Voyages d’études annulés ou à leurs frais, manque d’espaces pour travailler ou sous-effectif chez les enseignants : les conditions des personnels, professeurs et étudiants des ENSA (École Nationale Supérieure d’Architecture) sont loin d’être propices à un apprentissage de qualité. Alors que les ENSA dépendent du ministère de la Culture et non de celui de l’Enseignement Supérieur, le manque cruel de moyens et la mauvaise gestion ont fait se lever un vent de colère dans les écoles.
ENSA à l’abandon
Cette paupérisation des établissements est visible partout en France. Sur les 20 ENSA du pays, presque toutes ont entamé des actions pour dénoncer leur situation. La mobilisation des étudiants, des enseignants et des écoles est notamment soutenue par la CGT Culture qui pointe dans un rapport, une organisation gestion déconnectée des besoins réels. Selon le syndicat, plus d’un tiers des enseignants seraient sous-rémunérés. Dans un rapport sur le projet de loi finances 2021, le Sénat estimait notamment que les dotations des ENSA sont bien plus faibles que celles des établissements universitaires. Un comble alors que les écoles d’architecture ont la côte auprès des jeunes. Parcoursup aurait enregistré en 2021 plus de 47 000 candidatures pour 3300 places disponibles.

Le ministère pas vraiment à la hauteur
En 2018, une réforme a changé le statut des enseignants-chercheurs des ENSA pour l’aligner sur celui des enseignants chercheurs de l’université. Pourtant, les moyens sont restés les mêmes. Le nombre d’heures assumées par les professeurs des écoles d’architecture reste bien plus élevé et les créations de postes se font attendre. Ce lien avec le ministère de la Culture coupe également les étudiants du parcours classique d’accès aux crous et aux soins universitaires.

« À un moment donné, on est en train de faire des coupes qui ont un impact sur la pédagogie. Nos étudiants, on leur demande d’être au contact du terrain donc de faire beaucoup de voyages mais on rogne sur ces frais. On a un groupe qui doit partir à Ambert deux fois trois jours, ce n’est pas le bout du monde mais même ça, ce n’est pas gagné. », dénonce une membre de l’équipe pédagogique.
Des conditions pas vraiment à la hauteur de la pression qui pèse sur les épaules des futurs architectes. « Ce sont les agents de la transition environnementale mais on ne leur donne aucun moyen. Il n’y a aucune transversalité avec les autres ministères. », poursuit cette dernière.
Trainée de poudre
C’est d’abord en Normandie puis à l’école Parisienne de La Villette que la gronde s’est fait sentir. Par la suite, les étudiants de l’ENSA de Lille sont entrés dans la mobilisation ainsi que presque toutes les écoles. « Il y a une mobilisation avec Rouen qui n’a pas pu faire sa rentrée du 2nd semestre pour déficit de personnel. Ça a réactivé le sujet. La semaine dernière, 16 écoles sur 20 étaient mobilisées. », résume la professeure. Le 13 mars dernier, un grand die-in (manifestation où les participants s’allongent au sol) organisé par les étudiants a eu lieu dans les différentes villes concernées.

Deuxième semaine de blocage
Clermont aussi est entrée dans la bataille. « On a voté il y a 2 semaines une grève totale des enseignements pour une durée d’une semaine. Ce mardi, on a voté une reconduction pour une banalisation des cours jusqu’à vendredi. », explique Léa, étudiante en 3ème année à l’ENSA de Clermont. « La banalisation, c’est qu’on est présents mais avec une nouvelle forme de pédagogie. On fait plutôt des débats, des tables rondes sur la politisation du métier, le faire dans l’architecture, la nécessité du terrain… Nous avons réalisé un planning participatif, les enseignants s’y mettent aussi. On a pu mettre en place une cuisine solidaire. », poursuit la jeune femme.
Entre difficultés chroniques et crises à court-terme
Les revendications nationales, les étudiants de Clermont les partagent. Ils veulent eux aussi des moyens et de la considération. « Notre revendication principale, c’est des états généraux de l’architecture. », indique un camarade, également en 3ème année. À Clermont, l’inflation a causé un hors budget énergétique de 200.000€. À peine plus d’un quart de la note sera assumée par l’État. « Si on prend sur nos fonds propres, on sera encore plus pénalisés. », explique le jeune homme.
AG nationales et votes locaux
Ici, voilà plusieurs mois que les ateliers de maquettes ne sont pas dispensés, faute de personnel. Ailleurs, les mêmes difficultés s’accumulent. Une assemblée générale a lieu tous les mercredis au niveau national. Hier, une mobilisation d’ampleur a été votée pour la journée du 24 mars. Des délégations sont appelées à se rendre à Paris afin d’être reçues par les services techniques du Ministère de la culture. La reconduction de la banalisation a déjà été validée en AG inter-écoles et devrait être soumise au vote à Clermont prochainement. « Nous sommes 580 élèves. En général, 250 à 300 participent aux AG. Une cinquantaine de personnes occupent l’école en permanence. », confirme Léa. Cette dernière donne déjà rendez-vous place de Jaude demain pour une sensibilisation des citoyens à travers une microarchitecture produite par les étudiants.
Derrière le rayonnement artistique et culturel de la France, des écoles d’art, de design et d’architecture en danger ! Les écoles supérieures d’art et de design, et les écoles nationales supérieures d'architecture sont témoins des crises écologiques, énergétiques et sociales qui affectent notre société, tout autant qu'elles les subissent. De par leur ancrage historique dans les territoires, leurs cursus pédagogiques, la diversité des diplômes qu'elles délivrent et leurs programmes de recherche, ces écoles sont des actrices essentielles pour affronter ces crises et pour imaginer et construire des futurs désirables avec les nouvelles générations d'artistes, de designers, d'architectes, de théoricien·nes, d'enseignant·es. Depuis plusieurs semaines, les écoles supérieures d’art et de design, et les écoles nationales supérieures d'architecture, toutes sous la tutelle du ministère de la Culture, alertent, s'unissent et se mobilisent face à un même constat de dégradation des conditions d’étude et de travail, en raison de moyens budgétaires en baisse et d'un fonctionnement structurellement inadapté aux missions d’enseignement supérieur. Dans l’ensemble des écoles, une grande précarité budgétaire s'est installée, conduisant à des situations récurrentes de déficit qui engendrent à leur tour des mesures d’austérité et des risques psychosociaux au travail ou durant les études : baisse des moyens au service de la pédagogie, hausse des frais d’inscription et de scolarité, précarisation des personnels et des étudiant·es, suppressions de postes. Certaines écoles sont déjà gravement affaiblies ou menacées, telles l’ESAD de Valenciennes, l’EESI Angoulême-Poitiers ou encore l'ENSA Normandie, et plus largement, ce sont tous les établissements qui font face à une crise aiguë, décuplée par un manque de visibilité concernant leur avenir. Les écoles supérieures d’art et de design, et les écoles nationales supérieures d'architecture sont soumises à des coûts de gestion importants et à la démultiplication de leurs missions et activités. L'inflation galopante, l'explosion des coûts énergétique, la non-compensation par l’État du dégel du point d’indice des agents de la fonction publique, la fragilité financière des collectivités territoriales, pèsent lourdement sur leurs budgets et produisent un effet domino qui menace ces réseaux historiques d’enseignement supérieur artistique. De plus, pour les écoles supérieures d’art et de design territoriales, cela fait plus de 10 ans que la plupart des dotations budgétaires stagnent ou régressent. Nous souhaitons mettre en parallèle à ce dramatique constat l'augmentation historique pour 2023 des budgets du ministère de la Culture (7% de hausse en 2023, soit une augmentation de 527 millions d'euros). Dans un tel contexte, il n'est pas recevable que l'enseignement supérieur sous la tutelle du ministère de la Culture ne bénéficie pas des moyens dont il a impérativement besoin et que nos établissements servent de variable d'ajustement sur les territoires. Dans ses vœux pour l'année 2023, Madame la ministre de la Culture s'inquiétait d'une crise des vocations dans le secteur culturel. Nous répondons à cette inquiétude en demandant un plan d'urgence et de revalorisation des écoles supérieures d’art et de design et des écoles nationales supérieures d'architecture. Ce réseau d'enseignements de terrains et de territoires est un des premiers relais publics pour l'initiation, l'enseignement et la formation du secteur artistique et culturel français. En 2021-2022, ce sont 31 000 étudiant-es qui sont accueilli·e·s dans ces écoles. Première employeuse des artistes en France, préserver ces écoles, c’est maintenir tout l’écosystème de la création. Pour pouvoir maintenir son rayonnement culturel et sa diversité artistique, le ministère de la Culture doit s’engager à maintenir un enseignement public de qualité sur tous les territoires. Étudier est un droit, pas un privilège. Ensemble, nous rejetons toute fermeture imminente ou future d’écoles et défendons le maillage territorial actuel qui seul garantit la diversité et l’accès démocratique à l’enseignement supérieur artistique. Nous refusons la diminution des moyens alloués au travail pédagogique, la hausse des frais d’inscription et de scolarité, le traitement inégalitaire entre les étudiant·es relevant du Ministère de la Culture et celleux relevant de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Nous combattons la précarisation des personnels, qu’ils soient enseignants, administratifs, techniques ou culturels, et la mise en danger de leurs emplois ou de leur santé. Pour que les écoles supérieures d’art et de design et les écoles nationales supérieures d'architecture puissent mettre en œuvre leurs missions d’enseignement supérieur, pour qu’elles puissent répondre aux nombreuses exigences et préconisations définies par le ministère de la Culture, l’HCERES et l'IGAC , pour qu’elles puissent proposer un service public de qualité et ne soient pas promises à une dégradation certaine au profit de l’enseignement privé, il est absolument nécessaire que l’État se réengage clairement en faveur de l’ensemble des établissements sous sa tutelle. Qu’il s’agisse des écoles nationales ou territoriales, l’État ne peut s’abriter derrière le statut distinct des écoles pour abandonner ses responsabilités. Avec les autres ministères concernés (Enseignement supérieur et recherche, Économie et Finances, Collectivités territoriales au sein du ministère de l'Intérieur), le ministère de la Culture doit permettre non seulement de faire face à la mise en danger actuelle des écoles (compensation de l'augmentation du prix des énergies et du dégel du point d'indice des fonctionnaires), mais aussi de répondre à des exigences formulées sans effets depuis trop longtemps maintenant : accroissement des aides aux étudiant·es, remboursement des frais d’inscriptions pour les étudiant·es boursier·es, réfection des bâtiments, révision du statut des EPCC et revalorisation des statuts de l’ensemble des personnels, notamment les personnels enseignants selon le scénario défendu par les syndicats dans le cas des écoles d'arts et de design territoriales (alignement des statuts des enseignant·es des écoles d’art territoriales et nationales et revalorisations pour tous·tes). Nous demandons à ce que les syndicats et collectifs représentants l'ensemble des personnels (administratifs, culturels, enseignants, techniques) et les étudiant·es soient partie prenante des décisions qui les concernent directement. Étudiant.es, personnels enseignants, administratifs, techniques ou culturels, intervenant·es, parent·es, directeur·rices des écoles supérieures d’art et de design et des écoles nationales supérieures d'architecture, artistes, designers, architectes, théoricien·ne‧s, élu·es et responsables politiques, citoyen·ne.s, nous vous invitons à nous rejoindre pour une mobilisation nationale le 13 mars 2023 à 14h, devant le ministère de la Culture. « Écoles d'art et design en lutte — CGT-Séla 31 ; Économie solidaire de l’art ; La Buse ; Le Massicot ; Les Mots de trop ; SNAP-cgt ; Snéad-CGT ; STAA CNT-SO ; SUD Collectivités Territoriales, et les étudiant·es et personnels mobilisé·es de l’ÉESAB Rennes, Brest, Quimper et Lorient, de l’ÉSAAIX, de l’ÉESI Angoulême-Poitiers, de l’ÉSA des Pyrénées - Pau-Tarbes, de l’ÉSAD Valenciennes, de l’isdaT - Toulouse, de l’ENSAPC Cergy, de l’ESADHaR - Le Havre, de l’ÉSAD TALM - Angers, de l’EBABX Bordeaux, de l’ÉSAD Grenoble-Valence, de l’ENSBA Lyon, de l’ésban Nîmes, de l’ESACM Clermont-Ferrand, de l'ESADSE Saint-Étienne, de l’ENSA Normandie »