La Comédie, c’est reparti ! Demain soir, le spectacle Stadium de Mohamed El Khatib marquera le lancement de la programmation 2022-2023. C’est vrai qu’on a pas trop l’habitude mais cette année, on a décidé de suivre la Comédie de près. Loin de l’image mainstream qu’on lui prête souvent, la scène nationale de Clermont s’attache à proposer un programme de spectacles toujours variés et souhaite ouvrir ses portes à un public diversifié. Une vision portée par Céline Bréant, directrice depuis 2021.
Afin de comprendre son projet et les liens de la Comédie avec ses différents publics, nous sommes allés flâner dans les couloirs du théâtre. L’occasion de discuter avec la nouvelle directrice mais aussi avec Sam, Laure et Célia, chargés des relations avec les populations du territoire. Sans oublier notre entretien avec Mohamed El Khatib qui nous a parlé de son travail engagé et de son spectacle assez…sportif.
« Élargir le regard »
Céline Bréant vient du monde de la danse. Avant d’atterrir à la Comédie de Clermont, elle y a officié pendant plus de 20 ans. Après des débuts au Centre de Développement Chorégraphique National d’Avignon, autrement appelé Les Hivernales, cette dernière s’envole pour Roubaix où elle devient directrice du Centre de Développement Chorégraphique National, Le Gymnase.

« La danse contemporaine a toujours été poreuse aux autres arts. Elle s’intéresse à toutes les disciplines. Mais les parcours hyperspécialisés, c’est super mais ça aiguise tellement le regard que ça peut parfois le fermer. J’ai voulu découvrir d’autres champs, élargir le regard. C’est pour ça que je me suis tournée vers le pluridisciplinaire. », explique-t-elle. À Clermont, le secteur de la danse est développé et la Comédie a su s’imposer comme une scène importante. Pour Céline Bréant, le choix est fait. Après une première année compliquée par la crise sanitaire, la nouvelle directrice peut désormais conduire sa programmation dans des conditions optimales et mettre en lumière sa vision et son projet.
Un projet POP
L’acronyme est simple. « POP », ça veut dire Projet Ouvert aux Populations. Pour celle qui en est à l’origine, le mot doit charrier l’imaginaire du public et faire remonter les souvenirs culturels de chacun. « POP » doit aussi réussir à mélanger les publics, à chambouler les propositions, à frotter culture savante et populaire, rendez-vous festifs et réflexifs.
On a d’abord du mal à ne pas être dubitatifs. S’ouvrir aux populations, ouvrir ses portes ou sa programmation, c’est dans l’air du temps. De nombreuses structures dans de nombreux secteurs s’en revendiquent. Mais la Comédie veut en faire son leitmotiv, son phare dans la nuit. « En fait, il faut se poser deux questions : comment on fait pour retrouver du lien entre les gens, surtout dans le contexte actuel et après le covid et comment on frotte la culture savante et la culture populaire ? », expose Céline Bréant.
Une boite pleine d’outils
Afin de mener ce projet à bien et d’ouvrir grand ses portes, la Comédie propose plusieurs rendez-vous populaires au cours de l’année. D’abord, il y a eu Playtime, début septembre. L’événement s’est donné l’objectif d’un grand rendez-vous de rentrée. « C’est un week-end portes ouvertes où tout le monde peut rentrer dans le théâtre. », résume la directrice. Au programme : ateliers, spectacles, projections, jeux de pistes et même parcours à réaliser sur la journée. Le tout gratuitement. « Le but, c’est de faire de plus en plus de journées comme celle-ci. Symboliquement, la Comédie est un lieu populaire, c’est l’ancienne gare routière donc les gens s’y croisaient. Il faut que ce soit un lieu encore plus ouvert. », précise-t-elle.

Autre nouveauté, la Comédie lance une saison de bals. Traditionnels ou rocks, ces rendez-vous se veulent un témoin de la culture populaire de la région. Si les premiers auront lieu en novembre et juin, les équipes de la Comédie en promettent d’autres à venir sur des thèmes différents. PopUp, de son côté, aura la lourde responsabilité de boucler la saison. Entre le 8 et le 11 juin, l’événement propose de sortir du théâtre afin d’explorer de nouveaux lieus et exporter la culture aux quatre coins du territoire.
Un siège pour chacun
Cette saison, une grande place a été donnée aux enfants que ce soit par l’organisation d’évènements ou par le choix des spectacles présentés. « S’adresser aux enfants, c’est permettre de venir en famille. Leur donner dès tout petit la possibilité de développer leur esprit de spectateur. ». Mais Céline Bréant l’avoue, aller chercher de nouveaux publics, « c’est un travail de fourmi ».
Heureusement, la Comédie peut compter sur des artistes « repères » dont la performeuse Phia Ménard et sa parole précieuse sur des sujets peu mis en scène, Mohamed El Khatib et son approche documentaire de l’art, au plus près des milieux populaires, l’époustouflante chorégraphe Marlene Monteiro Freitas et le nouveau directeur du Festival d’Avignon Tiago Rodrigues. À leurs côtés, Bérénice Legrand et Jan Mertens sont les deux nouveaux « artistes associés » au théâtre et dont la mission sera de proposer des rendez-vous au public tout au long de l’année.
Et pour que chacun se sente vraiment à sa place, la Comédie accueille les spectateurs avant et après certaines représentations. Avant, c’est le moment PopCorn Live : une demi-heure conviviale d’échange avant le spectacle pour s’y préparer. Après, vient le temps de la rencontre avec les artistes depuis le hall des Pas perdus, à l’entrée du théâtre. Pour les plus réticents restent « Les 7 questions universelles pour traverser le spectacle vivant », podcast qui propose les questions essentielles à se poser pour étayer son regard de spectateur.
Ces outils, aussi précieux soient-ils, ont besoin d’être maniés d’une main de maitre. Une main qui doit sans cesse être tendue aux différentes populations du territoire. Des petites mains qui tout au long de l’année font de grands gestes et s’attachent à tisser des liens avec les publics.
Les « RP », lien entre le théâtre et les populations
Les « RP », ce sont ceux qui se chargent des relations avec les publics. Pas une mince affaire. La semaine dernière, nous rencontrions toute l’équipe dans les locaux de la Comédie. Sylvie y travaille depuis 10 ans. « Je suis arrivée dans un contexte assez difficile, il n’y avait pas de mécénat. », explique cette dernière. Aujourd’hui, 25 entreprises soutiennent le développement artistique et culturel du théâtre. Un mécénat qui n’est ni fléché, ni fermé. « Tout le monde peut nous soutenir, il n’y a pas de ticket d’entrée. Les petites entreprises sont les bienvenues, ça me demande juste plus de travail. Par contre, on refuse les structures qui ne partagent pas notre éthique. », précise Sylvie. Un mécénat de particuliers a aussi été mis en place ces dernières années.
La Comédie solidaire
Un jour, Sylvie tend l’oreille dans le couloir. Sa collègue Laure déplore la difficulté que peuvent avoir certains étudiants à se rendre au spectacle. C’est le cas notamment des élèves des Beaux-Arts. Ensemble, elles travaillent à la création d’abonnements solidaires grâce à la participation de plusieurs entreprises. « C’est frustrant de se dire que certains étudiants ne puissent pas venir pour des raisons financières. », nous dit Laure. L’initiative qui profite à certaines structures devrait peu à peu s’étendre au public jeune de façon générale.
La jeunesse : meilleure chemin vers l’égalité
Les jeunes, c’est justement le public de Laure. Cela fait 12 ans qu’elle travaille ici. Si auparavant elle s’occupait seule des publics, elle s’est peu à peu tournée vers les scolaires et universitaires. Pour elle, « le scolaire est clairement l’endroit où peut se jouer l’égalité d’accès au théâtre. Même si un enfant n’y pas un accès familial, l’école peut être un relai. ». Elle souligne d’ailleurs l’importance des professeurs « qui croient sincèrement avoir un rôle à jouer en disant aux gamins de venir au théâtre car ils y ont leur place. ».
Au total, la Comédie travaille avec une cinquantaine de collèges et lycées. Des partenariats ponctuels ou sur le temps long comme la Classe Culturelle : chaque année depuis six ans, le théâtre accueille une classe pendant une semaine afin de l’immerger dans son monde, de travailler en appui sur un spectacle et de découvrir les différents métiers liés à la scène.

Célia, elle, s’occupe des plus petits encore. Dans sa programmation, la Comédie leur fait une place particulière avec des spectacles accessibles dès 1 an. La jeune femme a à cœur de développer les outils qui permettent l’inclusion d’un public large. En développant le nombre de spectacles jeunesse en audiodescription par exemple. « Il y a beaucoup d’autres personnes à mobiliser, on ne se repose pas sur nos acquis et on a toujours à cœur d’essayer de concerner encore plus de personnes. », abonde cette dernière.
S’adapter aux publics empêchés
Célia est arrivée en tant que stagiaire en octobre. Désormais membre permanente de l’équipe, elle s’occupe plus largement des publics dits « empêchés ». Cette dernière évoque par exemple le projet Culture-justice de la Comédie : l’an dernier, le compositeur Kevin Seddiki a passé une semaine à la prison de Riom. « On parle de relations avec les publics. Le ‘avec’ est très important. Je préfère même parler des ‘populations’ plutôt que des ‘publics’. J’ai à cœur de m’adresser à une population qui n’est pas déjà conquise. Il faut sortir et proposer des choses en dehors du théâtre ».
Aller chercher les publics éloignés
En dehors du théâtre, Sam travaille quant à lui avec les publics « éloignés ». Arrivé au mois de mars, le jeune homme dédie notamment son activité aux Quartiers Prioritaires de la Ville. « J’ai envie de m’intéresser à tout le monde. C’est un travail qui passe par la connaissance des personnes qui opèrent déjà là-bas depuis des années. On ne peut pas arriver avec nos gros sabots. », confie ce dernier. Un rapprochement qui se veut à double sens avec une Comédie qui s’exporte mais qui ouvre aussi ses portes. » Il faut faire en sorte que les compagnies de théâtre des quartiers viennent bosser ici, ça passe aussi par la mise à disposition de nos locaux ».
À sa gauche, Laure acquiesce. « Le théâtre, c’est un super outil, même si on ne regarde pas une pièce, on peut visiter, voir la scène et ce qu’il y a derrière. ». Pour son équipe comme pour la directrice de la Comédie, la billetterie doit passer après la mission de diversification du public. « On est financés par de l’argent public, c‘est normal que tout le monde puisse en profiter. Politiquement, le projet fait sens avec notre travail de relations avec les publics. », continue Laure. Célia est elle aussi contente de la programmation. « J’ai envie de dire ‘enfin’ ! La programmation de Céline, ça facilite notre travail, on sait qu’on ne ment pas aux jeunes qu’on fait entrer quand on leur dit qu’ils ont toute leur place. Il y a une grande variété, une mixité de cultures et de langues. ».
Top départ mercredi
Allez, on vous a beaucoup parlé du fonctionnement de la Comédie, on vous parle maintenant de son programme. D’ailleurs, le premier spectacle ne pouvait pas mieux résonner avec les engagements de la scène nationale. C’est l’artiste Mohamed El Khatib qui ouvrira la saison demain.
Dramaturge, metteur en scène et réalisateur français, il est l’artiste du populaire par excellence. El Khatib a mis au plateau une femme de ménage, des gardiens de nuits ou a transformé un EHPAD en centre d’art. « Je crois qu’il y a deux questions en filigrane dans tous nos spectacles : les classes populaires, leur absence des théâtres, des lieux de culture et puis certaines questions familiales tabous, le deuil, la mort, la séparation. », indique l’artiste.
À l’origine du collectif Zirlib qui réunit toutes les disciplines du monde de la culture, il veut en finir avec le cloisonnement des formes. Cette fois, ce sont des supporters de football qu’il met sur les planches avec son nouveau spectacle Stadium. Encore une fois, il utilise son parfait mélange entre la performance et le documentaire pour transformer la vie de tous les jours en objet d’art. Et c’est le meilleur public de France que l’artiste a choisi : celui du RC Lens. « La plupart du temps, c’est le hasard des rencontres qui m’inspire. », explique l’artiste.
Allez Clermont !
Après deux ans de travail et de rencontres dans les travées des tribunes nordistes, ce dernier a su gagner la confiance des supporters. À chaque représentation, 50 montent sur scène. « Je suis guidé par la surprise et je veux que chaque représentation soit un événement unique. Je ne sais pas encore quels seront les 50 supporters et quels seront les textes. », assure ce dernier. Mais à Clermont, parmi les passionnés Lensois, une chose est sûre : quelques supporters Clermontois fouleront aussi les planches.

Surface de réparation pour réparer les consciences
Pour Mohamed El Khatib : « On n’a pas le droit de s’ennuyer quand on vient au théâtre. Je ressens une responsabilité à créer de l’art sans exclure personne. Ce qui me préoccupe, ce qui m’anime, c’est la mixité sociale, que les personnes qui se rencontrent soit très différentes. Il y a beaucoup moins de différences qu’on ne l’imagine entre un public de foot et de théâtre car de part et d’autre, ce sont des spectateurs éclairés. Sauf que dans le football, il y a toujours une part d’incertitude. Il faut en finir avec le mépris de classe qui peut y avoir dans le monde de la culture mais sans faire de leçon de morale.
Pour tous les goûts toute l’année
« C’est précieux d’être artiste repère parce que ça donne le temps de se projeter sur 3 ou 4 ans et pouvoir imaginer tout un parcours artistique avec les gens de Clermont. », se réjouit Mohamed. Pour lui, aucune pression à être celui qui ouvre la saison. « C’est plutôt comme un premier rendez-vous amoureux. ». Trois représentations auront lieu mercredi, jeudi et vendredi. Les inscriptions sont possibles à la billetterie ou au 04 43 55 43 43. Des billets à 10€ sont délivrés sur présentation d’une licence de foot à jour.
Pour le reste de la programmation, on vous laisse découvrir le livret de la Comédie ou son calendrier en ligne depuis son site web. En attendant, on vous conseille de ne pas louper les nombreux spectacles de cirque, de danse, de théâtre etc. Tout autant de représentations drôles, belles, percutantes et pleines de sens. Le mot de la fin à Céline Bréant : « J’avais un désir avec cette programmation, c’est montrer qu’on est un bien public pas réservé à une élite. Montrer qu’on est attachés à la diversité des langages et des esthétiques. Cette programmation, c’est aussi la diversité de l’humanité ».