8h45. Il y a déjà du monde sur le parking de la gare de Chignat, à Vertaizon. « J’ai besoin de 20 personnes », lance un type, les bras chargés de matériel. Juste à côté, certains finalisent leur installation décorative quand d’autres peaufinent l’organisation générale et la gestion de la presse. L’espace habituellement vide aux airs de parking désaffecté se gonfle peu à peu de bleu.
11 mai
La date résonne dans les têtes depuis un bon moment déjà. La communication fut une réussite. Ensemble, la Confédération Paysanne du Puy-de-dôme, le collectif Bassines Non Merci 63, Extinction Rébellion, les Faucheurs Volontaires et les Soulèvements de la Terre ont monté un événement festif, familial mais aussi puissant et revendicatif. Une randonnée accessible à tous, boostée par une météo sublime.
À 9h15, alors que les participants arrivent de plusieurs ruelles, la conférence de presse commence. « Les bassines, c’est clairement un modèle agricole industriel. C’est absolument une solution court-termiste qu’on veut chasser », explique Antoine de Bassines non Merci. « Même pas un coup de pelle n’a été donné et nous sommes déjà des milliers. Vous le voyez le rapport de force ? » soulignait ensuite Adèle Planchard des Soulèvements de la Terre.
Les plus grosses bassines de France
Avant de poursuivre sur le déroulement de la journée, petit rappel. Deux projets de méga-bassines existent dans le Puy-de-Dôme. À Bouzel et à Saint-Georges-sur-Allier. Elles feraient respectivement 14 et 18 hectares pour au total, 2,3 millions de M3. Ce qui en ferait les bassines les plus vastes de France. Le projet est porté par « l’Association syndicale libre des Turlurons », représentant trente-six agriculteurs, dont beaucoup travaillent avec la multinationale Limagrain, quatrième semencier mondial à travers la filiale Vilmorin.
Ainsi, alors que le principe même de privatiser l’eau est problématique, le faire pour si peu d’exploitants semble assombrir encore la solution. Surtout, les méga-bassines sont souvent décriées pour leur aspect court-termiste et le fait qu’elles souffrent d’une forte évaporation de l’eau, les rendant peu efficaces en regard de leur impact sur les sols.
Vague bleue
« On est là pour protester contre un projet totalement fou. On ne peut pas voter, on n’a pas d’infos », nous dit Aude, sur le parking de la gare. « C’est juste comme un pansement et en plus, seulement pour quelques-uns », abonde sa compagne, Louise. « On a attendu de savoir si la manifestation était autorisée avant d’emmener notre fille. Je ne suis pas une grande militante mais là, c’est quelque chose de grand et ça pousse à se mobiliser », reprend la première. Derrière nous, une militante distribue des « base arrière juridique ». Des choses à savoir pour ses droits et des numéros à appeler en cas de besoin. L’événement est parfaitement organisé depuis des semaines. Rien n’est laissé au hasard, du covoiturage à la presse en passant par le droit, la sécurité, le camping ou la crème-solaire, distribuée par les street-médics. « On est contre la privatisation de l’eau. Et après Sainte-Soline, on voit la réponse de l’État, c’est d’autant plus important de se mobiliser », expliquent Léo et son ami, deux jeunes hommes en pleine discussion avec Yves, un peu plus vieux, venu du Jura ce matin et rencontré il y a quelques minutes.
10h25 : le convoir Vél’Eau arrive. Ludo Landais de la Conf Paysanne rappelle l’importance de respecter les terres des paysans et de rester pacifiques pour être crédibles et éviter toute répression des forces de l’ordre, bien présente ce matin, tout autour de la gare, dans le ciel, et aux abords des chemins de terre. Dix minutes après, c’est le départ. Des milliers de personnes prennent la route. Une vague bleue.
« Arrêtez de nous bassiner »
Près de trois heures de marche attendent les participants. On ne les voit pas passer. Ça joue, ça chante, ça discute. On parle politique, culture, agriculture. Beaucoup de slogans sont entonnés : « No Bassaran », « « Arrêtez de nous bassiner », « Eau voleur »… « Beaucoup d’associations ici sont non violentes. On espère que ça restera festif, c’est plus efficace pour s’inscrire dans le débat public », affirme une militante du Groupe Local Greenpeace Clermont, sur le premier sentier. « Il faut montrer que tout le monde n’est pas d’accord avec le projet et surtout, prendre en considération l’avis de la communauté scientifique », nous dit un peu plus tard un étudiant en hydrologie.
Marquer l’espace
Vers 13h, le cortège arrive sur la zone de la méga-bassine de Bouzel. Les organisateurs distribuent des glands, noisettes et pieds d’arbres aux participants. Objectif, entourer la zone en chaine humaine pour se rendre compte de la taille du projet. Puis au son de la cornemuse, toutes et tous plantent dans la terre ce qu’elles et ils ont dans la main. Le cortège repart. Un drone a immortalisé le moment. Celui des organisateurs. En effet, l’arrêté du préfet sur l’usage de drones a été suspendu par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand.
Pause dej, travail collectif et paroles politiques
Dernier arrêt avant l’arrivée. Ceux qui n’ont pas encore mangé peuvent le faire. On se met à l’ombre. Il fait 30 degrés. Certaines se déshabillent et plongent dans le ruisseau. Une équipe organise un chantier collectif afin de mettre en place un drain sur une terre aride et rétablir une zone humide asséchée par la surexploitation. Clémence Guetté, Mathilde Panot et Marianne Maximi de la France Insoumise prennent la parole. Le député européen écologiste benoit Biteau aussi ainsi que les Jeunes Socialistes du 63 et le syndicat Solidaires. Un hélicoptère de la gendarmerie plane au-dessus de leurs têtes.
Dernière effort avant le réconfort, le convoi repart et rejoint Billom pour un apéro festif en musique. La journée fut une réussite, à la hauteur de l’enjeu écologique que représente la catastrophe des méga-bassines. 6.500 personnes étaient là. Le prochain grand rendez-vous est prévu entre les 14 et 21 juillet dans le Poitou.