Déshumanité…

C'est un drôle de monde qui s'avance, et au fur et à mesure, il s'agit pour nous de nous déplacer autrement pour ne pas se laisser envahir par la haine qui vient.

Il y a eu ce bouquin « L’insurrection qui vient » du comité Invisible. Aussi révolutionnaire fut-il, il est devenu largement obsolète. Ce n’est plus l’insurrection qui mène la partie, mais bel et bien la haine.

Au-delà du constat que désormais, la violence sociale a pris le dessus, et entraîne avec elle, des colères impossibles à canaliser, c’est trouver la bonne place pour rester à la fois à l’écoute et dans l’action.

Il ne faut plus jouer le jeu de la division, plus être de ceux qui savent, de ceux qui enseignent et de ceux qui ont la solution.

Il est trop tard pour cela. La confiance est perdue. Tout se joue désormais dans la division et la dualité.

En tant que journaliste, il est important de comprendre sans excuser ni juger. Et depuis des mois, des années, on veille et on se rend compte que tout a changé de camp. L’extrême-droite devient d’un coup, la résistance. Les réseaux sociaux deviennent la vérité et les gens, sans preuve, avec accablement, font la loi, décident de ce qu’est l’information, sans ne plus jamais respecter la justice, la politique et les medias.

Pourquoi ? Evidemment, parce qu’il y a eu des dérives. Parce que la loi du plus fort est une réalité qu’il ne faut pas oublier, mais qu’on ne peut pas calquer à chaque fois.

Voilà 20 ans que je fais ce magnifique métier de journaliste. Un métier passionnant qui me donne l’occasion de donner la parole à tous les représentants de la société. J’écoute, j’analyse, je comprends, et souvent, je me révolte, m’insurge, m’implique à travers mes mots.

Et de plus en plus, les réalités montrent à quel point, nous sommes devenus égoïstes, à en perdre la boussole.

Alors ces dernières semaines, nous avons vu, des habitant.e.s se battre contre l’implantation d’un centre d’hébergement pour mineurs isolés, dans une commune du Puy-de-Dôme. Puisque désormais, chacun a le droit de décider de ce qu’il adviendra de ces jeunes adolescents qui arrivent dans un pays pour sauver leur peau.

Ils mériteraient ces enfants-là, qu’on les prenne dans les bras, qu’on les console d’avoir quitté leurs parents, ou perdu un frère lors de leur long périple. On mériterait nous de renouer avec notre humanité et de nous organiser pour leur apprendre le français, les mettre à l’école, leur donner à manger. Et les rassurer encore sur leur avenir bien écorché.

Au lieu de ça, on montre la haine, la peur, le rejet.

Et que voudrions-nous récolter en retour ?

Que ces habitants de cette commune y réfléchissent. Ils sont la plaie dans ce qu’il reste de l’humanité. Ils construisent nos propres monstres. A force de rejet, ces jeunes gens qui ont besoin d’aide et de soutien alimenteront leur colère par les regards haineux de ces habitants.

Quand on a traversé des pays entiers à la seule force de l’espoir, à la seule force de sa foi en l’autre, et que d’autres viennent anéantir tant d’années de courage, de sursaut, de survie, que reste-t-il pour croire encore en l’autre ?

Que reste-t-il et que devient-on ?

Qui peut survivre à un départ de chez soi, quittant sa famille, marchant des centaines d’heures, parfois ruiné, battu, insulté, emprisonné et arrvier dans un pays qui ne veut pas de soi ?

Combien serions-nous à développer des troubles psychiatriques, à force de peur, de solitude et d’injustice ?

Nous construisons nos propres monstres. Nous les fabriquons de toutes pièces ces hommes, ces femmes, ces enfants qui finissent par brandir des couteaux, des armes, et commettent des crimes.

Mais si, nous les avions accueillis ? Cajolés ? Pris en charge ? Aidés ? Leur permettre de passer un coup de fil à leur famille. Continuer leur espoir, croire avec eux à un monde meilleur ? Les écouter. Les faire parler. Qu’ils racontent. Que l’on écoute.

Alors, on aurait évité le pire, dans bien des cas.

Il ne s’agit pas d’excuser, on n’excuse jamais un crime, un viol, un meurtre. Mais comprendre comment on en arrive là…Et prendre ses responsabilités.

Alors en tant que journaliste, quand je suis allée sur cette commune et que j’ai vu ce rassemblement anti-migrants, où se cachaient les néonazis de Clermont-Non-Conforme, j’ai eu mal à mon humanité.

Heureusement, des banderoles venaient contrer les messages de haine.

Je me suis demandé comment on devenait raciste. Car chacun aura beau s’en défendre, refuser d’accueillir ce lieu, en tant que simple citoyen, se prononcer contre, manifester, c’est du racisme. Par simple définition.

Certains l’acceptent parfaitement, d’autres le renient. Il n’empêche. Ils auront beau trouver tous les arguments pour prétendre que c’est faux, les manifestants ce jour-là ont fait preuve de racisme.

Alors comment le devient-on ?

La peur de l’autre bien sûr, parce que de l’autre on ne dit que du mal, à la télé, sur les réseaux. On prétend qu’ils piquent du boulot, qu’ils violent les enfants et qu’ils sont délinquants. Les vrais chiffres, on ne préfère pas les voir. Ce serait un comble d’assumer le fait que 97 % des viols sont commis par des français, que 78% des vols ont été réalisés par nos compatriotes, en 2022. Ce serait un comble de laisser triompher la vérité, celle des statistiques de la police et de la gendarmerie.

Devient-on raciste parce qu’on regarde trop la télé ? Les réseaux ? Parce qu’on écoute trop les rumeurs ?

Et aussi, parce qu’on flippe un peu de cette société qui ne nous assure plus rien. Ici, en France, les hôpitaux, l’école sont de moins en moins assurés. Le travail de plus en plus précaire et les courses de plus ne plus chères. Faudrait pas que ça continue.

Et la faute revient aux autres. Aux élus, aux responsables locaux.

Mais jamais à soi.

Pourtant combien sont-ils dans les rues pour défendre le service public ?

Ce n’st pas un combat que décrire un post sur Facebook. Ce n’est pas une lutte que de crier sa colère sur des pages complotistes. Ca ne fait rien avancer. Ca n’a aucune prise sur la réalité.

Il est une commune qui a gagné. Elle n’aura pas son centre d’hébergement pour mineurs isolés. Les élus ont voté, l’association ne veut pas mettre ces jeunes en danger face à des habitants menaçants et racistes.

Des habitants qui sont fiers d’avoir évité le pire.

Qui se revendiquent de véritables combattants de la citoyenneté.

Bizarrement, pourtant, dans les faits, cette commune a perdu. Son honneur. Sa fierté, son sens de l’accueil. Son humanité…

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1 réflexion sur “Déshumanité…”

  1. Pour ce maire, la pire des choses était de faire voter une motion sur l’accueil de migrants. C’est sur qu’il fallait en parler dans un conseil mais pas pour aller sur un vote car le droit d’asile n’est pas une option en France. Et la ville de Pont du Château est en France.
    Maintenant, que ceux qui ont cru bon d’ignorer le droit républicain et de donner leur avis glaçant; qu’ils regardent pour s’informer sur la question des migrations, le court document chanté et présenté par Geoffrey Oryema, sur son parcours.
    https://www.youtube.com/watch?v=8CWfik5_hjQ
    Et aussi le site de l’OFPRA.
    Une fois ces préalables partagés, on pourra échanger sur les conditions d’accueil des jeunes migrants mineurs.

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