« Ce magasin c’est ma deuxième famille. » 31 ans que cette salariée au rayon textile arpente l’hypermarché. Il s’est appelé Mammouth avant de devenir Auchan. L’employée a retrouvé ses 5 autres collègues du même rayon. Toutes ont la même amertume. « On nous a réunis dans la réserve, le 5 novembre. Et on nous a annoncé la fermeture de notre magasin. Ca a été un coup de massue. » Car, aucun salarié ne s’attendait à ça. « On se disait qu’il y aurait une restructuration, mais si vous enlevez ce magasin à son territoire, c’est un quartier que vous condamnez. » Constate une hôtesse de caisse.
Ce quartier, c’est l’un des plus pauvres de la ville. Croix-Neyrat, souvent stigmatisé dans les médias est excentré du reste de la ville. Pourtant, la municipalité a tout fait pour que le magasin ait du succès, comme l’explique Davy de LFI. « Tu en connais beaucoup des magasins dont la porte d’entrée est en face d’un arrêt de métro? Tout a été pensé et investi pour que Auchan vive et fasse vivre le territoire. »
D’ailleurs, Albert en est le premier attristé. « Tous les matins, je viens ici, à 9 heures. Je vis dans ce quartier depuis presque toujours. » Commence à raconter le septuagénaire. « Depuis que je suis à la retraite, je rejoins mes copains, et on se raconte les potins. Oh, c’est pas toujours intéressant, mais Auchan c’est comme le café du coin. Je ne sais pas ce qu’on va faire s’il disparaît. Ca m’inquiète. Et puis, les gens encore plus vieux que moi qui se déplacent difficilement, ils vont faire leurs courses comment ? »
Magali Gallais, élue communiste à la ville, habite et travaille dans le quartier. « Je suis abattue par ce genre de décision alors que l’entreprise a fait 300 million de bénéfices sur les 6 derniers mois. On fait le choix de la rentabilité en méprisant les habitants. » Magali s’interrompt, fait la bise aux personnels, aux syndicalistes et aux habitantes venus en soutien.
Puis, elle reprend : « La mairie a investi 700 mille euros dans les galeries pour y installer des services municipaux. Et la seule réponse d’Auchan reste la fermeture sèche. Ce ne peut pas être possible. »
La Loi Florange promulguée en 2014 oblige, cependant, les employeurs à engager des actions pour rechercher un repreneur avant la fermeture. Rechercher n’est pas trouver. En attendant, la mobilisation est intense.
Nicolas Deluzier de la CGT Auchan est aussi salarié de l’hypermarché, en tant qu’agent de maintenance. « Je suis content de cette matinée. Des camarades sont venus de partout. De Michelin, de Constellium. Mais, aussi, d’autres villes. Et surtout, nous sommes accompagnés des habitants et clients. »
Pour lui, pas question que l’enseigne déguerpisse sans rendre des comptes. « Ils doivent investir socialement, écologiquement et économiquement dans ce magasin. Ils doivent rester et rattraper toutes les années où ils nous ont laissé tomber. »
Le magasin s’étend sur une surface de 10 mille mètres carré. La réserve tout autant. « C’est un gouffre financier si on n’investit pas dans l’écologie pour le chauffage par exemple. Nous abandonner toutes ces années c’était pour justifier la fermeture d’aujourd’hui. » Soutient Nicolas, salarié depuis 16 ans.
« Je vis ici, mes enfants sont scolarisés dans le quartier, et on voit la désertification des quartiers, comme celle des campagnes. D’abord, on nous a retiré les services publics et maintenant nos commerces. Mais, les entreprises privées ont une Responsabilité Sociétale (RSE) dans la vie des quartiers. Elles ont reçu assez d’argent public pour ça. » Conclut-il, avant de crier dans le porte-voix.
D’ailleurs, il invite tout le monde à entrer dans le magasin. Les 400 manifestants chantent et dansent en déambulant au travers des rayons du distributeur. La queue est si longue que les premiers arrivent déjà aux caisses.
Le secrétaire général de la CGT commerce, Amar Lagha, est arrivé de Montreuil. Il a mis un gros manteau. « On m’a dit qu’il caillait à Clermont-Ferrand » taquine-t-il avant de rapidement reprendre son sérieux. « La responsabilité incombe aussi au gouvernement. Tout a été fait avec l’accord de l’Etat. Auchan n’est pas en difficulté, il achète juste de nouvelles parts du marché. C’est un choix stratégique et économique. »
L’état a effectivement investi 500 millions de fonds publics. « On paie des impôts pour que les grosses entreprises de milliardaires puissent licencier des petites gens ? C’est ça le projet du gouvernement ? Lemaire, Attal, ils sont partis. Mais, les travailleurs, ils restent eux, dans leur vie et quotidien. Il leur faut du boulot. »
Alors, une seule solution, se battre. « Et demander des comptes à Auchan, ainsi que du courage politique à nos dirigeants. »
Des prises de parole sont faites devant les caisses. Les hôtesses d’accueil, en plein travail ne peuvent s’empêcher pour certaines d’applaudir. « Ca fait plaisir, on se sent moins seule » murmure l’une d’elle avant d’écraser une larme.
Au micro, les syndicats FO, CFDT, CFC, Sud, CGT s’indignent chacun à leur tour : « Nos magasins ont fait l’histoire, alors bravo pour votre talent, bravo pour votre courage. On restera avec vous jusqu’au bout. »
Marion Canalès, sénatrice socialiste, a tenu à être présente. « C’est un gâchis financier et social que la fermeture de ce lieu social de proximité. On n’y fait pas que ses courses ici. On y croise des gens, on y passe du temps. Il ne faut pas laisser faire ça. »
Nicolas Bonnet, député Europe Ecologie Les Verts, est venu lui aussi en soutien aux salariés en lutte. Marianne Maximi, députée LFI prend la parole aux côtés d’André Chassaigne, député communiste. D’une même voix, ils dénoncent la casse sociale par un multimilliardaire. Et l’abandon de certains territoires. « Les quartiers comme les campagnes » conclut André Chassaigne.
Lutte Ouvrière représentée par un travailleur Michelin crie son désespoir face à un monde dirigé par l’argent de quelques-uns.
Dehors, les barnums sont montés, les célèbres saucisses de la CGT sont prêtes à être grillées par Antoine.
Quelques uns fument une clope. Un peu à l’écart, une femme essuie ses larmes. 27 ans qu’elle bosse là. « Je vais voir pour une reconversion. Je ne bosserai plus jamais en grande distribution. Il me reste 8 ans. Trop vieille. Mais pas assez pour m’arrêter. »
A la question un peu naïve que l’on pose » Comment vous sentez-vous? », elle ne prend même pas le temps de réfléchir. Elle jette juste ses yeux dans les nôtres. « Comme dans un bateau qui coule et à mon âge apprendre à nager, c’est compliqué. »
Pour elle, comme pour d’autres salariés, ici, « c’était un magasin familial. 200 salariés qui se connaissent tous. C’était ma deuxième famille. Et les clients, presque des amis. » Dit-elle en mélangeant imparfait et présent. » On ne sait même plus si on doit en parler au passé. Mais, je n’arrive pas à parler du futur. »
Alors que nous discutons, elle reconnaît Sébastien Galpier, élu LR au département. « C’est à cause de gens comme lui que notre quartier a mauvaise réputation. Il a dit que c’étaient les incivilités qui avaient provoqué la fermeture du magasin. C’est honteux de mépriser et faire croire à la mauvaise éducation des gens du quartier. » Dit-elle trop en colère. « Je ne vais pas le voir sinon aujourd’hui, je pourrais effectivement être mal élevée. »
Elle pénètre à nouveau dans le magasin. Elle y croise les salarié.e.s en grève de Vencorex. « Nous sommes venus en soutien. Car, en Isère, notre plateforme chimique aussi va fermer et le repreneur chinois supprime la quasi-totalité des emplois. Nous sommes en grève 24/24 sur notre site. » 450 emplois sont là aussi menacés. Arkema, à quelques encablures de Vencorex, semble aussi en mauvaise posture, avec l’annone d’une réorganisation aux contours un peu flous.
Le froid sec fait remonter les fermetures éclair à la sortie du magasin. Une dame pousse son caddie. « Le vendredi, c’est le jour des courses, depuis que je suis à la retraite, c’est presque mon moment préféré. Ils vont m’enlever ça, mon moment préféré. Ils suppriment des emplois et des moments préférés… »