« Pour la première année, je ne prendrai pas mon adhésion à l’ADAPEI 63 »

Le fils de Marie est placé à l'ADAPEI 63 depuis plus de 30 ans. Mais, ces dernières années, elle a vu les conditions d'accueil, de service mais aussi le lien avec les professionnels se dégrader. Elle a décidé de prendre la parole.

Dans son F2, Marie* boit son thé sans théine, et picore son croissant. Sur la table, le rapport d’activités de l’ADAPEI 63. Accrochées sur le mur, les photos de son fils, qui sourit. Marie ne pensait pas qu’un jour, elle aurait à témoigner contre l’ADAPEI.

Car, son fils, Julien y est depuis ses 4 ans. Il en a 35. « Je n’ai jamais rencontré de problèmes, jusqu’à peu. J’ai beaucoup de reconnaissance envers la plupart des professionnels qui ont pris en charge mon fils. » Julien s’exprime, marche, mais ne peut pas se débrouiller seul. « On doit lui dire de faire les choses, sinon, il ne s’auto-gère pas. » Ce retard serait dû à un accident de grossesse. Aucune explication autre n’a été donnée à la famille. « Il n’a parlé qu’à 4 ans et marché à 2. » Petit, il fait des crises d’épilepsie, puis des occlusions intestinales. Ses parents se séparent quand il a 13 ans. « L’acceptation du handicap dans une famille n’est pas simple. »

7 ans d’attente pour une place en foyer

Mais, Marie adhère depuis le début, à l’ADAPEI, s’investit. Elle est assistante sociale au département, connaît bien le milieu.

Puis, Julien a 20 ans. La prise en charge change, c’est un adulte. « Il a été mis en foyer à la journée. Nous avons dû attendre 7 ans une place en internat. Dans mon F2, je dormais sur le canapé, pour qu’il ait sa chambre. »

Marie a deux autres filles.« Un jour, je leur ai dit que je n’en pouvais plus, que j’allais entamer une grève de la faim devant le siège de l’ADAPEI. Mon aînée a prévenu la direction. » 15 jours plus tard, Julien a une place dans un foyer à Clermont-Ferrand.

« Ils étaient 12 résidents et mon fils était le plus jeune. » Il y entre en septembre 2021. « C’était très bien, la cheffe de service de l’époque est formidable. » Mais, elle part en 2023, en expliquant, la voix basse : « C’est très compliqué avec l’équipe. »

La vie suit son cours. Julien rentre un week-end sur deux chez sa mère, et l’autre chez son père.

Engelures aux mains

Mais, en novembre 2022, Julien se rue sur la nourriture, à peine arrivé dans l’appartement, et dort. « J’étais obligée de le réveiller le matin. Et il me disait juste qu’il avait très faim au foyer. »

Puis, un week-end, il rentre des tâches rouges sur les mains. « J’ai cru à des piqûres d’insectes. J’ai acheté une pommade, mon ex-mari aussi. »

15 jours plus tard, Julien revient avec des engelures et des crevasses profondes aux mains et aux pieds. « Là, j’ai demandé des explications. On m’a répondu que personne ne savait d’où ça venait et qu’on n’avait pas pensé me prévenir. » L’éducatrice a refusé de regarder, repoussant Julien, prétextant ne pas être médecin.

Les photos sont sans équivoque. Les doigts ont triplé de volume. Le médecin est étonné que rien n’ait été fait, que l’infirmière n’ait même pas été prévenue. « Julien n’avait qu’à nous dire s’il avait mal » lui rétorque l’éducatrice.

Ce jour-là, Marie veut prévenir la police, mais on la retient. « Venez, on va parler dans le bureau. »

Julien a perdu 3,5 kilos en un mois

Alors qu’elle présente son fils au rendez-vous médical pour les engelures, le médecin le pèse. « Je m’inquiète il a perdu 3,5 kilos en un mois… » Marie repense alors à sa faim le week-end. Le médecin le questionne. Julien avoue qu’il a très faim au foyer. 

A la structure, on avoue ne pas l’avoir pesé depuis plusieurs mois. Marie apprend que les goûters ont été supprimés. « J’ai pensé aux autres résidents dont 5 n’ont plus de parents. »

Mais quand elle demande des explications, on lui rétorque : « L’équipe se plaint de vous, elle a une animosité à votre égard. » L’équipe remet même en cause les résultats médicaux. « Le directeur me demande de chercher un autre établissement, veut me faire signer un papier où est écrit que je veux changer mon fils de lieu. Je refuse. Mon fils n’a pas à changer. »

Aucune hygiène dentaire

Deux fois par an, Julien a rendez-vous à la fac dentaire. Mais ce jour-là, la dentiste convoque la maman. « Le détartrage a duré plus d’une heure, et ça saigne beaucoup, il n’y a aucune hygiène. » Marie sait que si on ne dit pas à son fils de se brosser les dents, il ne le fera pas. Elle se renseigne donc au foyer. « Quitte à passer pour la maman pénible » sourit-elle. « On m’a dit d’acheter une nouvelle brosse électrique. » La dentiste a d’ailleurs fait un courrier que nous avons récupéré et qui confirme le manque d’hygiène.

Son fils maigrit toujours, elle décide de proposer d’acheter elle-même les goûters et installe un petit frigo dans la chambre de son fils. « Je fais les petits paquets par jour et Julien se gère tout seul. » Sauf pour une chose : il sait laver sa cuiller, à la condition qu’on le lui dise. Or, personne ne le fait. Personne ne lui lave. « Je retrouve des couverts sales, qui ont servi plusieurs fois. Je ne comprends pas que personne n’ait l’idée de lui laver ou de lui dire de les laver. »

Punaises de lit

Plus tard, elle emmène son fils chez le dermato. « Il avait plein de piqûres, dues à des punaises de lit. » 9 mois avant, c’était dans la chambre d’un autre résident. « J’ai dû tout racheter. »

En raison de son amaigrissement, Julien subit une transfusion de fer descendu à 8.

Les salariées sont désagréables avec Marie. « Je prends des remarques sur ma vie privée et ma relation avec mon ex-mari. »

Une autre problématique est entrée dans l’équation depuis peu. Chaque année, Marie fait des chèques pour l’argent de poche. Jamais, elle n’a questionné qui que ce soit quant à l’utilisation de la somme. Mais en 2024, on lui dit qu’elle doit 150 euros.

Aucun justificatif sur l’argent de poche

« Nous n’avons aucune info sur les sorties, ou activités. J’ai donc demandé des justificatifs. Et je n’ai reçu que 48 euros de facture. En 3 ans, c’est 1000 euros, dont je n’ai aucune trace. »

A ce jour, les dépenses n’ont toujours pas été justifiées. Et la comptable est en arrêt maladie depuis cette même période.

Un jour, elle vient au foyer. Elle sonne au portail. Personne ne répond, elle décide de passer par le petit chemin. Elle est reçue par une AMP à laquelle elle dit, en riant : « Personne ne répond, on ne va quand même pas escalader le portail ! »

Accusée d’avoir escaladé un portail, à 70 ans !

Quelques jours plus tard, elle reçoit un courrier que nous nous sommes procurés, par le directeur qui commence ainsi : « Je fais suite à une série de comportements inacceptables (…) Vous avez pénétré dans l’enceinte du foyer en escaladant le portail… » Le courrier se termine tel un « dernier avertissement ».

Marie éclate de rire en relisant le courrier. « Comment moi, femme de 70 ans , d’un mètre 60, j’aurais pu escalader le portail ? On m’accuse sans preuve et il faudrait encore que je me taise. »

Le harcèlement subi par cette maman s’accompagne souvent de propos tels que : « Non, mais Julien n’a pas sa place ici. » Elle le sait, ce qu’ils veulent c’est réussir à « virer mon fils. »

Et tout se retourne contre elle. « Quand les histoires de maltraitance à La Roussille se sont sues, j’ai dit que c’était bien. On m’a dit que je prétendais qu’ici aussi ils étaient maltraitants. »

Marie n’ose le dire mais les engelures, elle ne sait toujours pas d’où elles viennent. « J’ai même pensé qu’on lui faisait prendre des douches froides, tellement je n’ai plus confiance. »

Puis, Julien se remet à faire des crises d’épilepsie, souvent la nuit. En accord avec une nouvelle salariée, elle décide d’acheter un babyphone. Mais quelques jours plus tard, on lui demande de le reprendre : « On ne veut pas être surveillés pendant notre travail… »

Des salariées qui hurlent sur les résidents

Julien se plaint particulièrement d’une éducatrice. « Elle me crie tout le temps dessus. » En effet, Marie a déjà assisté à des scènes où elle l’a entendue hurler sur une résidente dans la salle de bains commune. « L’éducatrice est partie en hurlant, et la résidente est restée au moins 5 minutes seule à pleurer. » Ce jour-là j’ai cru mon fils qui me répétait qu’elle était méchante.

Certains résidents ne parlent pas et ne peuvent pas raconter. Julien le fait un peu. Pas assez. « S’il m’arrive quelque chose, je sais qu’ils lui mèneront la vie dure. Elle est là mon angoisse. »

Pour ces raisons, la mère a saisi un avocat. « Chaque mois, je verse 580 euros pour l’internat, je fournis les goûters, et enfin mon fils a repris du poids. Mais j’ai besoin de savoir comment est traité mon enfant, au quotidien et où va l’argent de poche. »

76000 euros pour une thèse

Son nouvel avocat a donc instruit une mise en demeure, et n’hésitera pas à entamer des poursuites pénales pour maltraitance et harcèlement. L’avocate de l’ADAPEI a écrit un courrier avec toutes les accusations possibles, prétextant que les tâches sur les dents étaient de la responsabilité de la mère, par exemple. « Ils veulent nous faire partir par n’importe quel prétexte. »

Sur le rapport d’activités de l’année dernière, elle découvre que l’ADAPEI investit pour 76 mille euros sur une thèse d’une étudiante, concernant l’auto-détermination. « Ca me met en rogne, car en institution, ce n’est pas vrai que les résidents peuvent décider. Ils ne décident pas de ce qu’ils peuvent faire. Ils ne décident pas de qu’ils mangent, alors l’auto-détermination, hormis entre le pull rouge et bleu…On met 76000 euros pour ça, avec le président d el’ADAPEI comme tuteur de thèse, et on enlève les goûters aux résidents…Est-ce sérieux ? » s’indigne-t-elle avec la grâce qui la détermine.

« Ce qui me désole, c’est qu’en règle générale, j’ai eu affaire à de très bons professionnels, mais il faut bien l’avouer dans ce foyer, c’est l’enfer. Et j’ai l’impression que ça se dégrade partout à l’ADAPEI. On entend des histoires dingues. Une femme de 80 ans qui a repris son fils, un père qui a enlevé sa jeune fille de l’internat. On sait ce qu’il se passe à l’IME de La Roussille. J’ai l’impression qu’on laisse en place des salariés maltraitants envers les familles et les résidents, et qu’on punit les mauvaises personnes. Mais, je me battrai jusqu’au bout. J’ai été maltraitée. Je mérite d’être respectée, mon fils aussi. Pour la première fois depuis 30 ans, je n’adhèrerai pas à l’ADAPEI… »

*Les prénoms ont été modifiés

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1 réflexion sur “« Pour la première année, je ne prendrai pas mon adhésion à l’ADAPEI 63 »”

  1. Réactions à chaud.
    Ces témoignages sont ahurissants. Ne pas prendre soin des personnes qui ont besoin d’une assistance soutenue ou au moins constante est un acte de maltraitance. Dans cette institution, qui n’est pas une énorme institution, ces faits ne peuvent pas passer inaperçus. Intentionnelle ou institutionnelle, la malveillance est ce à quoi sont exposés les usagers et leurs parents. Ces situations passées sous silence (car avant Mediacoop, qui avait ouvert les portes de cet enfer), sont comparables à celles connues dans les EHPAD privées. L’ADAPEI a contribué par ses décisions gestionnaires ( plus de gouters par exemple) à dégrader le care, le soin que les soignants ou les aidants prodiguent tout au long de leur journée de travail. Et quand je lis le terme  » manager de proximité » on voit ce que ce terme laisse supposer. Une dénaturation des relations. On trouve des managers en entreprise ou dans l’assurance, pas dans le champ social. Les gestionnaires et leurs mandataires désignés pour faire de l’argent ont donc dégradé des vies et mis en danger des personnes vulnérables. Mais au bout de la chaine de commandements, quels sont ceux qui ont accepté ces directives toxiques. C’est pas possible d’agir ainsi et pourtant si. On est retourné au temps de grand enfermement des personnes socialement désignés comme malades, handicapées, déficientes comme avant la révolution française.

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