Alors que 1 étudiante sur 10 est victime d’agression sexuelle est 1 sur 20 de viol, l’université serait-elle un terrain miné ? Pour la journaliste et réalisatrice Charlotte Espel, la réponse est oui. Durant plusieurs mois, cette dernière a suivi cinq étudiantes ou doctorantes, victimes de harcèlement ou de viol, qui se battent pour que les violences ne soient plus passées sous silence. Un travail servant de base au documentaire « Etudiantes en terrain miné » paru en 2024.
« J’ai commencé à chercher des chiffres et je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas d’études chiffrées. J’ai enquêté par curiosité journalistique », explique la documentariste. Mais après avoir commencé ses recherches, l’idée d’un film fait vite son chemin face à l’ampleur du phénomène.
Un constat sans appel
Pour Charlote Espel, ce choix de sujet découle d’une expérience personnelle. « C’est avant tout mon histoire. J’ai été victime en étant étudiante Erasmus », explique la réalisatrice. Comme elle, un nombre très élevé d’étudiantes, de doctorantes et même d’enseignantes sont victimes de violences sexistes ou sexuelles.
À l’Université Clermont Auvergne (UCA), peu après la rentrée universitaire 2023, une action « JEDIS » (Justice, Égalité, Diversité, Solidarité) a été lancée dans plusieurs établissements d’enseignement supérieur du territoire. Objectifs : enquêter pour dégager un diagnostic sur l’état des violences sexistes et sexuelles et mieux lutter contre. La consultation a eu lieu du 27 septembre au 10 octobre 2023, ciblant 41.956 étudiants et étudiantes, personnels, doctorantes et doctorants. Au total, 4864 réponses ont été récoltées.
S’en dégage que 55% des participants ont déjà été témoins ou victimes de violences sexistes et sexuelles dont 40% de femmes. Dans 9 cas sur 10, les VSS impliquent un ou plusieurs hommes avec une surreprésentation des enseignants ou chercheurs.
Mais alors que les étudiantes sont cinq fois plus victimes de violences sexistes et sexuelles que la moyenne des femmes, pourquoi la fac est-elle un lieu où les violences sont plus marquées qu’ailleurs ?
Quand les études et les violences sont supérieures
C’était cette semaine. Mardi exactement. Nous nous rendions sous la « baleine », immense préau à l’entrée du campus Gergovia, à l’UCA de Clermont-Ferrand. L’objectif était simple : discuter de VSS avec des étudiantes. L’opération aura été rapide. Nous n’avons eu aucune difficulté à trouver des témoignages. « Oui, il y a les remarques de beaufs de certains profs comme les couleurs choisies pour mon powerpoint », commence une jeune femme croisée à la sortie du bâtiment. « Moi, c’était lors d’une soirée BDE où un homme m’a fait des remarques sur ma tenue il y a quelques semaines », explique à son tour une étudiante, devant la bibliothèque universitaire. « Ce sont les regards insistants ou de travers aussi. On a régulièrement des personnes qui viennent nous voir pour ce genre de problèmes de violences », confirme une autre, depuis le local du syndicat étudiant où elle milite.
Selon la réalisatrice Charlotte Espel, deux phénomènes se démarquent : « les étudiantes sont plutôt agressées par d’autres étudiants alors qu’à l’inverse, en thèse, c’est plutôt les directeurs de recherche et c’est plutôt du harcèlement sexuel ».
En 2017, un cas de harcèlement avait fait du bruit à l’école des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand (ESACM). « Cette année-là, on a découvert qu’un enseignant de l’école avait harcelé des étudiantes et enseignantes. Il nous a semblé important de prendre soin des personnes victimes et de l’institution. Et aussi de nous former car on ne s’en est pas rendue compte, les étudiantes pensaient qu’on était au courant mais qu’on laissait faire. Il y a eu une enquête interne, des sanctions et un signalement au procureur », précise Michèle Martel, enseignante.
Souvent, ces violences arrivent dans les trois premiers mois d’une femme à l’université. « Les personnes sont vulnérables. C’est aussi relatif aux périodes d’intégration, on n’est pas forcément armé, on veut s’intégrer. La vulnérabilité chimique aussi. Dans les écoles de commerce, on fait rentrer les filles à 20 heures à l’open-bar et on lâche les mecs à 22 heures », explique Charlotte Espel.
Des pistes…
En 2017, un sursaut mondial a eu lieu après la vague #Metoo. Depuis, l’université tente de se mettre au diapason de la formation, de la sensibilisation, de l’écoute, de la prise en charge et des sanctions. À l’UCA, l’étude JEDIS a donné lieu à la création d’une cellule d’écoute et d’accompagnement face aux VSS et aux discriminations qui se nomme « ALEX ».
Après les évènements de 2017 aux Beaux-Arts, un cycle de conférences a été mis en place par Michèle Martel et Sophie Lapalu, autre enseignante. « On a fait venir des personnes plutôt liées au monde de l’art qui pensent ces questions pour qu’elles viennent nous donner des outils », précise Michèle Martel.
Si #Metoo est une toile de fond, une nouvelle génération d’étudiantes arrive avec de nouvelles demandes sur les VSS. Puis vient le confirment. « On a discuté avec des étudiantes. Comment utiliser nos outils récupérés lors des conférences ? », se questionne la professeure. De là débute une démarche éditoriale et la création du livre « Pour des écoles d’art féministes ! » ayant pour objet de partager le contenu de conférences, entretiens, workshops et groupes de discussion qui ont eu lieu à l’ESACM entre 2017 et 2022.
…mais encore beaucoup de travail
Si un travail sur les VSS à l’université a été amorcé, le chemin reste long. Encore trop souvent, la prise en compte des problèmes est insuffisante. 45% des étudiant(e)s n’ont accès à aucun dispositif de lutte contre les violences ou d’accompagnement au sein de leur établissement.
« Il y a encore un énorme travail. Il y a des facs qui reconnaissent les violences mais d’autres n’admettent pas du tout. On est encore très loin d’une bonne écoute », affirme Charlotte Espel qui regrette également que de nombreuses cellules d’écoute dans les facs soient en sommeil après quelques années de fonctionnement. Cette dernière espère que son documentaire sera diffusé au maximum pour ne plus que les violences sexistes et sexuelles soient passées sous silence.
Il le sera sur LCP, suivi d’un débat le 2 octobre à 20h30, le 5 à 11h, le 9 à 00h30. Puis en replay sur LCP et sa chaine YouTube jusqu’au 14 novembre.
1 réflexion sur “Violences sexistes et sexuelles : université, terrain miné”
L’article L. 712-2. 7° C. du texte qui régit les universités rend le Président « responsable de la sécurité dans l’enceinte de son établissement et assure le suivi des recommandations du
comité d’hygiène et de sécurité permettant d’assurer la sécurité des personnels et des usagers accueillis dans les locaux. »
La question est de savoir comment le ou la présidente de fac ou d’université entend assurer la sécurité des usagers donc des étudiants(es) et en particulier par rapport aux risques évoqués, recensés, réels, d’agressions sexuelles. De plus, il y faut non seulement des moyens ( cellule chargée de recueillir les événements indésirables dont sont victimes les usagers), moyens qui doivent être affichés et communiqués à tous) mais il faut aussi une garantie de résultat, que ces moyens sont suffisants pour supprimer le risque.
C’est donc bien le président du CHSCT donc le chef d’établissement qui doit rendre des comptes aux étudiantes et étudiants.
L’université est un lieu de travail comme un autre et elle se doit d’appliquer les règles de droit qui protègent la personne des comportements inadmissibles des enseignants.
Le rôle des syndicats est ici importants : est ce que la sécurité des usagers est une priorité ou pas ?