Centres de rétention administrative : le rapport qui accable l’État.

Photo by Erik Mclean on Unsplash

Chaque année, lors de la journée internationale des migrants qui se déroule le 18 décembre, les associations décident d’un sujet à dénoncer concernant les conditions de vie des exilés. Cette fois-ci, la Cimade de Clermont-Ferrand et d’autres associations ont décidé de parler des CRA (Centre de Rétention Administrative). Elles vont faire une campagne d’affichage et tenter de sensibiliser la population à cette question les 17 et 18 décembre prochains, sur l’ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Les associations la Cimade, la Ligue des Droits de l’Homme, RESF (Réseau Éducation Sans frontières) et l’UNEF (Union nationale des étudiants de France) se mobilisent à Clermont-Ferrand, Lyon, Grenoble, Valence pour dénoncer les conditions de vie au sein des CRA. Ce sont des centres de rétention réservés aux personnes en situation irrégulière sur le territoire en attendant qu’elles soient expulsées. Le premier a été construit en 1964 à Marseille mais sans dispositif législatif légal pour l’encadrer. Malgré plusieurs projets de lois pour les légaliser avant 1981, le conseil constitutionnel rejetait jusque-là leur existence légale car « nul ne peut arbitrairement être détenu ». Les CRA comme nous les connaissons ne seront mis en place qu’en 1981 par un dispositif juridique. Et pourtant ces prisons qu’on ne veut pas nommer existent. Et les conditions de vie s’y dégradent depuis des années, entre manque d’hygiène et de places. Les associations y dénoncent aussi le placement d’enfants en rétention.

La Cimade, qui milite pour la fermeture définitive de ces centres, y intervient depuis 1984 et constitue des rapports chaque année sur ce qu’il s’y passe. On y retrouve le nombre de détenus majeurs et mineurs, la durée moyenne du temps de détention, les droits humains qui y sont bafoués et la mise en danger que cela suscite chez ces personnes enfermées. Simon, co-président de la Cimade sur Clermont-Ferrand et engagé depuis cinq ans témoigne : « En 2019 on a une hausse considérable des mutilations, ce qui n’était pas le cas avant. Plusieurs tentatives de suicide ont été déclarées, trois suicides ont eu lieu. » Comme le dit le rapport, l’une des principales évolutions c’est que les politiques migratoires enferment plus de personnes et pour une durée plus longue : en 1999, 14 260 migrants étaient détenus dans ces centres. En 2018, il y en avait 45 851. Aujourd’hui, il y en a plus de 53 000, dont 3400 enfants. Mais les politiques migratoires ne se sont pas arrêtées à cela : alors qu’en 1998, la détention provisoire des migrants ne devait pas dépasser 10 à 12 jours, Jacques Chirac allonge le temps d’enfermement possible à 32 jours en 2011, puis Nicolas Sarkozy l’allonge à 45 jours en 2016. En 2018, le gouvernement fait passer la durée de rétention maximale à 90 jours, y compris pour les mineurs. Ces chiffres abrutissants sont les responsables des conditions déplorables que l’on retrouve dans ces centres : un sureffectif qui enclenche un manque d’hygiène mais aussi un moral au plus bas pour ces personnes, qui n’ont commis aucun crime et ne comprennent pas pourquoi on les enferme. Samos La Treve, qui témoigne pour la Cimade à l’aide d’une chanson qu’il a écrite, est resté 18 jours en rétention avant d’être expulsé vers l’Espagne, où il avait un titre de séjour : « Il a simplement fallu que je pose le pied sur le sol du pays de la liberté … Pour qu’ils m’attrapent et m’enferment dans un centre de rétention. Qui, selon eux, n’a rien à voir avec la détention; Mais alors, pourquoi ils me menottent si je n’ai commis aucun délit ? Pourquoi ils me menottent comme un putain de criminel ? » Aly, un autre migrant dont la conjointe française attend un enfant donne la même version des faits : « “Moi quand je suis arrivé au centre de rétention, j’étais menotté, puis après ils m’ont fouillé. On dirait que je suis un assassin. On dit que ça n’a rien à voir avec la prison, mais c’est pareil ici. Même ceux qui sont allés en prison disent que c’était mieux là-bas. Ici t’as pas accès à ton téléphone ni rien. Ici il n’y a pas d’activité. On mange, on dort. C’est pas bon pour le corps. C’est pas bon pour la tête. » « Ces gens n’ont rien fait et ne sont pas préparés à être mis en prison comme des criminels. On a de plus en plus de grèves de la faim parce qu’ils ne comprennent pas pourquoi ils sont là. Ces centres ont tout d’un établissement carcéral : il y a des filets de sécurité, des filets anti-parachutes, des caméras des barbelés … » explique Simon.

La durée moyenne de détention pour un migrant est donc de 16,6 jours en métropole. Ce qui montre une augmentation puisqu’en 2017, cette durée moyenne était de 12 jours. Et surtout, la plupart des migrants enfermés le sont injustement : « 30% des gens qui y entrent ressortent sous 48h après être passés devant le juge des libertés et de la détention. En général, ils n’avaient simplement pas le bon papier mais étaient régularisés. Donc 15 000 personnes se font enfermer sans aucune raison chaque année. » explique Simon. Mais ce qui choque particulièrement les associations, c’est la détention d’enfants et comment les centres situés dans les DOM-TOM servent de « laboratoires des droits« . Quand pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, le seul CRA a accueilli 1450 personnes durant l’année, le centre Pamandzi, situé à Mayotte, a vu passer 23 906 migrants. C’est presque la moitié du chiffre total de détenus sur l’année 2019 dans tout le territoire français. « Mayotte est l’endroit où l’on enferme le plus d’enfants. On expulse les mineurs seuls, sans les parents, on les rattache simplement à un majeur, quel qu’il soit. Ils n’ont pas non plus le moyen de faire des recours. Mayotte a une administration particulière, on y teste les lois avant de les appliquer en France. » décrit Simon. « On a peur que les restrictions des droits qui surviennent là-bas puissent un jour s’appliquer à la France métropolitaine. » Wahbi, 18 ans, est arrivé en France mineur. Il aurait dû être pris en charge et suivi socialement, cela n’a été le cas. Après avoir été à la rue, il s’est retrouvé en CRA en Ile-de-France après un simple contrôle d’identité : « A mon âge, je vois des gens qui font plein de trucs, des formations, le lycée, le bac, le permis… Moi je n’ai même pas le droit de sortir dehors. » Wahbi est expulsé après 59 jours d’enfermement, deux jours après son témoignage pour la Cimade. Aly explique comment les expulsions fonctionnent : « Le premier vol tu peux le refuser gentiment, le deuxième vol aussi des fois, mais le troisième vol ça se passe mal. Les policiers te scotchent et même ils te casquent puis te portent comme un bébé jusque dans la voiture.« 

Dans un contexte sanitaire difficile, ces centres de rétentions ne sont pas habilités à accueillir autant de personnes : manque de places, de douches, de toilettes, une nourriture limitée et immonde. Les expulsions se font aussi de plus en plus lentement car les pays d’origine refusent l’accueil de leurs ressortissants sans test négatif au coronavirus, ce qui allonge le temps de rétention des exilés. Selon l’association France Terre d’Asile : « Afin de limiter les risques sanitaires, l’administration a fixé la capacité maximale des CRA à 50%. Dans le cadre de la mise en place d’un protocole sanitaire, des masques et du gel ont été mis à disposition des personnes retenues, la réalisation de tests de dépistage étant également prévue. » Simon déplore quand même le fait qu’on oblige les migrants à faire le test pour les renvoyer dans un autre pays : « On a le droit de refuser un test de ce type, on a le droit de protéger l’intégrité de notre corps selon la loi. Mais il y a peu, quelqu’un a pris deux mois fermes car il avait refusé ce test. On ne comprend pas pourquoi ce droit est bafoué. » Simon prévient aussi sur le fait que ces conditions sanitaires insalubres en temps d’épidémie constituent non seulement une mise en danger de la santé des personnes détenues, mais aussi du personnel qui travaille dans ces lieux. « En Guyane, un juge a constaté en janvier 2020 que le CRA ne respectait les conditions sanitaires nécessaire à la santé, ce qui avait créé des clusters de l’épidémie dans le centre. » termine-t-il.

Pour Simon, ces politiques de migration ne fonctionnent pas : « On a un nouveau CRA qui va ouvrir à Lyon. Ces politiques coûtent plus chères que si on essayait d’intégrer ces personnes. Entre l’expulsion, la rétention, le transport, les juristes, cela coûte environ 20 000 euros par personne à expulser ! Ces allers-retours incessants provoquent en plus des milliers de morts, parce qu’il n’existe aucune voie légale d’immigration. » La Cimade défend la liberté de circulation, d’installation de voies légales d’exil, mais aussi d’un titre unique, à cause d’une grosse variété de titres de séjour pour « embrouiller les gens. C’est une particularité du droit français pour les étrangers : ils n’ont aucun moyen de se stabiliser car quand ils reçoivent un titre de séjour pour un an, le temps de la procédure fait qu’ils doivent déjà en refaire un. » s’insurge Simon. Les associations qui veulent sensibiliser les français sur ces conditions de vie ont donc besoin de bras : jeudi 17 décembre, atelier collage (affiches dans l’article) dans les rues de Clermont-Ferrand, rendez-vous à 17h30 devant La Cimade ! L’association aimerait coller des affiches de sensibilisation, partager en masse sur les réseaux sociaux pour enfin prendre la parole dans les médias le 18 décembre. « Avec le contexte social actuel, nous n’avons pas voulu faire de manifestation. On fera des actions dans la rue quand le climat social sera un peu plus apaisé. » explique Simon. Mais l’objectif reste clair : fermer les CRA et savoir accueillir dignement des personnes venues chercher une vie meilleure.

  • Témoignages des détenus des CRA à La Cimade :
  • https://www.lacimade.org/?s=%23maparoleestlibre
  • La Cimade : 13 rue Marmontel 63000 Clermont-Ferrand

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