Sales gosses

Sales gosses.

(Récit d’une immersion en Centre Educatif Fermé.)

On ne peut pas dire autrement, objectivement. Il faut leur répéter dix fois de poser la casquette, ou d’enlever la capuche.

Ils parlent entre eux. Ils ont fait de grosses bêtises. On tente tant bien que mal de les réparer, mais les moyens ne sont pas folichons. Manque d’éducateurs formés. Un Manque de personnel. Manque d’une société qui pourrait désamorcer en avance.

Mais, la semaine est passée vite.

Reportages et interview

Parce qu’on a fait un journal, qu’on est partis en reportage, en interview, qu’on a fait des recherches et surtout qu’on a créé du lien.

Et en fait, ce n’est pas tellement dur avec vous, mes sales gosses. Il suffit d’être juste. Et de vous faire confiance. Vous êtes tous des petits voleurs professionnels. Vous avez piqué des scooters, des voitures, des portefeuilles.

J’ai fait exprès, cette semaine, de laisser mon sac, avec mon porte-monnaie dedans. Il y avait un billet de 10 euros. J’ai fait le pari que vous n’y toucheriez pas. Je n’ai même pas eu besoin de vérifier. Promis, je vous ai fait confiance.

Je partais avec un atout. Effectivement, je connais S. Le sale gosse dont j’avais tiré le portrait, voilà quelques mois. Rappelez-vous, un jeune kosovar, arrivé à 9 ans, qui dormait dans la gare de Clermont-Ferrand. Il avait fini par voler, puis dealer pour ramener à manger à sa mère et sa sœur.

Des destins abîmés

Ils avaient fui le Kosovo. S’ils étaient restés, ils seraient déjà morts. Mais, on n’a jamais voulu leur donner de papiers, impossible de travailler sans papier.

Alors, quand je reviens, mon S. me le dit tout de suite. « Ma mère a été renvoyée au pays. Je suis tout seul maintenant ici. Je n’ai plus personne. » Mais, S. me sourit. Il est content de me voir, d’ailleurs c’est lui qui demande aux autres de me respecter. C’est un peu le grand frère.

K. lui me teste. Le premier jour, il me serre la main très fort, je ne cille pas malgré les bagues qui s’écrasent entre mes doigts. « Belle poigne ! »

Des pros de la mise en page

Il s’avère que le jeune homme est super fort en mise en page. K. sera alors capable de rester une journée entière derrière l’ordinateur. Je lui confie même la formation des autres. Il est content. Ses serrages de main se détendent. A. lui, est plus jeune, il est arrivé il y a peu de temps. Il est scolaire, d’ailleurs, dans la semaine, il apprend qu’il va pouvoir aller à l’école. Il sourit. Une place en 3eme SEGPA s’est libérée.

Il va avoir une vie normale d’un gamin de 14 ans. Un jour, revient des courses avec un sac plein de cahiers. Le futur collégien me montre tout. Il est marrant, c’est lui qui pendant nos réunions écrit au tableau. Il est extrêmement gentil, doux. Et il est si jeune, qu’on a envie de le prendre dans ses bras, pour lui que tout va bien se passer.

14 ans…

Q. lui est appliqué, il fait des recherches sur les volcans, les tremblements de terre, il a besoin d’être seul pour travailler. Il peut partir vite en colère. Claquer les portes, se faire mal, parfois. Mais, cette semaine, il est zen. Il respecte chaque consigne.

Et puis, il a M. Le gamin vient d’arriver, 14 balais aussi. Un enfant. Il ne quitte pas son gros manteau troué. Comme une carapace. Comme une unique maison. Parce qu’il a été baladé partout. Parce qu’il ne sait plus trop où il habite, ni sur qui il peut compter. Ce gamin est la terreur des éducateurs.

Moi, il m’attendrit, je le trouve extrêmement intelligent. Devant un ordinateur, il est capable de mises en page extraordinaires. J’aime lui toucher les cheveux, il me laisse faire. Il ne parle pas beaucoup, alors chacun de ses mots sont un trésor. Je lui dis un jour «  Toi, il faut t’apprivoiser. » En réponse, il me fait un grand sourire.

Je sens qu’il manque de tendresse, qu’on ne peut pas s’élever sans les câlins d’une mère. Il est plus grand que moi, c’est sa fierté. Pourtant, ça ne veut pas dire grand-chose…

Sa référente insertion lui dit : « Eloise me dit plein de bien de toi. C’est cool que tu sois gentil avec elle. » Il lui répond : « Elle est gentille avec moi, alors je suis gentil avec elle. »

Visite d’un centre de rééducation

D’ailleurs, il vient avec nous en reportage. Dans un centre de rééducation fonctionnelle. On y croise des amputés, des personnes en fauteuil.

A notre arrivée, nos regards ne parviennent pas à se détourner d’un jeune homme qui n’arrive pas à sortir seul de sa voiture mais qui refuse de l’aide. Qui veut réussir coûte que coûte.

Le directeur nous reçoit pour nous faire visiter le centre. Les gamins suivent. Parfois, ils rient, mais c’est nerveux, ils ont chaud. Puis, comme tout gosse, ils s’extasient devant les machines, dernier cri, qui coûtent une blinde. « 3 millions d’euros ? Wallah comme c’est cher !»

Jul, en bruit de fond

En rentrant, c’est Jul qui nous accompagne, à fond dans la voiture. Ils se foutent de moi, je conduis comme une mamie. Ils chantent, dansent. Je me sens bien avec eux. Ils sont si joyeux.

Le lendemain, on va interviewer des personnes âgées. M. parle peu mais il écoute. Il ne peut s’empêcher de mal se tenir, affalé sur sa chaise. Mais, il écoute. Cette femme lui dire que depuis une piqûre d’araignée, elle a dû se faire couper la jambe, que son mari en est mort et qu’elle est désormais seule. Il écoute cette autre femme, ancienne institutrice, le rassurer en lui disant qu’il n’est pas trop tard et que les vies ne sont pas aussi simples pour tout le monde.

W. est là aussi Timide, il a fait une grosse bêtise. Un pétage de plomb. Pourtant, il n’a rien d’un délinquant. Une beuverie qui a mal tourné. Il a 6 mois pour y réfléchir, mais il semble déjà avoir fait pas mal de chemin. Il ne faudra juste pas qu’ils suivent les autres au centre.

Repas mouvementé

Parce qu’au centre, ce n’est pas de tout repos. Un midi, tout explose. A. a touché le pied de M. Ou le contraire. La vaisselle a volé en éclats. Les éducateurs n’ont rien vu venir.

Pour les calmer sous le patio, c’est compliqué. M. crache sur le pied de son éduc. L’éduc pète un plomb. Pourtant, c’est le plus calme. Mais, il est obligé de sortir. On sent qu’il ne va pas bien. Plus bien depuis la dernière fois en avril.

Et puis, un matin, on arrive, la jeune stagiaire n’a plus ses clefs. Elle les avait mises sur le lavabo d’une des chambres. Il faudra attendre le soir pour que l’un des jeunes avoue, et montre les clés dans le barbecue. Aucun n’aura « poucave. »

Des au revoir à leur image

Le dernier jour est de trop. Rien à en faire. Ils veulent aller se balader autour d’un plan d’eau. Quand on leur ouvre la porte, ils ne comprennent pas qu’ils ne me reverront pas. Pas d’au revoir. J’ai envie de pleurer, ils sont partis trop vite. Je voulais leur payer un oasis pomme cassis, c’est leur préféré.

Ils se rendent compte de la boulette. J’ai le droit à une visio. K. est là, tout sourire, à me faire de grands coucous et me dire «  à bientôt. » A. me fait des grimaces et me demande quandest-ce que je ferai son interview. S. est parti marcher. W. se marre en me voyant. Et puis, l’éducateur arrête la caméra sur le beau visage de M.,  cette tête de bébé. Je sais qu’il ne sait pas dire au revoir. Alors je le regarde tendrement. « Oh mon petit chou. » Il relève la tête, et me sourit, et me fait au revoir avec sa main, je lui envoie un baiser. Il ajoute « A bientôt »

A bientôt

Il a 14 ans, n’est pris dans aucune école, n’a pas vu sa maman depuis sa première année de vie. Son père s’est barré dans un autre pays. Et il faudrait que cet enfant sache dire merci. Il a dit « A bientôt » et ça m’a largement suffi.

Je suis remontée dans ma caisse, j’ai mis du Hladrogue (oui,oui promis, ça existe), J’ai revu leurs visages, leurs sourires, leur curiosité, mais aussi leur violence. J’ai vu les incompréhensions entre eux et les éducateurs. J’ai repensé à leur histoire, j’en ai fait des explications sans en faire des excuses. Comprendre toujours comprendre. Ne pas juger. J’ai regardé mon compteur. 65 KM/h. Putain, c’est vrai que je roule comme une mamie…

PS : Je viens de vérifier, j’ai toujours mon billet de 10 balles dans mon porte-monnaie. Merci mes sales gosses…

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1 réflexion sur “Sales gosses”

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