« La France ne peut pas m’abandonner après m’avoir accueillie 18 ans. »

B. est arrivée il y a 18 ans en France. Grâce à ses titres de séjours constamment renouvelés, elle a toujours travaillé, cotisé, habité et fait un enfant en France. Mais, pour la première fois, la préfecture ne lui délivre plus ses papiers. Récit d'un parcours d'une combattante.

Aucun gramme de poussière. Le tapis paraît neuf tant il est doux sous les pieds. La table basse vitrée ne montre aucune trace de doigt. Le petit appartement qui héberge B. et son fils est parfaitement coquet et entretenu.

Dans le canapé, en face de moi, B. se tient droit. Elle va me livrer son histoire, et ça l’effraie. Mais, elle n’a pas le choix. Elle doit raconter. Pour des raisons de sécurité, certains passages ici, ne seront pas relayés, et des informations resteront floues.

Guerre civile

B. prend son souffle. « Je suis née dans un pays d’Afrique où règne une guerre civile depuis bien avant ma naissance. Mes parents, mes 3 frères et moi-même avons toujours vécu la guerre. »

Alors qu’elle fait des études de médecine, elle s’engage contre le gouvernement. Très vite, sa famille et elle sont persécutées. « J’étais la seule militante parmi mes proches, mais ils ont subi des pressions à cause de moi. »

Menacée et emprisonnée

Un jour, elle est frappée et emprisonnée. « Quand ils m’ont relâchée au bout d’une bonne semaine, je crois, je savais que je ne pouvais plus rentrer chez moi. Ils me tueraient. »

A cette époque, B. n’est qu’une jeune femme d’une vingtaine d’années : « on m’a dit de fuir le pays. » Alors, elle traverse une frontière. Mais, là, les menaces continuent. « En fait, en Afrique, quand on est menacés, c’est le continent qu’il faut abandonner. »

Fuir ou mourir

Elle n’a pas le temps de prévenir ses parents, elle demande à des passeurs de l’aider. « Un soir, ils m’ont dit de me cacher dans un bateau de marchandises. J’ai fait une longue traversée et j’ai atterri quelque part en France. »

Le pays d’où elle vient n’est pas francophone. Elle ne comprend rien. « Je me suis retrouvée à Paris sans rien comprendre. Je ne sais même pas qui m’a pris en charge, et je ne parlais pas un mot. J’étais effrayée. On me donnait des adresses pour dormir, puis un jour un billet de train pour Moulins. »

Rêver de parler français

Ainsi, elle est prise en charge dans un foyer de demandeurs d’asile. « En fait, j’ai attendu 4 mois dans un hôtel, sans que personne ne me parle. C’était tellement long ! »

Mais, elle prend le temps d’appeler ses frères qui ont dû fuir aussi. « L’un d’eux m’apprend que notre mère est décédée quelques mois plus tôt, lorsque j’étais en cavale. »

B. s’effondre. Sa mère était tout pour elle. Professeure, elle lui avait donné le goût des études. Mais B. en parle peu, de peur de sombrer à nouveau dans une tristesse inconsolable. Alors, elle poursuit son récit.

18 ans de titres de séjours renouvelés chaque année

Ensuite, on l’envoie dans un CADA du Puy-de-Dôme. Là, elle est prise en charge. « J’apprends à parler le français, et peut me poser pour faire ma demande d’asile. »

Enfin, au bout de 2 ans, elle obtient un titre de séjour. « Sans papiers, je ne pouvais pas circuler librement. J’avais toujours peur. J’étais enfermée chez un ami. J’ai fait une dépression. »

Mais, tout se règle enfin. B. peut entrevoir un bout de vie normale. Avec des papiers, elle peut surtout travailler. Tant pis pour les études de médecine, elle fera ce qu’on lui propose. Ce sera la restauration.

Ainsi, elle peut prendre un appartement. Et dans son quartier, elle tisse des liens. La vie peut recommencer.

Des papiers, un travail et un enfant

Elle tombe même follement amoureuse. Un petit garçon naît de cette union qui ne tiendra pas. L’ homme a en fait une double vie, une autre famille. « Nous sommes quand même restés 7 ans ensemble, mais quand on ne veut pas y croire, on ne voit pas les choses. »

Peu importe, malgré la rupture compliquée, B. s’accroche à son fils, âgé de 3 ans à l’époque. « On a découvert qu’il avait des troubles autistiques. Il n’a parlé qu’à 8 ans. Alors, il fallait gérer le travail en plus des rendez-vous avec le psy, l’orthophoniste, l’ergothérapeute, les AVS… »

Mais B. jongle bien. Elle trouve un CDI dans une cantine scolaire. Cela lui permet de pouvoir récupérer son fils à la sortie de l’école.

La préfecture du Puy-de-Dôme

En 2021, elle obtient même un titre de séjour pour 2 ans. Un peu de répit pour cette femme qui doit renouveler chaque année ses papiers. « C’est assez épuisant et stressant à chaque fois. »

Mais, cette année, la préfecture semble d’abord l’avoir oubliée. Les récépissés ne sont valides que 3 mois. Il faut constamment refaire les papiers.

La semaine dernière, ses papiers se sont périmés. Elle n’a pas pu se rendre au travail. Puis, elle a reçu un mail le 15 septembre, on lui envoyait ses papiers du mois d’août. Pour 3 mois.

« En fait, là, j’ai des papiers valides jusqu’en novembre, après je ne sais pas ce qu’il va se passer. »

Une rentrée en 6eme

Cela fait 18 ans que B. travaille et cotise en France. Mais, sans papiers, elle se retrouvera sans droits à partir du mois de novembre, avec un enfant né ici. « Je ne pourrai plus travailler ni même toucher le chômage après 18 ans de cotisation. Mon fils ne connaît que la France. Il vient d’entrer au collège. »

Alors B. ne comprend pas : « Pourquoi m’avoir accueillie pendant 18 ans si c’est pour m’abandonner maintenant ? Ma vie est ici. La France est mon deuxième pays. »

Un nouveau gouvernement qui lui fait peur

Dernièrement, elle a vu à la télé le nouveau gouvernement. Ce n’est pas pour la rassurer. « La politique d’immigration n’a aucun sens. On ne peut pas nous jeter comme ça. Après tant d’années où je me suis intégrée, je parle parfaitement le français, mon employeur est content de moi. Je n’ai jamais volé. Je ne suis pas un danger. Qu’ai je fait pour mériter ça ? »

B. a entendu dire que la préfecture du Puy-de-Dôme était la pire de France en matière d’immigration. « Il faudra peut-être que je déménage, que je recommence tout ailleurs, quelque part en France. Car mon fils est français. »

Welcome !

D’ailleurs, c’est l’heure de le récupérer au collège. Nous partons ensemble. Au moment de fermer sa porte, je trébuche sur son paillasson. Dessus, y est inscrit « Welcome ».

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