Amadi, le chemin de la vie…

Amadi envoie un message, prend rendez-vous et arrive pile à l’heure. Puis, il se pose et raconte. Se raconte. Sa vie, la violence, la peur, mais aussi sa joie d’être là, enfin, prêt à en découdre avec le bac, les filles, les profs comme tout jeune ado de son âge. Il fait partie du prochain film de Mediacoop qui a décidé, en partenariat avec le café-lecture Les augustes, Radio campus Clermont, le Centre Fleura et Résacoop, de réaliser des portraits de ceux qui ont fui l’ailleurs pour avec nous construire ici. Extrait d’une histoire d’un enfant extraordinaire.

D’abord, sa vie commence par un drame, celui de ne pas connaître son père. Dans son village sénégalais, Amadi vit seul avec sa mère, qui meurt subitement alors qu’il n’a que 8 ans. C’est son oncle qui le récupère, mais l’homme trop occupé par les affaires de son gros restaurant ne prête guère d’attention à ce neveu. Pire, il le fait travailler, lui fait louper l’école et le frappe. Si fort qu’Amadi, à 16 ans, décide de s’enfuir. Son meilleur ami, l’accompagne en mobylette le plus loin possible. Ils arrivent à la frontière malienne. L’heure des grands adieux avec l’ami de toujours et ce pays qui l’a vu naître. Sa première nuit malienne, Amadi la passe dans la rue. Il ne sait pas où aller, il veut juste travailler, gagner de l’argent et construire sa vie. Une femme le récupère et l’héberge  » pas plus de deux semaines « . Il l’aide à tenir son bar. Elle lui offre le gite et le couvert. Il sait que ça ne peut être que provisoire. Elle lui donne de l’argent pour partir en Lybie.  » Tout le monde allait là-bas, alors j’ai fait comme tout le monde… Mais je ne voulais pas aller en Europe, je voulais juste construire ma vie… »

La Lybie, Amadi est obligé d’en rire pour ne pas sombrer. Il y vit l’enfer…Un enfer qui demande à Amadi de chercher ses mots, de peser son silence, de pleurer au fond de lui…En Lybie, il entend les bombes, voit des gens mourir partout autour de lui, assistent à des kidnapping, des assassinats. Il se retrouve en prison, et n’a droit qu’à un œuf par jour. Des gens meurent de faim. Il est prêt à mourir plutôt que de continuer à vivre ça…Sauf qu’un gardien de la prison comprend que le jeune adolescent n’a plus personne, qu’il ne rapportera rien. Personne ne viendra donner de l’argent en échange de sa libération, et qu’il restera croupir là, un bon moment. Alors il lui propose de travailler pour lui, de construire sa maisons, en échange d’un peu d’argent. il lui dit que la seule chose à faire est de quitter la Lybie, qu’ici, on ne survit pas en tant qu’étranger. Amadi va alors bétonner, cimenter, et se prendre d’amitié pour ce policier. Il vit caché, il voit le racisme dans les yeux des lybiens, il voit la colère d’un peuple, et les massacres dans les rues. Il sait qu’il ne peut pas faire demi-tour. «  Les frontières lybiennes sont surveillées, on t’empêche de retourner en arrière, c’est impossible. Ce pays est un piège… »

C’est en pleine nuit, grâce à l’argent amassé par son travail qu’Amadi va pouvoir le quitter. Sur un bateau gonflable avec 89 autres personnes dont des enfants.  » J’ai regardé ma montre, nous sommes montés à 3 Heures, à 5 heures, le bateau prenait l’eau. » Avec les personnes dans l’embarcation, ils parviennent à boucher le trou avec des habits et du matériel trouvé à bord. Le bateau se perd en mer. Le marin est épuisé. Voilà 3 jours qu’il navigue et pas une trace de frontière. Un gros bateau s’amuse pendant 3 heures à leur faire des vagues, en leur tournant autour, avant de partir, laissant dans l’écho du vent, les rires des fascistes venus montrer leurs muscles. Amadi a mal au ventre. Un vieillard finit par mourir. Une femme enceinte, elle aussi, meurt, sous les yeux de ses tout-petits enfants, désormais seuls à bord.

Puis, ils arrivent au bout de 4 jours en Italie. Amadi sera le dernier à sortir du bateau. Il n’a pas la force de pleurer. Pas le temps non plus, on le met dans un camp. Il ne comprend pas un mot d’italien. Il ne veut pas être ici. Autant aller en France. Il parle français. Il s’échappe et prend un train, puis deux. Arrivé à Vintimille, c’est grâce à l’aide d’une femme et de son frère qu’il pourra traverser la frontière, non sans risque. Il croit mourir mille fois. A Marseille, il prend un train sans billet.  » Je suis un supporter de l’Olympique Lyonnais, mon rêve était d’aller à Lyon. «  Mais le jeune homme est épuisé. Il a 16 ans et demi, et vient de traverser quatre pays, tout seul…Si épuisé, qu’il ne se réveille que quand les conducteurs lui demandent de descendre. Il reprend machinalement les trains suivants. C’est à un terminus qu’un contrôleur lui demande où il va .  » A Lyon, Monsieur... » «  Ca fait longtemps qu’on n’est plus à Lyon, mon garçon, on arrive à Clermont-ferrand. Je vais appeler la police pour qu’elle te récupère.  » Amadi accepte, sans fuir, sans sourciller. La police l’attend à la sortie du train. Il n’a ni papier, ni famille. Il sera pris en charge par l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance). Une famille, sa famille s’occupera de lui. depuis quelques mois, il a eu 18 ans, il passe le bac en juin pour devenir cuisinier. IL fait du foot aussi et a plein de copains, et d’amoureuses. Il triture ses écouteurs, rit de mes blagues pourries, et veut être dans le film.  » Pour raconter. » Pour exister aussi et faire comprendre. Amadi est désormais un ado comme tous ceux de son âge. En tous cas il aimerait bien, malgré les fantômes et monstres du passé. «  j’ai tout fait pour être ici, comme tout le monde. Je veux juste travailler l’année prochaine, ne coûter d’argent à personne. »

Quand je lui demande si un jour au Sénégal il avait imaginé devenir cuisinier en France, il répond par un éclat de rire. Non. Mais il n’a pas eu le choix. Pas eu le choix de laisser son meilleur ami à la frontière malienne. IL dit avoir eu de la chance d’avoir rencontré cette femme au Mali, ce policier en Lybie, cette française vers Vintimille, cette famille à Clermont. Alors Amadi sourit tout le temps, parce qu’il est vivant. encore plus vivant que les autres.  » Je ne pleure que quand on me frappe très fort.  » Et ça n’arrive plus. Alors Amadi fera partie de notre film  » Et je pourrai filmer aussi ? Et poser des questions comme toi tu as fait avec moi ?  » Oui, Amadi, tu pourras faire tout ça, et même m’apprendre à jouer au foot…En retour, on t’apprendra combien nous sommes heureux que tu sois parmi nous…chez toi…

Vous pouvez nous aider à réaliser ce film en mettant un peu d’agent dans la cagnotte :https://www.okpal.com/mediacoop/#/

Ce film est réalisé en partenariat avec le Café-lecture les Augustes, Radio Campus, le centre Fleura, et Résacoop.

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1 réflexion sur “Amadi, le chemin de la vie…”

  1. Bonjour, Amadi serait-il d’accord pour venir témoigner de son expérience devant une partie des membres de l’association Chom’actif mardi 5 novembre à 15h30 au 33 rue de Vertaizon.
    Je peux éventuellement le retrouver ailleurs s’il ne connait pas bien Clermont.
    Il s’agit de contrer le discours ambiant sur les migrants qui réapparaît parfois insidieusement dans les propos des chômeurs.
    Jean Louis 0632746222

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