La mobilisation est inédite. Hier, la totalité des AED du lycée Pierre-Joël Bonté a débrayé. En effet, la CGT éduc’action a posé un préavis de grève après des alertes adressées à la direction de l’établissement, restées sans réponses. Face à de nombreuses problématiques, les 17 personnes travaillant en tant qu’assistants et assistantes d’éducation ont cessé leur activité et ont convoqué la presse pour mettre en lumière leur action.
Coup de pied dans la fourmilière
17 travailleurs et travailleuses, 17 grévistes. Carton plein. « Même les réfractaires qui ne voulaient pas au début ont dit que si tout le monde le fait, eux aussi car c’est intenable. », indique une surveillante depuis la Maison du Peuple où a eu lieu la conférence de presse hier.
Pour eux, la situation est trop grave. Alors les AED ont décidé de frapper un grand coup. Si ce préavis concernait la journée d’hier, mardi 23 janvier, son action s’étendait également sur la nuit précédente (celle du 22 au 23) et la nuit suivante (celle du 23 au 24). Ainsi, pas d’internat à Pierre-Joël Bonté. Le message est fort.
Pas le temps de souffler
Pierre-Joël Bonté (PJB) est un lycée « polyvalent ». À la fois général et professionnel. On y accueille donc de nombreuses filières différentes et près de 1000 élèves. Afin de les accompagner, 17 assistants et assistantes d’éducation, à temps plein ou pas. Certains sont là pour l’année, d’autres depuis un peu plus longtemps.
Pour quelques-uns, pas le temps de souffler. Alors que la loi impose au moins 20 minutes d’arrêt pour 6 heures consécutives travaillées, certains font des amplitudes bien plus longues sans repos. C’est notamment le cas à l’internat où l’on peut enchainer 17h45-8h sans s’arrêter.
La justification de la direction est poussive. Pour la proviseure, les AED travaillant à l’internat n’ont bossé que 5h15 quand sonne 22 heures, moment du couché des élèves. La nuit est ensuite une pause par principe selon elle.
« Surtout, on ne peut pas manger ce qu’on veut, on doit manger le menu du self. Ou alors, il faut attendre après 22 heures et manger froid car on ne doit pas se servir du micro-onde. C’est hyper infantilisant. On est sur un système hyper ancestral. », déplore un surveillant.
Travailleurs et travailleuses, pas bénévoles
Autre point de friction : les heures travaillées. Les AED sont annualisés. Ils doivent 1594 heures à leur employeur. Depuis 2005, les 7 heures dues au titre de la « journée de solidarité » sont déjà incluses dans cette annualisation chez les AESH et les AED.
Pourtant, à PJB, on dit aux AED que leur présence aux journées portes ouvertes est obligatoire. Mais ce n’est pas le cas, puisque ces derniers ne doivent pas d’heures. Pire, les heures réalisées ce jour-là ne sont pas décomptées des 1594. « La réponse type, c’est qu’on va rattraper nos heures à la fin de l’année. », ironise un salarié.
Même le dimanche
À PJB, il existe un tableau sur lequel apparaissent les noms des AED désignés pour se rendre disponibles au besoin les dimanches soir. Juste au cas où il faudrait remplacer un collègue absent à l’internat.
« On nous a dit de ne pas aller à Bordeaux par exemple. C’est limite s’il ne faudrait pas que notre valise soit prête. », ironise une jeune femme.
Ces heures à espérer qu’un coup de fil n’arrive pas, elles gâchent la fin de week-end. Elles devraient être considérées comme du temps de travail. C’est tout simplement une astreinte. Ces heures devraient être décomptées dans les 1594 heures annuelles. Mais non. La direction exige cette mise en disponibilité. Tout remplacement effectué un dimanche soir est déduit des heures de la semaine de petites vacances non travaillées avec un coefficient de 1.5, se défend la direction.
Manque de transparence
Cette liberté d’interprétation des textes ou d’organisation du travail fait loi pour la proviseure du lycée. Les AED ont par exemple souhaité alerter sur les dysfonctionnements concernant leur temps de travail. De très nombreux salariés cumulent des heures dépassant les 1594 prévues. Avec les heures de réunion ou d’activités particulières, le compte est rapidement fait.
Un jeune homme précise que chaque semaine, lui et d’autres travaillent 41 heures au lieu de 40.5 heures. 10 minutes qui arrondissent et facilitent les calculs mais 10 minutes multipliées par 39 semaines, ça fait presque 7 heures.
Et puis, difficile d’y voir clair alors que des systèmes de calcul diffèrent selon les salariés et que parfois, on ne calcule pas du tout. « Plusieurs collègues ont des tableaux différents pour compter les heures supplémentaires car on nous dit que ça ne rentre pas dans le même cadre. », souligne une des personnes présentes.
Fin de non-recevoir
Tous ces problèmes, la CGT les a pointées dans une lettre à la proviseure en date du 18 décembre. La réponse de cette dernière, le 7 janvier, n’est pas à la hauteur selon les AED et le syndicat. « C’est une fin de non-recevoir en quelque sorte. », explique Frédéric Campguilhem, secrétaire académique et élu au CSA académique.
« Le dialogue est compliqué. On est allés dans son bureau une fois pour évoquer tous ces problèmes et ça a donné…rien du tout. », expliquent les assistants et assistantes.
Pressions
Ici, si le travail est mal fait, les rappels à l’ordre ne se font pas attendre. Une assistante raconte qu’elle s’impose de rester plus longtemps chaque semaine afin de terminer ses tâches correctement. Pas le choix. Trop de travail par rapport au nombre de bras. Un jour, pressée, elle s’applique un peu moins. Le lendemain, son chef la réprimande alors qu’elle n’était même pas censée travailler.
« Une collègue a reçu un appel à 21h30 une fois pour un problème de sortie d’élève. Le chef lui a dit que ça pouvait aller au tribunal et l’a menacé de la virer. », explique les assistants.
« Puis ils nous font sentir que si on ne fait pas comme ils veulent, ils ne nous reprennent pas l’année prochaine. », précisent ces derniers qui sont actuellement en plein dans les entretiens individuels.
Première victoire
Dans la lettre adressée à la proviseure du lycée, la CGT éduc’action pointait l’illégalité du tableau désignant des AED qui devaient se tenir à disposition le dimanche soir. Depuis, ce tableau a disparu. « Pour moi, c’est un vrai soulagement car ils mettaient beaucoup la pression. », confie une assistante.
« L’arme qu’ils avaient, c’était de montrer que quand ils ne sont pas là, l’internat est fermé, la vie scolaire aussi. », résume Frédéric de la CGT qui souligne l’impact de la grève tenue ce jour.
Le prochain grand rendez-vous de l’Éducation nationale aura lieu le 1er février avec un appel à la grève massif et national.
* Les personnes interviewées souhaitant rester anonymes, la photo mise en avant pour cet article est une image d’illustration. Elle a été prise lors d’une manifestation contre la réforme du lycée professionnel à Clermont-Ferrand en décembre 2023.