Quatorze mois après l’annonce de leur licenciement, les ex-salariés de Luxfer occupent leur usine pour faire valoir leurs droits et empêcher la multinationale de détruire leur outil de travail. Au cœur de la lutte : la reprise de l’usine en coopérative ouvrière et la reconnaissance de l’invalidité du licenciement économique.
Une fumée noire s’élève au-dessus de l’usine occupée de Luxfer, à Gerzat : ce mercredi 22 janvier, troisième jour de blocage du site, les ouvriers et leurs soutiens ont allumé des feux pour se réchauffer, en attendant le début de la conférence de presse. Après s’être assurés de la présence des médias, les délégués syndicaux Axel Peronczyk (CGT) et Frédéric Vigier (CFDT) guident tout le monde vers le bâtiment vide qui fut un réfectoire, pour expliquer leur action.
Car quatorze mois après l’annonce de la fermeture du site, la direction anglaise de Luxfer continue de faire vivre un calvaire aux salariés, qui décrivent des scènes de harcèlement et de maltraitance. Déterminés à empêcher toute reprise du site, « les anglais » ont entamé la destruction des machines. « 95 % des machines qu’ils veulent détruire ont été payées par le contribuable puisqu’elles ont été achetées à l’époque de Pechiney », précisent les syndicalistes. « Ce n’est pas seulement un combat pour l’emploi, c’est un combat pour l’intérêt public : nous produisons du matériel pour les hôpitaux, pour les pompiers, pour l’armée… » Une production qui est donc en grande partie achetée par l’État français, directement ou indirectement lorsqu’il s’agit de matériel médical remboursé par la sécurité sociale, et que l’usine de Gerzat est la seule au monde à fabriquer de cette manière.
« Aujourd’hui, ce sont les ouvriers qui empêchent le patron de saboter les machines ! »
Axel Peronczyk (CGT) et Frédéric Vigier (CFDT)
Et pourtant, Luxfer délocalise en Angleterre. Malgré des bénéfices records en 2018 et l’argent du CICE, la multinationale justifie les licenciements économiques sous prétexte de compétitivité, une possibilité introduite dans la « loi travail » de 2016. « Mais Luxfer est en situation de monopole ; pour se justifier, elle invoque la concurrence dans le secteur des extincteurs, alors que l’usine de Gerzat n’en fabrique pas ! » L’inspection du travail a d’ailleurs déclaré invalide le motif économique du licenciement ; les ex-salariés veulent désormais faire reconnaître cette décision par le ministère du travail, qui a souvent validé des licenciements contre l’avis de l’inspection du travail. En ce sens, ils estiment avoir été abandonnés par les autorités : « depuis février 2019, la préfète n’a plus tenu les commissions de revitalisation du bassin d’emploi ; seulement 15 % des salariés ont été reclassés, dont la moitié dans des emplois précaires et souvent à plus de 30 kilomètres de leur logement. Pendant 4 mois, la direction n’a pas respecté l’accord de licenciement, et assume que c’est « pour donner une leçon de vie aux salariés ». Et pas un mot de la Direccte ! Ils disent que c’est aux organisations syndicales de régler le problème, après avoir passé des lois pour détruire les CHSCT et affaiblir les représentants syndicaux ! »
Loin du fatalisme, les ouvriers ont pourtant passé les derniers mois à travailler d’arrache-pied sur des solutions pour faire vivre le site. Ne ménageant pas leurs efforts, ils ont réussi à produire une proposition de reprise en SCOP viable, conforme aux exigences de la direction de Luxfer, et trouvé 2,5 millions d’euros de financement pour le lancement de leur coopérative ; « les anglais » leur ont opposé une fin de non-recevoir, et amorcé la destruction du site. « Aujourd’hui, ce sont les ouvriers qui empêchent le patron de saboter les machines ! » se désespèrent les syndicalistes, qui entendent bien empêcher la destruction de leur outil de travail par l’occupation des locaux ; ils demandent par ailleurs le reclassement de tous les ex-salariés dans des emplois stables et une tutelle de l’État.
Dans la période actuelle, les perspectives de victoire semblent minces. Mais l’enjeu est grand : au-delà de Luxfer, de Gerzat et du bassin auvergnat, ce serait un triomphe éclatant capable de faire renaître le rêve de l’autogestion ouvrière, à l’image de la lutte héroïque des Fralib. Pour l’heure, les immenses machines restent silencieuses dans leurs ateliers froids ; bientôt, elles seront remises en route par les mains de travailleurs libres, ou réduites à néant au nom du profit.
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