47-48 et 63 : retour sur les grèves de mineurs dans le Puy-de-Dôme et ailleurs

Mercredi 10 janvier, l’Institut d’histoire sociale CGT 63 a organisé une grande rencontre salle Georges Conchon à Clermont-Ferrand. Alors que dans le hall, une exposition retraçait l’histoire du syndicat CGT dans le Puy-de-Dôme, à la tribune, la maitresse de conférence Nathalie Ponsard et le co-secrétaire de l’IHS 63 Bruno Neullas sont revenus sur les grèves de 47-48 et 63, leur contexte, leur impact et leur écho dans l’histoire.

Par la dureté de leur travail, leur groupement précoce au sein de syndicats et la puissance des grèves qu’ils ont menés, les mineurs restent les symboles du monde ouvrier en France. Afin de mettre en lumière l’histoire de leurs luttes, l’IHS-CGT 63 a souhaité aborder les évènements de 47-48 et 63 à l’échelle nationale puis locale à travers les exemples des trois bassins miniers du département que sont Brassac-le-Mines, Messeix et Saint-Eloy-les-Mines.

Résumer ces mouvements en quelques mots n’est pas chose facile. Pour Nathalie Ponsard, maîtresse de conférence en histoire contemporaine à l’Université Clermont Auvergne, spécialiste des cultures ouvrières militantes au XXe siècle ainsi que de l’histoire et de la mémoire ouvrière; Bruno Neullas, co-secrétaire de l’IHS 63 et Éric Panthou, historien associé au Centre d’Histoire « Espaces et Cultures » de l’UCA, 1963 est peut-être le versant lumineux des grèves de 47-48. On vous explique.

47-48 : l’avenir entre leurs mains

Avant tout, il est important de rappeler des éléments de contexte. Au niveau national, des mobilisations apparaissent un peu partout alors même que la CGT est dans un moment de durcissement de sa politique lié au début de la Guerre Froide. Chez les ménages, le pouvoir d’achat est en baisse. Nous sommes en pleine reconstruction. Le potentiel industriel du pays est très touché. On dit aux mineurs que l’avenir de la Nation repose entre leurs mains. Pour autant, depuis 1936, les ouvriers subissent et dénoncent la dureté du commandement dans les usines et la rationalisation du travail.

« La mine aux mineurs ! », revendiquent ces derniers . L’entrée des communistes au gouvernement est un signe d’éclaircie. En 1946, un décret améliore même considérablement la vie de ceux qui descendent à la mine. C’est une grande victoire. Le texte prévoit un code de la profession, des avantages, de meilleurs salaires et un temps de travail diminué.

La situation se tend

Les ouvriers le savent déjà. Rien n’est jamais acquis. Début 47, le contexte devient plus tendu. Les prix augmentent. Certains salaires se calculent encore au rendement. En avril, des ouvriers Renault se mettent en grève. À Marseille, on débraye pour dénoncer l’augmentation du prix du ticket de tram. Tout s’enflamme lorsque le communiste Léon Delfosse, administrateur des Houillières du Nord, est démis de ses fonctions. Les mineurs ont peur pour leur statut.

 Plus au sud, à Clermont-Ferrand, dès janvier, des grèves ont lieu chez Michelin. En février, les cheminots suivent. La mobilisation des mineurs fait son chemin à l’échelle locale. Fin novembre, le Conseil syndical vote la grève. Un rapport de gendarmerie indique que 4000 mineurs de Saint-Éloy-les-Mines sont en grève indéterminée pour de meilleurs salaires. Les tensions sont vives entre les grévistes et la police. Si à l’époque, une partie de la presse parle de grèves insurrectionnelles, l’utilisation de ce terme peut être largement discutée et est remise en question par de nombreux historiens. La répression en revanche est et forte et fait plusieurs morts tout au long de l’année.

1948

La fin de l’année approche. Les « trois décrets Lacoste » mettent le feu aux poudres. Ils remettent en cause les garanties salariales prévues par le statut. Les ouvriers souffrant de la silicose sont contraints à travailler, la marge de manœuvre des délégués est réduite et les retraites menacées. Les ouvriers votent « Oui » à la grève en grande majorité. A Saint-Éloy, la CGT suspend le maintien des opérations de sécurité. C’est une première. Les forces de l’ordre répliquent. Le ministre de l’Intérieur orchestre le dégagement des mines bassin après bassin.

La question de la violence revient. Le directeur des mines de Saint-Éloy parle de « grève révolutionnaire » alors même que la violence est bien moins forte dans les bassins miniers d’Auvergne qu’ailleurs. La mobilisation est courte. Elle dure du 4 octobre au 22 novembre. Pour autant, la bataille est rude pour les ouvriers. S’il n’y a pas beaucoup de documentation sur ces périodes, certains historiens appuient en effet le climat de violence. D’autres se concentrent plus sur l’aspect social du mouvement dans un contexte de paupérisation de la classe ouvrière. En tous les cas, les grèves de 47 et 48 ont longtemps persisté dans les esprits comme un traumatisme mémoriel et sont une volonté, notamment pour le syndicat, d’oublier ce qui est considéré comme une lourde défaite.  

Versant lumineux

« Mon collègue a plus de chance car 63 est considérée comme le versant lumineux de 47-48. Après, on parle moins de Guerre Froide mais plus du contexte de liquidation de l’industrie. », rappelle Nathalie Ponsard avant de laisser la parole à Bruno Neullas. Ce dernier pose lui aussi le contexte. En 1963, le pouvoir de de Gaulle se renforce depuis quelques années déjà. À l’inverse de 47, la demande en charbon baisse. Autre différence, FO et la CGT font front commun pour entrer dans la « grève du rendement » le 16 janvier 1963, réclamant une augmentation de salaire de 11% et 4 semaines de congés payés.

La CGT tracte pour l’union. Le 1er mars, on entre en grève générale. Le lendemain, de Gaulle publie un décret de réquisition des ouvriers. Pour les mineurs, c’est une déclaration de guerre. Le 4, 40.000 mineurs en Lorraine, territoire pourtant acquis au général, ne respectent pas la réquisition. La grève devient générale, totale et illimitée dans tous les bassins. Les comités de grève naissent et la solidarité s’organise. Même les élus de l’UNR, parti de de Gaulle, demandent la fin de la réquisition.

Le 21 mars a lieu la marche des mineurs sur Clermont-Ferrand. La 4ème semaine de congés payés est obtenue en juillet. Le mouvement marque le premier recul du pouvoir Gaulliste depuis 1958.

Transmettre l’histoire des luttes  

Entre les deux interventions, le documentaire « Pas de sous, pas de charbon » réalisé par L’Institut d’histoire sociale mines énergie a été diffusé dans la salle. Ce travail historique permet de mettre des images, des mots et du contexte sur les luttes passées. Un objectif que s’est aussi donné l’IHSCGT63 avec son exposition sur l’histoire de la CGT dans le Puy-de-Dôme de sa naissance à nos jours.

« On réfléchissait à faire quelque chose sur l’histoire du syndicat. Ça s’est fait en deux mois. On a été une vingtaine à travailler dessus à l’IHS, supervisés par Éric Panthou pour la partie historique. », explique Bruno Neullas.

« L’objectif était de donner un regard pas que sur Clermont-Ferrand mais à l’échelle départementale, l’histoire des bassins aussi. Montrer les différentes formes de lutte, l’importance des mobilisations chez Michelin, l’occupation d’Amisol…Le Puy-de-Dôme n’est pas un département de tradition syndicale. En effet, il n’y a pas, comme c’est possible ailleurs, de grande concentration ouvrière. Chez Michelin, le secteur du caoutchouc est longtemps resté hermétique au syndicalisme. », précise Éric Panthou qui a en mémoire bien d’autres anecdotes, moments forts, chiffres et dates sur l’histoire du syndicat et des luttes de travailleurs dans le département.

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1 réflexion sur “47-48 et 63 : retour sur les grèves de mineurs dans le Puy-de-Dôme et ailleurs”

  1. Hélas, l’histoire ne se répète pas et les grèves des années 1960 ne sont pas celles de 2023. En 1896, Victor Griffuelhes, secrétaire national de la CGT dès 1906 prônait le combat sous la forme d’une « action directe », ce qui « veut dire action des ouvriers eux-mêmes ». Il signifiait ainsi que « par l’action directe, l’ouvrier crée lui-même sa lutte, c’est lui qui la conduit, décidé à ne pas s’en rapporter à d’autres qu’à lui-même du soin de se libérer ». L’objectif est de conduire une lutte contre le capitalisme et l’État bourgeois ( pour aller jusqu’à la grève générale). Celui qui travaille a le pouvoir, tout le pouvoir.

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