Affaire Wissam : Une reconstitution contestée.

Vendredi se tenait la reconstitution du trajet de Wissam dans la voiture de police. Le jeune clermontois avait été interpellé lors de la nuit du 1er janvier 2012, et est mort quelques jours plus tard, le corps tuméfié. Sa famille réclame la vérité depuis 12 ans. Explications.

9H30. Cournon d’Auvergne. Un vieux bâtiment défraîchi se remplit de voitures de police. A l’intérieur, des hommes et femmes, gilets pare-balles, pistolet autour de la taille, gardent les lieux, assis dans une voiture ouverte.

Nous sommes au SGAMI, avenue d’Aubière. Secrétariat général pour l’administration du ministère de l’intérieur.

Ce lieu, plein de connotations alors même que l’on cherche à savoir la responsabilité de policiers, paraît pour le moins inapproprié quant à l’objectivité de la justice.

Mais, le collectif Wissam ne semble pas désemparé ni même impressionné. Peu importe où se situe la reconstitution, elle ressemble en l’état en une stratégie bien huilée, 12 ans après les faits.

Car, il ne s’agit de reproduire là que les quelques minutes de trajets qui conduiront Wissam au commissariat de Clermont-Ferrand, après son interpellation, la nuit du 1er janvier 2012.  Quelques minutes qui auraient pu lui être fatales. Même si les témoins et les vidéos de surveillance attestent que Wissam était encore vivant à son arrivée au commissariat.

Wissam mourra 9 jours après son interpellation, le corps tuméfié de marques de coups.

Pourtant, la justice ne semble toujours pas décidée à faire la lumière sur la responsabilité d’un tiers. Neanmoins, après avoir lu le dossier, on sait désormais, qu’il n’est ni mort d’une overdose, ni d’un taux d’alcoolémie mortel. Il est décédé d’un arrêt respiratoire et non d’un arrêt cardiaque qui aurait pu être provoqué par le stress.

Alors, vendredi, le collectif Wissam, par tellement dupe de « la mascarade de la justice » s’était préparé à passer un long moment devant l’établissement du ministère de l’intérieur. Elise a apporté café et thé. La mère de Wissam s’empresse à son arrivée de mettre sur les grilles protégeant le bâtiment, les banderoles, et les photos de son fils.

Une policière prend une photo  de la foule sur le trottoir mais refuse qu’on la prenne à son tour, cachant son visage.

On voit arriver, un à un les « experts » de l’affaire. Ils sont escortés à bon port. Au moins une dizaine, qui n’ont pas un regard pour la famille et s’empressent d’entrer dans l’enceinte de l’administration.

La sœur de Wissam arrive, les larmes aux yeux. C’est elle qui assistera, au nom de la famille, à la reconstitution de ses deux petites minutes. « On a l’impression qu’ils ne veulent reconstituer que les quelques minutes où ils ont le moins à craindre. Mais la justice dira, on a tout fait. En gros, une reconstitution pour faire croire à la famille qu’il y a un vrai travail de justice. Mais nous ne sommes pas dupes. Nous voulons savoir ce qu’il s’est passé au commissariat. On voit clairement sur la vidéo que les mis en garde à vue ce jour-là, sont choqués et regardent en direction du couloir où Wissam a été emmené. On voit aussi clairement l’un des policiers accusés, passer l’air content, sans aucune égratignure, loin d’un moment éprouvant pour lui. »

Zohra, la maman n’entre pas. Elle reste devant, incapable de s’assoir. « Nous étions une famille sans histoire. Moi, j’avais le respect pour la police. Je me disais que les policiers nous protégeaient, leur présence me rassurait dans le quartier. Dans mon pays, ce n’était pas pareil. Mais, ici, en France, je n’avais aucun doute. Et, en fait, c’est la police qui a tué mon fils, et en plus, elle ne veut pas avouer. Comment faire notre deuil, sans la reconnaissance des coupables ? »

Maître Braun, avocat du barreau de Paris, arrive, sac noir sur l’épaule. Il défend la famille, aux côtés des 2 défenseurs clermontois, maître Canis et maitre Borie.

Maître Braun est le seul à se faire fouiller. « Bon là, c’est mon linge sale, j’ai dormi à l’hôtel cette nuit. Vous voulez vraiment tout vider ? » S’amuse-t-il.

Marwa, la sœur de Wissam, entre à son tour, elle embrasse une dernière fois sa mère et salue les personnes venues la soutenir. Puis, la grille se referme.

Le temps s’écoule lentement, les journalistes de France 3 grillent leur cigarette. Celui de La Montagne attend dans son coin. Le collectif ne parlera pas aux journalistes de l’affaire. Depuis longtemps, la famille a perdu confiance.

Zohra, la maman de Wissam, leur distribue, cependant des gâteaux orientaux faits maison. Il commence à faire froid. Chacun se demande pourquoi. Peut-être que c’est bon signe. Peut-être pas.

Farid, le petit frère, résidant à Paris, envoie des messages pour se tenir au courant.

Il faudra attendre 4 heures pour voir, d’abord l’avocat de la police, sortir. Il sera rapidement suivi de Marwa et les avocats de la famille.

La reconstitution a été éprouvante. Les policiers mis en cause ne se rappellent de rien, sauf de l’inclinaison du siège. Et non, ils n’ont pas fait de pliage, (technique alors autorisée à l’époque qui consiste à maintenir une personne assise, la tête appuyée sur les genoux, afin de la contenir.)

Pourtant, longtemps, la police a déclaré que cette technique aurait pu provoquer la mort de la victime, ajoutée à un taux d’alcoolémie élevé  et une prise de cocaïne.

Ainsi, la reconstitution renvoie à ce que la famille disait depuis longtemps : Wissam n’est pas mort de ça. Il faudrait donc relancer l’enquête pour connaître les réelles raisons de son décès. « La juge a les moyens d’obliger les témoins du commissariat à témoigner. Elle ne l’a jamais fait. Pourtant, ils sont les derniers à l’avoir vu vivant. »

Maître Braun a bien une explication : « La justice a besoin de la police dans les arrestations ou autre affaire. Elle ne peut pas se permettre de la condamner. Mais, s’il y a non-lieu on fera appel. Le combat est loin d’être fini. »

Les policiers semblent s’être défendus de leur responsabilité dans cette reconstitution faite, rappelons-le, dans un bâtiment du ministère intérieur !

D’ailleurs, dans leurs déclarations, les policiers avaient concédé avoir pris les voies du tram. Les magistrats n’ont pourtant pas eu le réflexe à l’époque de prendre les enregistrements des caméras de voie.

Mais, bizarrement, s’ils ne sont pas responsables du pliage, alors autorisé par la loi, ils ont alors pu commettre la mort de façon illégale. En effet, la participation d’un tiers dans la mort de Wissam a été attestée.

Selon la famille, les experts ont donc semblé circonspects. Mais, il faudra attendre avril pour connaître les résultats de cette reconstitution qui n’en était pas vraiment une. « Ce n’était même pas le bon modèle de voiture. » pourrait presqu’en rire Marwa, si elle ne continuait pas : « C’est un nouvel affront pour notre famille. » Une nouvelle façon de tuer une nouvelle fois son frère.

NDLR : La famille, jointe ce week-end, pense demander un droit de réponse à La Montagne qui dans son papier a prêté des propos non déclarés par les avocats de la victime. En effet, ils n’ont jamais dit que Wissam aurait pu mourir à cause du pliage, de l’alcoolémie, et du stress. Au contraire.

Crédit photo de couverture : JCB

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