Il arrive avec sa maman. Triste, taiseux. Il ne comprend pas trop ce qu’il va devoir faire ou dire. « Mais, je dois parler moi ? » Il n’a jamais vu son avocate. Il n’ose pas lui parler. R. vient d’avoir 16 ans. Il vit à la Plaine, et aime les jeux vidéos, l’athlétisme et le foot.
D’ailleurs, ce jour de juillet, il est avec sa bande de copains. Ils viennent de finir une partie de jeux vidéos, et se baladent. La police arrive. Ses copains s’enfuient. Lui, il reste.
Quelques secondes plus tard, Les forces de l’ordre lui demandent de venir, ce qu’il fait de façon docile. On lui demande de monter dans le véhicule. Il obéit. Aucune résistance.
« On n’est jamais entrés dans un commissariat »
Il faut dire qu’il a été élevé dans une famille où le respect des lois et des règles est important. Son père, ambulancier, travaille pour payer les études à ses enfants. Il n’est pas peu fier des excellents élèves qu’ils sont devenus.
Là, en plein milieu du palais de justice, il montre les notes et les félicitations. Son aîné vient même de rentrer à Sciences-po. Sa mère, discrète, est aide-soignante au CHU.
« Nous n’étions jamais venu ici, ni dans un commissariat. Mais, j’ai été appelé un jour, par un policier qui m’a très mal parlé, en me disant que mon fils était en garde à vue, qu’il faudrait venir le chercher le lendemain. Pourtant, J’ai toujours eu le respect des institutions, de mon pays, même si j’ai des origines italiennes et égyptiennes. Cependant, Je suis français, mais ce jour-là, je me suis senti humilié. » Explique cet ancien géologue, diplômé d’un bac+ 6.
Un jogging noir
Ainsi, le jeune R. fera 23 heures de Garde à vue. Il expliquera maintes et maintes fois son après-midi. Dans une vidéo prise de loin, on voit un jeune en jogging et chaussures blanches casser un abribus. Ce jour-là, R. est vêtu de la même manière.
Cela suffit à procéder à son interpellation. Le jeune R. rentrera de sa garde à vue, mutique. « Notre enfant a changé, il s’est mis à avoir la haine de la police, à écouter du rap. Que s’est-il passé pendant ses 23 heures ? »
le jeune n’en dira que quelques mots. « Ils se sont moqués de mon nom de famille. Ils me demandaient d’avouer, mais ce n’est pas moi qui ai cassé l’abribus. Je ne pouvais pas mentir. Ils me disaient que si j’avouais je pouvais sortir. »
Malgré tout, l’adolescent n’avoue pas. Et le répète. Ce n’est pas lui sur la vidéo. Il n’a rien cassé. Avec ses copains, ils jouaient à la console.
Absence de preuve et vice de procédure
C’est à son tour. L’avocate, associée de Maître Canis, qui n’avait pas pu se déplacer, demande à voir la vidéo. Les images sont de très loin et en noir et blanc. Le père soupire de soulagement. « Je ne reconnais pas mon fils. Le mien est tout fin, et grand. » Sourit-il.
L’avocate plaide ainsi l’absence de preuve. Pire, un vice de procédure. Rien ne colle, ni la temporalité, ni l’enquête policière.
R. parle de son entrée en 1ere, à la barre. Il semble abasourdi par ce qui lui arrive.
L’audience est levée pour le délibéré. L’attente est longue. Mais le père a vu la vidéo : Ce n’était pas son fils. Il est confiant. Le jeune aussi. Cette histoire n’est pas la sienne.
Pourtant, si la juge ne suit pas les réquisitions du procureur qui demandait le remboursement de 6000 euros du matériel brisé (Vitre Decaux à un arrêt de tram), elle reconnaît le jeune coupable et le condamne à un suivi éducatif de 6 mois. Sans que le jeune n’ait été formellement identifié sur la vidéo. Sans aucun aveu. Sans preuve.
Mutisme de R.
Alors, les parents, démunis, s’interrogent. « En fait, nous aurions dû faire des études de droit. Car, nous n’avons pas amené assez de témoignages, ni préparé cette audience. Mais nous pensions, qu’on ne condamnait pas sans preuve, dans ce pays. Nous sommes choqués du début à la fin. De la manière dont les policiers nous ont méprisés, et de la façon dont la justice avait besoin de trouver un coupable. Et maintenant ? R. va avoir un éducateur pendant 6 mois. On ne sait pas trop ce que cela signifie. Mais, n’est-ce pas par l’injustice que naît la colère? Notre fils a changé avec cette histoire. Il a 16 ans. Il prend pour un autre. R. est pris pour un autre. Je ne peux plus lui demander d’avoir confiance en la police ou la justice. Qu’est-ce que cela va provoquer en lui ? »
La famille réfléchit pour faire appel. R. n’a pas dit un mot depuis le jugement…
Un comité de soutien
Par ailleurs, un petit collectif de 5/6 personnes était venu pour soutenir la famille et distribuer des tracts pour la marche unitaire de demain contre le racisme et les violences policières. Il a été chassé par la procureure, qui a signifié qu’il s’agissait ici d’un lieu privé.
Cependant, après quelques recherches, il s’avère que le tribunal, ses abords, sa cour sont en fait un lieu public. Il est donc, tout à fait possible d’y manifester, à la condition de ne pas troubler l’ordre public. D’ailleurs, ce même jour, les greffiers et greffières étaient en grève au même endroit.