Pas de vacances pour les précaires

Alors que les beaux jours sont là, certains n’ont pas le luxe d’expliquer pourquoi ils sont plus juilletistes qu’aoûtiens. En effet, seulement 42% des foyers les plus modestes prennent le chemin des vacances au moins une fois par an. Pour les autres, on bricole avec ce que l’on a pour respirer un peu.

Début septembre. Le bruit des chaises qui crissent sur le sol remplit à nouveau les salles de classe. Les élèves reprennent le chemin de l’école des souvenirs plein la tête. Plutôt, certains élèves. Beaucoup ne sont pas partis faute de moyens.

Cette situation touche de plus en plus de Français. Alors que selon une étude de l’Observatoire des Inégalités (données de janvier 2024), le taux de départ en vacances des plus aisés (revenus supérieurs à 2755€) s’élève à 76 %, il est seulement de 42 % pour les plus modestes (revenus inférieurs à 1285€). Un écart qui se creuse notamment à cause de la hausse des prix dans les caddies et sur les factures énergétiques. Ainsi, les plus précaires se retrouvent encore précarisés et priorisent les achats alimentaires à toute pratique culturelle ou de loisir. La même étude révèle que 78 % des cadres supérieurs partent en congé contre 47 % des ouvriers.

Classe moyenne

Les témoignages n’ont pas été difficiles à trouver. D’abord, on tend le micro dans les rues de Clermont-Ferrand. Une grand-mère se balade avec sa petite-fille. Selon elle, les plus touchés sont les personnes âgées et les foyers aux bas salaires. Plus loin, un couple pense aussi que les classes moyennes sont souvent les plus impactées. « Ma fille c’est le cas, elle retape une maison et a de trop petits moyens donc elle n’est pas partie », précise la promeneuse.

Les passants ne se sont pas trompés. Si en effet, les personnes touchant moins de 1285€ partent peu en vacances, les études pointent surtout le cas des personnes âgés et des familles monoparentales.

Système D

« Ça fait des années qu’on est pas partis. On va juste dans ma famille qui n’est pas dans la région. Pour 3 heures de route, j’ai dû rogner sur le budget », confirme Elsa, AESH dans le Puy-de-Dôme. Séparée, cette maman d’une petite fille va profiter que cette dernière soit chez son père cette semaine pour ne pas utiliser sa voiture et économiser de l’essence. Système D 

La jeune fille comprend la situation et sait, de l’aveu de sa mère, que ce n’est pas toujours très simple. « On s’est cotisés avec son père pour qu’elle parte en colonie », se réjouit Elsa qui elle, fera l’impasse. « Des fois ça manque un peu. Je me rappelle la Grèce dans ma jeunesse. Mais je lis ou je regarde des séries qui se passent ailleurs. On a recours un peu aux rêveries, on va se balader », explique l’AESH.

Pour Yves, quarantenaire vivant près de Nantes, les contraintes sont les mêmes. Pourtant, l’informaticien à un salaire qu’il définit lui-même de correct. « Mais avec l’inflation, la facture électrique joue pour beaucoup. Le loyer ça va mais les charges en tout genre… », explique ce dernier. 

« Ça fout les boules de bosser pour ne pas partir, c’est le serpent qui se mord la queue. On bosse pour payer les factures en fait », poursuit le père de famille qui partage la garde de ses enfants. Lui aussi est honnête avec eux. « On fait des petites sorties mais ils savent qu’on ne roule pas sur l’or. J’ai pu partir en vacances 3 jours l’an dernier et j’ai galéré pendant 3 mois à m’en remettre », déplore Yves qui a 3 semaines de congés en août mais se contentera d’aller voir sa famille.

Les jeunes se la coulent douce, vraiment ?

« Les étudiants qui partent, c’est ceux qui le font avec leur famille. Sinon, il n’y a qu’à voir comment les CROUS sont encore blindés en juillet », s’agace Melody, sur un banc du Jardin Lecoq, à Clermont-Ferrand. La jeune femme, tout juste la vingtaine, déplore les nombreuses idées reçues sur les jeunes qui ne feraient rien et se la couleraient douce en été. Syndiquée à l’Union Étudiante, Melody s’est battue contre la hausse des loyers du CROUS où elle vit elle-même. « Je galère à vivre avec ce que j’ai alors que j’ai des bourses plutôt élevées. Pour les vacances, je vais rester à Clermont-Ferrand et visiter des choses », explique cette dernière.

Face à cette situation et à l’élargissement des publics empêchés, des structures prennent le relai et compensent l’absence de politiques publiques claires.

Frigo vide, tête pleine

Une étude de la Fondation Jean-Jaurès du 12 juillet révèle que plus de 50 % des Français avec enfants renoncent aux vacances par manque de moyens. Pire, la même proportion préfère cacher la raison à leurs proches. En plus de ne pas pouvoir souffler, la culpabilité rajoute un poids sur les épaules des précaires.

Et que dire des enfants ? Si certains peuvent au moins changer de ville pour voir la famille, d’autres restent à la case départ et sillonnent leur quartier sous le soleil de plomb, en juillet et en août. Le taux de remplissage des accueils de loisir permet de s’en rendre compte, à Clermont-Ferrand et ailleurs, dans les centres-villes et les quartiers. Ainsi, pas moyen de rompre avec le rythme habituel de l’année scolaire. Pas de grasse matinée ou la possibilité de faire ce que l’on veut dans la journée.

C’est contre ça que se bat, parmi d’autres structures, le Secours Populaire. « C’est une activité historique chez nous puisqu’on a toujours considéré que c’était aussi important de s’épanouir que l’aide alimentaire », confirme Adrien Thepot, du Secours Populaire 63. « L’alimentaire, c’est ce pourquoi les gens viennent nous voir mais quand on creuse, on se rend compte d’autres choses, d’autres besoins. », ajoute ce dernier.

En 2023, le Secours Populaire du Puy-de-Dôme a permis à 1200 personnes, tout publics confondus, de partir. Eux se chargent de trouver des disponibilités et les familles complètent à hauteur de ce qu’elles peuvent. Au total, plus d’une dizaine de dispositifs existent :  des colonies de vacances, des départs de familles, des séjours pour les séniors ou les vacances faites pour les mamans. « Quand t’es en situation de précarité, quand t’as le frigo qui est vide, tu ne penses pas au reste. Donc nous on organise. Il y a les vacances « Copains du monde » avec des rencontres entre des gamins d’ici ou de Guyane, Mayotte, Madagascar. C’est un peu comment planter une graine solidaire dans la tête des enfants pour en faire des adultes solidaires de demain », explique fièrement Adrien. Sans oublier les « Chantiers de l’homme » qui lient vacances et activités pratiques ou encore les séjours pour personnes sans papiers.

Que tout le monde puisse raconter un truc aux copains

Le 20 août, la traditionnelle « Journée des oubliés des vacances » du Secours Populaire aura lieu partout en France. « Cette année, on va au parc Walibi près de Lyon. On emmène 650 personnes avec 13 bus. Cette journée, c’est pour que tous ceux à qui on n’a rien proposé, puissent raconter un truc aux copains à la rentrée », précise le secrétaire général adjoint du Secours Populaire 63.

Pour ce dernier, « Ça fait partie des inégalités. Y’a des gamins qui peuvent aller chez les grands-parents mais même une colo c’est hyper cher maintenant. Y’a des gamins qui restent chez eux ou au quartier tout l’été. C’est là où le fossé social se creuse. En vacances, on se met en dehors de Clermont, des soucis, c’est plus léger et là on développe de la confiance avec les familles ».

Pour les familles, les enfants, les mères seules et tous les autres, trop précaires pour partir, ce genre d’initiatives est une bouffée d’oxygène pour penser à autres choses ou souffler un peu. Alors que même les foyers aux revenus moyens peinent de plus en plus à partir, l’impossibilité de profiter de vacances devient un enjeu majeur, lié directement à ceux du pouvoir d’achat, de l’accès à la culture et aux loisirs.

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