« Ma mère me faisait des sandwiches au pain »

Eloïse est allée récolter le témoignage de jeunes hébergés au Centre Educatif Fermé de Pionsat. Alors qu'un travail au long cours est amorcé, elle a décidé de mettre en ligne certains de leurs témoignages. on commence par M., 14 ans.

Mes mots n’auraient pas suffi.

3 petits bonhommes de 14 à 16 ans.

Ils ont merdé. Des parcours de vie à chier.

Ils se retrouvent là.

Là, au Centre Educatif Fermé, la case avant la prison.

Des petits bonhommes qui portent leur existence  comme d’autres jeunes de leur âge, portent un sac à dos. En plus lourd, en plus gros.

Voilà 2 jours que je me tais. Leur témoignage prend toute la place.

2 jours que je passe à leurs côtés, auprès de leurs éducateur-trices.

Et que tout se mélange.

Pourquoi notre société n’a pas su, n’a pas voulu tendre une main à ces petits destins là ?

Comment fait-on pour en être à enfermer de jeunes ados ?

C’est d’abord M. qui témoigne. Une vie blindée de rien, de vide. Pas d’argent, l’envie d’avoir un survêtement Lacoste comme les autres du quartier. Son déclic c’est le jour où il demande à sa mère un peu de sous pour aller au Kebab avec les copains, il a 12 ans. Sa mère, au lieu de ça, lui fait un sandwich au pain. Le gosse a la rage contre cette société qui l’a déjà emprisonné dans la précarité, dans l’envie, dans cette injustice qu’il percute chaque matin en trainant dans ses baskets récupérés au secours populaire. En plus, de l’autre côté de la famille, on baigne dans l’argent. Il est le neveu d’un chanteur connu. Mais son père a prévenu «  on n’accepte pas les billets. »

Alors, M commence à voler, à vendre du shit, à « charbonner ». Parfois, il se fait 10 euros, d’autres journées lui procurent 100 balles. Mais sa mère le chope, il est puni, enfermé à la maison. Le père, il n’en parle pas. Il préfère sa mère. M. Me regarde toujours droit dans les yeux. Il assume du haut de ses 14 balais cette petite vie de délinquant. Un jour, avec un pote, il va extorquer une prostituée. Elle a du liquide et de la drogue sur elle. Mais, le gosse n’est pas un bon voleur. Il échappe sa carte d’identité, son téléphone et la carte de crédit de sa mère.

Le voici ici. Au début, il a voulu voler une voiture pour s’enfuir. 6 mois ici sans ses parents, sans téléphone. Mais, il a eu un accident et un corset …Une vertèbre touchée. Depuis, il a compris. Il reste là, à prendre dans ses bras les éducateurs, à faire des blagues. On le voit passer le balai pour la première fois. Il fait des imitations. On arrête l’interview, au bout de 30 minutes de confidences. J’ai les larmes aux yeux. Je kiffe ce gosse, sa coupe à la con, ses yeux pétillants, son sourire incroyable. Il en joue, me tape dans la main. « Ben alors madame la journaliste, tu vas pas bien? » se marre-t-il. Puis, il me fait une blague sur ma taille. « Eloise L’ange gardien » . La veille, on a été interrogés les gens dans la rue pour savoir ce qu’ils pensaient du centre Educatif fermé. Et à chaque fois, M. posait la même question « Vous pensez que si j’avais eu une autre enfance, je serai là ? » Il s’interroge sur le déterminisme social. Un petit Bourdieu des cités. Je lui ai parlé de mes filles. Il regarde ma clio «  ah ben c’est une comme ça que j’ai volée… » Me dit-il avec un clin d’œil. M. est espiègle, beau, joyeux, a envie d’aller en cours. Il veut bosser dans le commerce. Pas forcément être riche, mais posé. Un jour, son père lui reparlera peut-être. En attendant, il regrette, commence à comprendre qu’il est coupable mais pas le seul responsable. Sa mère précarisée, son quartier abandonné, ses fréquentations, et ces putains de survêtement Lacoste qu’ils avaient tous. Ce monde qui rend jaloux, dans lequel la hiérarchie s’impose par un crocodile vert. Ne pas montrer sa pauvreté. Vivre de frustration et de sandwich au pain. Inventer des excuses. Ne pas réclamer et voir l’oncle à la télé, avec de l’argent plein les fouilles. M. le reconnaît «  c’est con de réfléchir comme ça… » Mais M. n’a que 14 ans. Une mère. Un petit appartement. Et désormais une chambre en CEF pour 6 mois. «  Et tu referas des bêtises après ? » Ca sort tout seul « Pas tout de suite. » Mais alors tu en referas ? Le gamin baisse les yeux. Comme s’il se condamnait, comme si pour l’instant, il ne se faisait pas assez confiance. C’est son regard qui le sauve encore un fois. Celui qu’il enfonce dans le mien. Avant de repartir dans un sourire. « Vas-y madame la journaliste, c’était bien de parler avec toi. Ca fait du bien, ça oblige à ressentir… »

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1 réflexion sur “« Ma mère me faisait des sandwiches au pain »”

  1. la marque Lacoste sponsorisée par la « petite » délinquance, on est loin des courts de tennis et des ados aux shorts blancs. Est ce bien raisonnable de porter ces habits propres tout en mangeant un kebab, dégoulinant; non pas de confiture comme disaient « les Frères Jacques » mais de sauce samouraî. Et en plus, au volant d’une monture peu adaptée à son age d’où la chute, et la rechute car la Marque est plus forte que la raison.
    M le Mot Dit prend un peu ses besoins pour la réalité car il est trop jeune pour comprendre le pièges de la société de consommation qui, quoiqu’il en soit, vend et fait des profits, sur les moins nantis. Tout cela est extrêmement nocif et la justice des mineurs ne peut pas l’ignorer.
    SI Bourdieu a parlé du déterminisme social ( qu’on pourrait appeler aussi -marque) , de la reproduction des élites ( ayant une grande affinité pour les marques), des habitus qui ligoteraient tout velléité d’émancipation, c’est pour donner des armes et non pour y être assujetti.
    M doit faire des choix de vie socialement reconnus et on espère en entendre reparler. Pour faire mentir le sociologue.

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