Quand Ruffin rencontre Michelin

François Ruffin, député insoumis, est venu au Rio, cinéma associatif clermontois, afin de présenter son film « Debout les femmes ». A cette occasion, il en a profité pour rencontrer les salariés de Michelin autour d’un repas, qu’on est venu plomber avec nos questions ! Un échange riche opposant politique, économie et réalité de terrain.

L’après-midi, il avait rencontré les ex-salariés Luxfer, entreprise de Gerzat, qui a fermé malgré son million de bénéfices. Mais loin de désespérer, les anciens Luxfer se battent pour leur emploi en cherchant à créer leur propre usine. (Et leur démarche semble sur la bonne voie !)

Le soir, François Ruffin, à peine le film « Debout les femmes » lancé dans la salle obscure du Rio, s’installe à table, aux côtés de Jean-Pierre Serezat, Michelin à la retraite, et Julien Papon, actuel technicien pour l’entreprise de Bibendum et syndicaliste CGT en son sein. « C’est Ruffin qui nous a demandé de pouvoir rencontrer des personnes qui travaillent à Michelin » Explique Rémi, salarié du Rio.

Le député du Pneumatique

Besoin de comprendre et de vérifier quelques infos, l’ancien journaliste converti en homme politique s’y connaît en industrie du pneu. Il vient d’Amiens, la ville de Goodyear et Dunlop. Installé depuis 1959, Dunlop a fusionné avec Goodyear en 2004 afin d’être compétitif face à Michelin, justement. La ville a alors, des milliers de salariés sur deux sites de la ville. Un accord de compétitivité plus tard, imposant notamment les 4*8 aux travailleurs (refusé par la CGT), 800 personnes perdront leur travail, avec la fermeture d’un des deux sites.

Protectionnisme et juste-échange

Mais, ce soir, c’est devant une tranche de saint-nectaire que Ruffin écoute les Bib, comme on les appelle sous le ciel auvergnat. Quand l’un des salariés demande des solutions, Ruffin répond du tac au tac « Il faut du protectionnisme, c’est tout. » Le syndicaliste CGT Michelin explique que certains sites sont sur la sellette. « Montceau-les-Mines, Cholet risquent de fermer. La Pologne se positionne, la Serbie, l’Allemagne deviennent plus compétitifs. Le prix de production est réduit d’un tiers dans ces pays-là. » Ruffin questionne sur la lutte et la mobilisation. « Mais, ici, on n’a que des cols blancs, nous n’avons plus les ouvriers, l’esprit collectif du combat. Les gens sont aliénés par leurs avantages, leur CE, leurs chèques vacances. » Rétorque Julien, syndiqué et au même échelon depuis 12 ans. « Nous sommes punis d’être à la CGT. »

Michelin : De 30 mille à 8 mille salariés sur Clermont

Jean-Pierre Serezat est à la retraite « depuis un bon vieux bout de temps » , mais il a vu « son » entreprise se dégrader. « De 30 mille salariés, nous allons arriver à 8000 sur les sites de Clermont-Ferrand. Les licenciements économiques ont débuté en 1983. »

Ruffin le répète alors, « il faut du protectionnisme. Ca me rappelle les salariés français de Bridgestone qui avaient reçu un bon d’achat de leur boite pour acheter des pneus neufs, qui étaient fabriqués au Vietnam. On marche sur la tête. »

La puissance destructrice de la mondialisation

Quand il parle des entreprises qui ferment, le député ne peut s’empêcher de parler un peu de lui aussi. « Je suis né en 75 en Picardie. 10 ans plus tard, après les accords multifibres ( NDLR : accords internationaux conclus entre pays développés et pays en voie de développement fixant des quotas d’exportations par pays et par produits) , la puissance de la mondialisation a tout fait basculer. La peur a changé de camp et on a ouvert la voie à une concurrence internationale dans des domaines où pourtant on avait du savoir-faire.« 

Selon François Ruffin « Ils ont fait passer les mesures économiques sous couvert de valeurs morales. Si nous étions contre le développement de nos usines au Vietnam, c’est que nous étions racistes. La manipulation médiatique a fait le reste. Je me souviens d’une émission de La Marche du Siècle ou Michel Serres débat avec Safo, une chanteuse égyptienne sur l’ouverture sur le monde. On sous-entend le traité de Mastricht. La CGT, le PC ont été tétanisés et n’ont pas su se positionner et défendre l’entreprise française de peur d’être taxés de Front National » poursuit le réalisateur.

Il faut dire aussi que les grands patrons européens ont su s’organiser en créant leur propre groupe de lobbying, dès 1983, l’ERT, qui rassemble les 49 plus grandes entreprises européennes et sera le principal commanditaire et auteur du traité constitutif de l’Union Européenne.

Contrôler les containers plutôt que les migrants

« Et puis, on s’est mis à construire des autoroutes, plus de 12 mille kilomètres vers les pays de l’Est afin que les délocalisations soient le plus rentable possible. Sur le drapeau, entre les étoiles, on devrait dessiner un camion car c’est vraiment le symbole européen ! » s’amuse François Ruffin qui poursuit : « Au Havre, on contrôle 1 container sur 5000, ca fait pas lourd quand on voit comment on est capables en revanche de contrôler les migrants. On ferait mieux de surveiller les grandes entreprises aux frontières non? »

L’exemple des poulets-bicyclette au Cameroun

Alors, Ruffin se met à y croire, à une mobilisation populaire qui renverserait certaines choses. Il y croit, car ça a déjà existé. Au Cameroun, Bernag Njonga, ingénieur agronome, formé à Grenoble, se rend compte dans les années 94, d’un changement dans son pays. Avant, les paysans locaux produisaient du poulet qu’ils partaient vendre sur les marchés à bicyclette.

Mais l’entreprise française Doux envoie ses poulets en Afrique. Les paysans perdent leur travail. Njonga fait expertiser les poulets français à l’Institut Pasteur et découvre qu’ils sont remplis de bactéries. Il en parle à la paysannerie locale, en faisant le tour des exploitations. Une alliance se crée avec la classe moyenne qui consomme les poulets. Même José Bové viendra les soutenir lors d’une manifestation grandiose. La pression populaire a gain de cause.

L’ingénieur agronome camerounais va même jusqu’à rencontrer Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce. Les taxes sur le poulet français seront rétablies. Les paysans locaux ont pu reprendre leur production.

Conception de la société versus porte-monnaie

« Je crois vraiment que les gens sont prêts pour consommer local, pour faire repartir leur économie, mais il leur faut aussi des produits moins chers. Le désir citoyen se confronte au porte-monnaie. Mais si tout le monde sort du chômage parce que les entreprises embauchent de nouveau, ils auront moins de mal à consommer. Je crois vraiment que les citoyens sont conscientisés face à ce phénomène. Malheureusement, Marine Lepen parle de ça. On ne parle pas des mêmes choses, moi je suis pour l’ouverture vers le monde, culturellement, bien sûr, pour l’entraide internationale, mais je pense qu’il faut relocaliser en France nos savoir-faire. »

Aujourd’hui, les taxes s’élèvent à 2%. « On ne va pas mettre 20 % direct, il faut faire une analyse par filière, aliments, vêtements, médicaments. Certaines filières, on ne les maîtrise pas. Il faut passer du libre-échange au juste-échange. » termine-t-il avant de prendre des notes sur l’actualité des sites clermontois Michelin, et de vite retourner dans la salle de cinéma pour un débat sur son film « Debout les femmes ». Mais ça c’est encore une autre histoire pour le journaliste-réalisateur-député…

Credit Photo : JC Beurrier

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