays, des élections, de la prison.  De la grève de la faim menée par ses camarades encore incarcérés.  » Ils ne peuvent plus communiquer, ils veulent défendre leurs droits de détenus. Alors, ils organisent des grèves. Ils seront jusqu’à 2000 à ne plus manger. C’est très précis, on fait ça par vagues. les jeunes et robustes d’abord, les anciens, et les moins solides ensuite… » Salah sait de quoi il parle, il a fait une grève de la faim qui a duré 12 jours. «  Le plus dur ce sont les trois premiers jours, après ton estomac se fait petit…et tu oublierais presque… » Il donne cette impression Salah, que rien n’est vraiment compliqué dans la vie, tant qu’on a des convictions. Et il faut dire que pour ce français qui a grandi en Palestine, les convictions sont venues bercer ses rêves d’enfant. «  En Palestine, tout le monde vit très vite la politique. Tu es forcément influencé, tu peux difficilement être neutre, même si seulement 10% de la population entrent réellement en résistance, beaucoup de gens participent à la lutte. » Salah vit en famille, et il se souvient précisément, dès ses 5 ans, vivre la colonisation, notamment parce qu’un de ses oncles est recherché par l’armée Israëlienne.  » Les soldats venaient toutes les nuits, tapaient à la porte, regroupaient tous les membres de la famille dans une petite cellule. On reprochait à mon oncle d’être dans la résistance. » Il finit par être arrêté. Salah va le voir en prison, avec sa mère, sa grand-mère. Le petit garçon découvre l’enfermement et s’interroge déjà sur les méfaits de l’incarcération.  » Nous étions à la fin de la première Intifada, et déjà pour moi, je comprenais qu’il y avait d’un côté nous, et de l’autre, eux. Je comprends assez vite le concept dans lequel mon peuple est plongé. » Salah est fortement marqué par ce sentiment d’injustice, et se souvient de la vision de toute sa famille qui se rend en prison, voir cet oncle, devenu un peu un héros.

A partir de 1994, Salah parle de période politique, avec notamment la grève des prisonniers de 1999, et la deuxième Intifada en 2000. Il a 15 ans et son regard s’affute sur les réalités politiques et les enjeux. Il tâte les ambiances, découvre et apprend des chansons.  » A ce moment-là, je suis encore jeune, j’ai des convictions mais pas encore politisées totalement. Je me dis juste qu’il faut libérer le peuple palestinien « . En décembre 2000, il est blessé par balle à la jambe. Ce tir le visant le rend encore plus convaincu, et au lieu de le freiner le pousse à continuer.  » Les années 2001/2002 ont été terribles, les gens mouraient en manif, on a dénombré des blessés, des martyrs de façon démesurée. On sentait la colère et le besoin de s’exprimer de tout un peuple. » Il sera incarcéré le 30  août 2001. 60 jours d’interrogatoire dans des conditions extrêmes.  » J’étais pieds et poings liés dans une cellule de 2 ou 3 m2, sans aucun contact avec mes proches. Là, parfois, j’ai craqué. C’était vraiment dur.  » On lui reproche d’appartenir à une organisation étudiante. Il sera incarcéré 5 mois. Mais cette expérience le remplit d’une nouvelle volonté, plus grande et plus forte à savoir et pouvoir dire non. Salah n’est pourtant pas un surhomme, il parle sans complexe de «  moments de faiblesse« . Ces instants durant lesquels il se résignerait presque à faire comme les autres  » se résoudre comme la grande majorité« . Mais Salah a un truc qui a changé : Ses convictions ont pris une telle place, qu’elles deviennent un choix de vie…En Février 2002, il sort de prison et retourne à l’école. Deux mois plus tard, il est marqué par les résistants qui réoccupent la Cisjordanie. De nombreux morts là encore. Mais la mort fait partie du processus, selon Salah. «  Tu ne peux pas avoir peur de ça, cela ne veut pas dire que nous n’aimons pas la vie, mais nous savons que la mort est inhérente à la lutte pour notre liberté. » En 2003, il entre à l’université. En Sociologie. «  Là, l’ambiance politique est beaucoup plus riche, c’est plus organisé. Je crois qu’à partir de là, les choses changent beaucoup pour moi. Je rencontre d’autres gens, d’autres façons de réfléchir la lutte. » Le 20 février 2004, il est de nouveau incarcéré, avec 4 autres camarades.  «  Nous étions dans une maison, et ils nous ont dit chercher l’un d’entre nous. J’ai fait 5 mois de détention administrative. cela a été très formateur, j’y ai construit véritablement mon idéologie. En prison, un tas de programmes sont faits par les prisonniers politiques. Tant qu’à être enfermé, autant se servir de ce temps-là pour avancer… »

Il ressortira en juillet. Mais 9 mois plus tard, il est de nouveau arrêté. Il prend 7 ans et se souvient encore des 90 jours d’interrogatoire.  » J’étais prêt moralement pour passer plusieurs années en prison. Je me suis préparé à ça. J’ai malgré tout ressenti un choc lorsque je suis arrivé dans la cellule 11, un mec y était et venait de passer 22 ans en prison. Un héros courageux qui m’a servi d’exemple. » Salah n’a pourtant pas grand chose à lui envier. On lui propose une négociation : il part 15 ans en France et il est libre, sinon, il est enfermé 7 ans. Salah sacrifiera sa liberté au nom de la cause palestinienne et refusera de quitter son pays.  » La prison, c’est pas humain, c’est le pire endroit où mettre des gens. Il faut être très solide. Mais cela m’a ouvert à deux choses : la formation politique avec une vision historique mais aussi à partir de 2008, à la solidarité internationale, notamment avec des contacts avec la France. La solidarité internationale fait partie de la grande solution. Il faut s’informer les uns les autres,  et construire les choses de façon commune. Le soutien de gens d’autres pays m’ont permis de garder espoir.  » Salah, en tant que citoyen français recevra même la visite de sénateurs et députés. En 2011, il fait partie de la 2eme vague de prisonniers échangés contre la libération d’un caporal franco-israelien.  » Je suis sorti trois mois avant la date de fin de mon incarcération, et grâce à cet échange, cela a brisé la volonté des israéliens, je pouvais leur crier que j’étais libre en les regardant dans les yeux… » Il applique très rapidement ce qu’il a compris lors de sa détention : il faut s’ouvrir au reste du monde.  Il voyage, fait des tournées afin de raconter ce qu’il se passe. En 2012, il reprend des études de droit, il se marie en 2014. Très vite, on lui met des bâtons dans les roues. On lui interdit d’entrer en Cisjordanie pendant 18 mois, puis en janvier 2016, sa femme Elsa est expulsée, elle est enceinte, et repart en France. Le mercredi 23 août 2017, à quelques jours de son départ pour la France, en pleine nuit, les Forces Spéciales tapent à sa porte, il est incarcéré 13 mois sans motif. Il sortira le 30 septembre 2018. «  Les choses avaient un peu changé, j’avais désormais une famille. Ma famille est la chose la plus joyeuse de ma vie. Forcément, c’est là qu’ils ont frappé. Ils n’ont rien contre Elsa mais en l’expulsant, c’est moi qu’ils veulent toucher. Je pourrai bien sûr rester en France, avec ma femme et mon fils, mais si moi, je pars, si d’autres partent, si nous abandonnons tous, que deviendra la Palestine et la lutte pour sa liberté? Résister c’est rester. Rester c’est résister. Ma présence est à elle seule un acte de résistance. Bien sûr je pourrai résister de France, mais pas avec le même impact. » Salah exprime que la liberté c’est d’être à l’endroit que l’on aime. Et lui, il aime la Palestine. Il y reste. Seul, sans sa femme et son enfant, condamnés pour l’instant à rester en France. «  Je veux que mon fils aille en Palestine, mais je veux qu’il y retourne sans vivre toutes les circonstances que l’on a vécues. Il faut que cette occupation cesse. » Salah dit puiser ses forces en sa famille, son fils, sa femme mais aussi sa famille en Palestine.  » Nous voulons créer le pont sur lequel le peuple doit passer pour parvenir à sa liberté. Et pour la liberté de ce peuple entier, tant pis si je dois sacrifier ma propre liberté.  » Si Salah explique que 50 % des prisonniers politiques ressortent résignés, et voulant raccrocher, il sait que lui restera des derniers à continuer le combat, au péril de sa vie, au détriment de sa propre existence. Un héros, en somme. Mais, mieux ne vaut-il pas lui dire. Il risquerait de rougir…

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