‌ La loi de sécurité globale, que dit-elle ?

Alors que l’article 24, très controversé, a été validé vendredi dernier, le vote pour adopter la loi de sécurité globale dans son entièreté s’est déroulé mardi 24 novembre 2020, à 17h, à l’Assemblée Nationale. Elle a été acceptée par les députés avec 388 votes pour et 104 voix contre. Retour sur ce texte législatif, divisée en sept titres et trente-et-un articles.

La proposition de loi relative à la sécurité globale a été déposée par les députés LaREM Alice Thourot (Drôme) et Jean-Michel Fauvergue (Seine-et-Marne, ancien patron du RAID), le 20 octobre 2020. À la demande du gouvernement, la proposition de loi suit la procédure accélérée. Elle ne fait donc l’objet que d’une seule lecture par l’Assemblée nationale puis par le Sénat, avant d’être adoptée ce 24 novembre par les députés. Une rapidité que déplorent plusieurs députés. C’est le cas de Philippe Latombe, député Modem de Vendée, qui a exprimé, le 19 novembre, son opinion pour le média La Tribune, expliquant pourquoi il ne voterai pas pour cette loi : « Pas d’étude d’impact, pas de saisine de la CNIL, pas d’avis du Conseil d’Etat portant sur l’ensemble du dispositif. Pourtant l’idée d’un continuum de sécurité et d’une montée en compétence des polices municipales aurait pu être un beau projet. C’était d’ailleurs celui de la proposition de loi initiale, et cela aurait dû s’en tenir à cela. » Jean-Luc Mélenchon, député des Bouches-du-Rhône et président de la France Insoumise, a demandé au président de cette Assemblée (nationale), Richard Ferrand, la possibilité de consulter le Conseil d’État. « Il m’a répondu que pour qu’il le fasse, il faudrait que le délai soit suffisant. Celui-ci est de deux mois d’après lui. Or il se trouve que cette loi, à peine proposée le 20 octobre, arrive devant notre Assemblée le 16 novembre. » explique-t-il devant les parlementaires le 17 novembre 2020. Mais que dit le texte de cette proposition de loi ? Divisé en sept titres et trente-et-un articles, il accorde plus de pouvoirs à plusieurs instances de sécurité.

Plus de compétences pour la police municipale et les services de sécurité privées.

Le premier volet se concentre sur les compétences accordées à la police municipale. Des articles un à six, il propose d’élargir, à titre expérimental, les missions de la police municipale à des missions de police judiciaire : elle pourra constater des infractions au code de la route, des délits, procéder à des contrôles d’identité ainsi qu’à des saisies (vente à la sauvette, conduite sans permis, ivresse sur la voie publique…). L’article quatre prévoit aussi d’instaurer une police municipale à Paris.
Le second titre de cette proposition de loi, composé des articles sept à dix-neuf, concerne les activités du secteur de la sécurité privée : des dispositions sont proposées pour encadrer ces activités. Le CNAPS (Conseil National Des Activités Privées De Sécurité) pourra par exemple « prononcer des sanctions financières à l’encontre des personnes salariées relevant du secteur des activités privées de sécurité » (art.9) et ses agents pourront « constater par procès-verbal certaines infractions au code du travail dans le cadre des contrôles qu’ils opèrent (travail dissimulé, emploi de personne étrangère sans autorisation, etc.) » (art.8). Les autres articles définissent l’encadrement de la sous-traitance, les conditions d’embauche, les tenues portées et les missions autorisées ou non autorisées pour les agents de sécurité privée : l’article dix-huit supprime par exemple « l’habilitation spécifique et l’agrément pour réaliser des palpations de sécurité« .

Une loi liberticide : la vie privée et la liberté d’expression non respectées.

Les articles suivants, de vingt à vingt-cinq, regroupant deux titres de la loi, sont ceux qui posent le plus problème à l’égard des libertés fondamentales de la population.
Le troisième volet de ce texte se penche en effet sur la « vidéoprotection et la captation d’images » : des articles vingt à vingt-deux, la loi prévoit « la possibilité de transmettre des images des caméras piétons en temps réel au poste de commandement du service concerné, en cas de mise en danger des agents de la puissance publique« . La loi limite toutefois le visionnage des images issues des caméras mobiles au cadre d’une procédure judiciaire ou d’une intervention. Quant à l’article vingt-deux, il permet l’utilisation de caméras sur drones par la police. Afin de justifier l’enregistrement et l’exploitation de ces images, une nouvelle finalité est prévue : « L’information du public sur les circonstances de l’intervention. » Malgré cela, de nombreuses organisations non gouvernementales dénoncent le non-respect des libertés sur la vie privée des citoyens.
Mais la loi ne s’arrête pas là. Le titre quatre, composé des articles vingt-trois à vingt-sept, comprend notamment le renforcement des sanctions en cas d’agression à l’encontre d’agents des forces de l’ordre. Il supprime, pour les agresseurs, les crédits de réductions de peine. Il y a aussi l’article vingt-quatre dans ce titre, qui est très critiqué mais qui a été validé par l’Assemblée Nationale, vendredi 20 novembre, avec 146 voix pour et 24 contre : il interdit «le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale autre que son numéro d’identification individuel». Cet article a suscité de vives réactions auprès des députés et de la population. Philippe Latombe explique que le fait qu’ «interdire de filmer les forces de l’ordre revient à leur assurer l’impunité en cas de dérive». A l’Assemblée Nationale, Jean-Luc Mélenchon s’adresse à Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur qui défend le texte, en disant : « Vous êtes l’exécutant des demandes de deux syndicats de police qui sont en train de pourrir les relations de la police avec la masse de la population. Ce n’est pas l’idée que nous nous faisons du métier de policier. Un policier, sa mission ne consiste pas à 90% de répression mais à un accompagnement, une présence comme gardien de la paix« . Pour Jean-Michel Fauvergue, co-rapporteur du texte et ex-patron du RAID, « il ne s’agit en rien d’empêcher les journalistes de travailler mais de regagner du terrain dans la guerre des images que l’autorité, l’État en particulier, est en train de perdre« , a-t-il précisé à l’Assemblée le 17 novembre. Justement, Claire Hédon, journaliste et défenseuse des droits depuis juillet 2020, réclame le retrait de cet article qu’elle juge inutile et inacceptable, le 20 novembre, sur l’émission « Direct Bourdin ». Elle rappelle que les vidéos tournées lors d’interventions de policiers sont « très utiles quand il y a des dérapages des forces de sécurité » et qu’il faut savoir, quand de tels cas sont identifiés, « le reconnaître et qu’il y ait sanction« . Les manifestants contre cette loi dénoncent la perte de libertés ainsi qu’une dérive autoritaire de la part de l’État.
D’autres députés alertent aussi sur l’article vingt-cinq, comme Fiona Lazaar, deputée LaREM pour le Val-d’Oise : « Cet article me rend mal à l’aise, il va permettre aux forces de l’ordre de pouvoir rentrer dans des établissements publics avec leurs armes lorsqu’ils seront hors service. Quelles dérives cela pourrait-il entraîner ? » En effet, l’article empêchera aux gérants de lieux publics le fait d’interdire l’entrée à un agent de sécurité hors service, même s’il a son arme sur lui.

Diverses autres dispositions, montrant une loi « fourre-tout »

Quant aux trois derniers titres de la proposition de loi relative à la sécurité globale, ils portent respectivement sur la sécurité dans les transports et la sécurité routière, le fait de limiter la circulation d’articles pyrotechniques et sur l’application de ce texte de loi sur les territoires d’Outre-Mer.
L’article vingt-huit du titre cinq concerne donc l’élargissement des pouvoirs des agents de sécurité des opérateurs de transport : Il permet la pérennisation des caméras mobiles pour les agents de la RATP et de la SNCF mais aussi au service de sécurité interne de la SNCF d’intervenir dans les commerces des gares ainsi que dans les lignes de bus de substitution. Mais l’article vingt mentionne aussi que les agents de la SNCF et de la RATP pourront « visionner les images déportées, sous le contrôle des services de police et de gendarmerie« . L’article vingt-neuf réforme la procédure du contrôle de l’alcoolémie au volant en permettant l' »extension du champ des contraventions« .
Le titre six, composé de l’article trente, vise à lutter « contre la circulation d’articles pyrotechniques, mortiers d’artifices notamment, dont l’usage est encadré. » Des sanctions sont donc prévues pour la vente, l’achat, la détention ou utilisation de ce genre d’articles.
L’article trente-et-un du dernier titre rend « applicables les dispositions de la présente proposition de loi dans les territoires ultra-marins. »

Comme le disent de nombreux médias ayant étudié le texte, cette proposition de loi contient « un large éventail de mesures« , donnant « un côté fourre-tout ». En effet, la loi regroupe des dispositions pour des instances de sécurités bien distinctes aux compétences et domaines bien différents. Après le vote de l’Assemblée Nationale du 24 novembre pour valider ou non ce projet de loi, le texte passera au Sénat, puis devant le Conseil Constitutionnel. Si ce dernier juge la loi comme étant liberticide et donc contraire à la Constitution, elle sera retoquée.

  • Sources :
  • Assemblée Nationale :
  • http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/securite_globale1
  • http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/actualites-accueil-hub/securite-globale-examen-de-la-proposition-de-loi-en-premiere-lecture
  • Médias :
  • France 24 : https://www.france24.com/fr/france/20201121-loi-s%C3%A9curit%C3%A9-globale-des-ong-alertent-sur-les-cons%C3%A9quences-dangereuses-pour-les-libert%C3%A9s-individuelles
  • FranceInfo : https://www.francetvinfo.fr/politique/proposition-de-loi-sur-la-securite-globale/securite-globale-l-article-a-lire-pour-comprendre-la-proposition-de-loi_4183579.html
  • Avis des députés :
  • Philippe Latombe, article : https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/pourquoi-je-voterai-contre-la-proposition-de-loi-securite-globale-862818.html
  • Jean-Luc Mélenchon, discours à l’Assemblée Nationale : https://www.youtube.com/watch?v=QZ336QuOnEo
  • Les autres citations de députés ont été trouvées dans les articles cités précédemment.

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