S. « J’étais gentil avant… »

Dans le cadre de notre travail avec le Centre Educatif Fermé, nous réalisons des portraits des jeunes qui y sont pris en charge. Cette semaine, S. 16 ans.

Le gosse est beau. Beau d’une colère juste et d’yeux qui ne regardent que devant. Alors, quand il s’agit de lui demander son parcours, parfois, S. ne sait pas par où commencer. D’où vient-il ? Lui-même émet des doutes. Son passeport semble clair, il est né en Suisse. Mais, lui n’a de souvenirs d’enfance qu’au Kosovo. Des parties de foot dehors, devant sa maison. « Mais pas une vraie avec des murs et tuiles, hein…on était pauvres. »

S. n’a plus de père et quand sa grand-mère meurt, c’est un monde qui s’effondre. « Je l’aimais trop, c’était la cheffe ! » Son grand-père, qui n’a plus d’argent, décide avec la mère de S. de fuir la misère du Kosovo. Une partie de la famille réside en Allemagne, une autre en France. C’est peut-être là qu’il faut se rendre. Mais, la mère de S. est malade. Le grand-père doit très vite se faire opérer d’une jambe. Il faut lui enlever, elle est trop amochée.

Le voyage dure 3 jours. « On avait peur à chaque frontière. Moi, je n’avais que 9 ans, je ne me rappelle pas tout. Mais je me souviens de l’angoisse dans les yeux de ma mère. »

En France, ils sont reçus dans un Centre d’hébergement (CADA), le temps de faire une demande de papiers. « Là, j’allais à l’école, j’ai appris le français, je faisais du foot. » Mais le bonheur ne dure jamais longtemps quand on s’appelle S. Les papiers sont refusés, la famille doit quitter le territoire et surtout le CADA.

D’abord hébergé par un oncle, S. partage sa chambre avec 7 autres personnes dont sa mère, sa sœur et son grand-père. Il ne va plus à l’école. il n’est qu’un sans-papiers, sans autorisation d’exister.

Puis, la petite famille débarque à la gare de Clermont-Ferrand, sans autre lieu où dormir. Le grand-père a perdu sa jambe. La mère a perdu l’espoir. Le gosse tient. Il voit sa famille se nourrir aux Restos du cœur ou secours populaire. Une nuit, il attend que tout le monde dorme. Il se lève, déambule dans le hall, et commence à voler. C’est sa première fois, il a 11 ans. Il veut que sa mère mange à sa faim.

Le gosse prend la méchante habitude de se lever quand tout le monde s’endort dans le hall de la gare. Il arrive à prendre de l’argent, sans se faire avoir.

Un jour, il tombe sur des dealers qui lui proposent le job. Chaque nuit, il vend, récupère, deale. Il se fait de l’argent. Il ment à sa mère qui le questionne sur la nourriture qu’il ramène.

La famille part sur le campement du 1er mai, place tristement célèbre pour avoir vu s’y installer la misère que personne ne voulait héberger. Des tentes à perte de vue à deux pas d’un stade Michelin flambant neuf.

S. continue ses larcins qui deviennent plus importants. Le voilà qui trempe dans des affaires plus grosses que lui.

Mais le gosse a désormais 15 ans, et sa mère se voit refuser encore une fois ses papiers.

La colère monte. S. ne comprend pas pourquoi sa famille n’a pas le droit d’exister. Il continue « ses conneries. » Et se fait prendre évidemment.

Placé en Etablissement judiciaire (EPE) , il fugue.

On le rattrape, il a encore frappé, plus fort cette fois avec un vol avec violences. On le met en prison. 7 mois. « Le bruit, le cri, les douches, la saleté…Il n’y a pas pire que la prison. »

A 16 ans, il atterri là, au CEF, Centre Educatif Fermé. Il est le padre, ici. Celui que chaque autre ado écoute. Il fait la morale quand l’un manque de respect à un éducateur. Il demande le silence quand en classe, il y a trop de bruit. Il a envie de s’en sortir. « Mais, je ne pourrai pas tout seul, si la France ne m’aide pas. Si la France ne veut pas de moi. »

S. a tout compris de l’injustice et du déterminisme social. Né sous la mauvais étoile. Il le sait. Il ne baisse pas les bras pour autant. Surtout que certains savent reconnaître en lui le bon gosse. Notamment son amoureuse. Une jeune fille sérieuse qui bosse et lui a bien dit que c’était sa dernière chance.

S. s’est agacé la dernière fois. Il en veut aux racistes, à Macron, à la France de ne pas accepter les étrangers. « C’est en rejetant les gens, qu’on les rend mauvais, moi j’étais un gentil petit garçon avant. Je n’ai jamais voulu être un délinquant. Je n’ai pas eu le choix. » S. a souvent envie de pleurer, mais se retient toujours.

Parce qu’il y a un truc qui le retient : l’espoir de ce jour. Ce jour où sa mère recevra ses papiers. « Je serai heureux, tu ne peux pas t’imaginer, ça fait 9 ans qu’on attend nos papiers. Quand ma mère les aura, je pourrai enfin être heureux. » S. veut prendre un appartement avec sa chérie qui l’appelle chaque semaine.

Et surtout, quand il sera posé, il veut aider les autres. « Je ne veux pas que d’autres petits garçons dorment dans la gare, voient le regard dégoûté des passants. Je ne veux pas que des enfants deviennent mauvais comme moi, guidés par la colère et parfois même la haine. » S. veut accueillir les étrangers, les aider à faire leurs papiers. Il aura une belle maison et un travail. Des enfants. Tout ira bien.

S. a bien compris que le système trie les humains. Sa révolte légitime, il la cale au fond de son regard. Perçant et déterminé. Parfois, il a besoin qu’on le prenne dans les bras, qu’on le soutienne, qu’on le secoue, qu’on l’emmène en ville, qu’on lui offre une clope.

Parfois, S. se tait. Il sait qu’il en aurait des choses à dire. Des souvenirs atroces d’une enfance brisée. Il lève la tête. Sourit. « Bientôt, ce sera bien. Bientôt, je serai heureux. » Puis, il se lève de sa chaise, s’excuse pour ce récit. Pour cette vie brisée. Désolé qu’on ait à entendre ça. Comme si le vivre n’était que le plus simple. « Et puis, il y a des gens qui vivent pire que moi. Tu sais, je connais des gens dont la famille a péri sur les embarcations dans la méditerranée. Il faut penser à tous ces gens. Moi, je ne suis qu’un exemple de vies brisées parmi des millions. Et je leur dis à tous, courage. Il faut s’accrocher. »

Il referme la porte derrière lui, délicatement. On l’entend reprendre son souffle avant d’aller refaire le pitre et de crier dans les couloirs une vanne à un de ses éducateurs.

On reste là, le micro encore ouvert. On regarde l’éducatrice. On croit désormais connaître la réponse à la question qu’on lui a posé tout à l’heure. « Sommes nous parfois victimes avant d’être coupables?« 

Lui a répondu, après un petit délai de réflexion. « Je suis coupable, j’ai volé des gens. Mais attention, que des gens riches. Jamais, je ne volerai quelqu’un qui ne peut pas se racheter ce que je lui ai volé. »

Etre juste dans l’injustice. Demander pardon pour l’histoire qu’on balance. Avoir de l’empathie pour pire que soi. Et ne pas comprendre qu’on est quelqu’un de gentil, au-delà des faits commis.

S. aura 17 ans. Il attend ses papiers depuis ses 8 ans. Il a dormi dans une maison sans brique ni tuile, dans une chambre à 7, dans les couloirs d’une gare, sous une tente sur une place clermontoise, en prison, en EPE, en CEF. Mais, bientôt, il dormira dans son appartement avec son amoureuse, et pourra y inviter sa mère. C’est promis.

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2 réflexions sur “S. « J’étais gentil avant… »”

  1. Pour avoir vécu les interviews en live, de les lire: j’en ai encore plus de frisson. Ta façon d’écrire est un don, Éloïse.

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