Le lycée professionnel est charcuté depuis des années. Déjà en 2010, le temps de formation passait de 4 à 3 ans. Avec les progressives augmentations du temps de stage, la formation a même été amputée d’un an et demi. Entre temps, Blanquer est aussi passé par là. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Jeudi 4 mai, Emmanuel Macron était à Saintes en Charente-Maritime, dans un lycée professionnel, pour parler de son projet jugé mortifère par les syndicats et une majorité des enseignants.
Lycéens ou chair à patrons ?
Premier constat alarmant : la place donnée aux entreprises dans le parcours des lycéens. Une place qui augmente de façon très importante. La réforme s’apparente même plutôt à une grande fabrique de main d’œuvre pas chère. Des interventions de professionnels privés auront lieu dès la classe de 5ème pour venir sensibiliser les élèves à certains métiers. Pourtant, il n’est pas facile de se situer quand on a cet âge-là. Il faut également parler de l’installation d’un « bureau des entreprises » dans chaque établissement pour faciliter l’information, l’insertion et les stages.
« Les profs et les élèves sont vus comme une main d’œuvre malléable. », dénonce Sophie Brutus de la CGT Éduc’action 63. Cette dernière et une centaine d’autres personnes étaient rassemblées devant les grilles du rectorat aujourd’hui à 14h pour dénoncer la réforme.
« Nous avons demandé une audience mais l’agenda du recteur était trop chargé. », ironise un représentant de FO. « On voudrait lister le pire mais en fait, tout est inadmissible dans cette réforme. », résume Sophie Brutus. Pour Emmanuel Macron, l’entreprise formerait mieux que l’école. C’est en tous cas ce qu’il laisse entendre alors que le temps de stage devrait bondir avec la mise en place de son projet.
Plus de temps dans les entreprises
Selon les premières annonces, le temps passé en entreprise par les élèves pourrait augmenter de 50%. Une augmentation du temps de stage faite au détriment de la formation professionnelle et générale dans les établissements. « Ça augmente le tri social car moins on est diplômé, plus on est précaire. C’est très violent. », indique Sophie Brutus.
Surtout, l’apprentissage des mesures de sécurité et l’acquisition de compétences seront complètement différentes pour chaque élève selon la façon dont il sera accompagné en entreprise. Des entreprises où l’on travaille souvent sur un poste précis, diminuant ses chances de se former à une large palette d’outils potentiellement utiles dans une carrière.
« Rien n’est discutable dans cette réforme. », gronde Frédéric Bochard, Sécrétaire Général FO 63 et professeur en lycée professionnel. Durant les prises de parole, il est notamment rappelé qu’un apprenti meurt chaque mois au travail.
Une réforme inégalitaire
Autre point problématique, afin de satisfaire la demande économique et les entreprises, la réforme voudrait adapter les formations proposées aux bassins d’emplois propres à chaque territoire. Ainsi, un établissement pourrait voir la moitié de ses formations supprimées car ne correspondant pas à la demande des entreprises présentes. De plus, un élève Clermontois souhaitant faire de la cuisine pourrait devoir changer de région pour trouver cette formation s’il elle n’existe plus près de chez lui. Si les créations et suppressions de filières sont encore floues, beaucoup d’enseignants s’inquiètent déjà.
Comme une odeur de plan social
Le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye a justifié cette réforme par un besoin de « réindustrialisation du pays ». Ainsi, 80 filières du tertiaire telles que la vente, l’emploi ou l’accueil, qui « ne rencontrent plus l’emploi » seront supprimées à la rentrée et 150 autres « porteuses » seront ouvertes, (déclarations du 5 mai 2023.)
Mais que deviendront les professeurs dont les formations sont supprimées ? « Ils peuvent se diriger vers le professorat des écoles ou vers les écoles, certains l’ont déjà fait. Ils pourront aussi animer des choses dans les lycées pro, animer des formations en demi-groupe. Ils ont des savoirs qui restent utiles. », répond le ministre.
Sa déclaration ne paraît presque pas réelle tant elle est méprisante. « On n’a pas tous très bien dormi. On ne va rien casser mais on va dire les choses ! Nous voulons être reçus, garder nos emplois et une meilleure formation. », clame un professeur du lycée pro Marie Laurencin de Riom, devant le rectorat.



« On ne sait pas de quoi va être fait l’avenir. On nous dit d’aller en primaire ou au collège mais ce n’est pas du tout les mêmes métiers. Mais on a passé des concours quand même. », dénoncent des professeures de matières vouées à disparaître dans un lycée professionnel privé de Clermont. Au lycée Amédée Gasquet, l’ensemble des formations pourraient être fermées.
Poudre aux yeux
En pleine contestation sociale contre la réforme des retraites, Emmanuel Macron accompagne son projet de réforme du lycée professionnel d’un joli coup de comm’. Les élèves des lycées pros seront rémunérés pendant leurs stages, entre 50€ et 100€ par semaine en fonction du niveau. Une dépense prise en charge par l’État. Un effet d’annonce qui ne trompe pas les syndicats et professeurs.

Alors que la moitié de ceux qui sont bac pro et les trois quarts des élèves de CAP n’arrivent pas à trouver un emploi un an après la sortie du lycée, peut-être que le gouvernement prend le problème à l’envers. Aujourd’hui en France, un tiers des lycéens sont en voie professionnelle. Un tiers des futurs citoyens. La question n’est pas à prendre à la légère. Devant le rectorat, on donne déjà rendez-vous le 6 juin pour une prochaine journée de mobilisation.
1 réflexion sur “Réforme du lycée pro : « Même Macron, même combat ! »”
Ce serait quand même intéressant de demander ce que les lycéens pensent de leur formation. Formation qui a lieu aussi bien en centre de formation que dans la situation de travail réelle ; ces 2 temps de formation sont complémentaires et il n’est pas productif de les opposer comme l’article semble le rapporter.
Le gros problème qui peut être une cause d’échec est la motivation et surtout l’accompagnement de l’apprenti sur son terrais de stage. Est ce que ce sont les professeurs(es) de lycée qui s’en chargent ou est ce que le jeune est laissé seul? Quand je parle d’accompagnement c’est bien sur un dispositif tout à fait pédagogique et réel : aller voir les jeunes tout au long de leur stage afin de bien prendre en compte leur parcours dans les savoirs pratiques et d’établir enfin un dialogue entre enseignant et maitre d’apprentissage. Sans cet accompagnement, on continuera la dévalorisation de cette orientation scolaire.