A la rencontre de la commune de Saint Jean d’Heurs…

Nous n'avons pas choisi cette commune au hasard. Déjà en 2019, nous avions réalisé le portrait de ce village atypique, avec à sa tête, un maire communiste ou affilié, engagé pour les sans-papiers, les personnes en situation de handicap mais fédérateur dans son village qu'il fait vivre aussi grâce à un festival de Rock. Ainsi, nous sommes allés passer une journée dans le village, accompagnés de journalistes parisiens de Blast et Le Media. Une façon unique de fêter nos 10 ans !

Pas évident de faire un café dans la mairie. L’eau est dans les toilettes et le café dans un bureau de l’autre côté. Ca laisse le temps à la discussion, dans la salle communale qui reçoit les conseils municipaux, mais qui sert aussi de bibliothèque, de salle d’exposition et de lieu de vote. Le bureau de Bernard Frasiak est tout petit. « Le plus petit du département, je pense bien. » Argue l’édile qui court après des filtres pour le café. « J’ai prévenu les habitants de votre visite, les gens devraient passer vous voir. »

Et ca ne tarde pas, Michel, tout sourire, débarque dans la salle multifonctions, pile au moment où le café est servi. Le jeune agriculteur est aussi conseiller municipal. « Je suis syndiqué au MODEF 63, un syndicat qui défend les fermes familiales, proche du parti communiste. » Sur la commune, un deuxième agriculteur est installé, jeune lui aussi. Mais Michel a la particularité de vivre dans un lieu chargé d’histoire. « J’en ai même fait un bouquin de ce lieu » se vante le maire en déposant le livre sur la table.

Une vieille bâtisse, de 20 mille mètres carré, construite par un industriel lyonnais, mort dans un accident de voiture dans les années 30. Sa femme y vit seule jusque dans les années 40. Pétain, installé à Vichy, décide d’utiliser ce lieu pour les services de sécurité et transmission. « Les militaires ont travaillé pour Pétain afin de détourner l’outil pour aider la résistance » Poursuit Bernard Frasiak. « Ils ont été repérés et raflés pour être envoyés à Buchenwald. » Certains sont revenus dont le directeur du service RTF qui implantera l’antenne en 1956 sur le Puy-de-Dôme.

Ensuite, une famille pieds noirs s’y installe dans les années 60 mais s’en va au bout de 15 ans, vendant l’affaire au grand-père de Michel, résistant espagnol, ayant combattu Franco. « Il était démineur en Andalousie. Son frère a été détenu aux Baléares. » Après la guerre, il s’installe en France, y rencontre une femme issue d’une famille de droite quii prendra, par amour, sa carte au Parti Communiste.

« Le problème, c’est que mon grand-père a fait des jaloux, et les autres paysans auraient bien aimé avoir un bout de terrain. Ca a fini en bagarre ! » Si bien que le grand-père sera jugé et condamné pour violences, mais gardera ses terres, grâce à des manifestations de soutien. « Mais, ça a divisé la commune, et même quand j’étais jeune, à l’école, certains camarades me parlaient de cette histoire et m’intégraient peu. » Raconte le petit fils, désormais éleveur de chèvres et brebis.

Son grand-père décède en 1995 d’un cancer. Sa femme et sa fille reprennent alors l’exploitation, en attendant la fin des études de Michel au lycée de Marmilhat. « Ma famille a toujours milité au MODEF. L’agriculture c’est politique finalement. »

Derrière la porte, on entend s’affairer dans la cuisine. « Ce sont les chasseurs » nous indique le maire. « Demain, il y a leur grand buffet. » Suivant l’odeur de la terrine, nous voilà entourés de saucissons, rosé, et bonne humeur. « Nous sommes 23 chasseurs dans notre société, sur un terrain de 980 hectares. » Explique l’ancien président. « C’est la chasse communale. » Poursuit-il en apportant la terrine de chevreuil sur la table. « Faite d’avant-hier. » Elle sera servie le lendemain, avec un rôti de sanglier, du sauté de chevreuil, des patates au four, du fromage et des tartes. Vin compris bien sûr. « Cette année, nous avons tué une dizaine de sangliers, d’habitude c’est plutôt 5 ou 6. » Le nouveau président prend son couteau Thiers pour rompre le pain, et enfourner la terrine à l’intérieur. « La nouvelle génération est beaucoup plus prudente que nous. Avant, il faut l’avouer, il y avait beaucoup d’alcool. Aujourd’hui encore, on nous dit souvent que nous sommes des assassins.

C’est vrai que les accidents, ça arrive. Une cinquantaine de morts par an. Mais que les gens se rassurent, ce sont souvent les chasseurs les premières victimes. On se tue entre nous, par accident. Mais, je reconnais qu’on ne peut pas parler du risque zéro de la chasse. Comme les skieurs qui déclenchent des avalanches en faisant du hors piste. On ne fait pas de la chasse pour tuer les gens. Et nous sommes les premiers à déplorer les tragédies. »

Son fils, jeune homme d’une vingtaine d’années, vient de rejoindre le petit repas impromptu, il est plombier. A ses côtés, un jeune du village, commercial. « Ici, les gens votent extrême-droite, plus parce qu’ils regardent la télé et qu’ils écoutent ce qu’on leur raconte. Mais, je ne suis pas sûr qu’ils soient foncièrement racistes. » Se questionne le jeune actif qui rentre les week-ends pour chasser. « Je vote à droite. Mais, les électeurs de l’extrême me questionnent. »

Il leur reste 60 kilos de patates à éplucher, on préfère les laisser tranquilles. Et faire un tour dans le village. D’abord visiter l’église, ouverte une fois dans l’année. Et prendre conscience de l’évolution du territoire. Ici, une poste qui a fermé il y a 50 ans. Là, une caserne de pompiers désertée il y a 5 ans.

Le village n’accueille qu’une petite école de 60 élèves et un nouveau lotissement. Le tour se fait en quelques minutes à pieds. Plus loin, plusieurs hameaux reliés à la commune, mais tous dispersés. Et pour s’y retrouver, rien de plus drôle. Le maire a eu l’idée de ne mettre que des noms de musiciens ou chanteurs. Aussi, quand Jacky veut nous rejoindre en camion, il passe un coup de fil. « Je suis perdu. Je prends rue Madonna ou rue Bob Marley? »

Depuis quelques années, quatre bâtiments des Offices HLM ont fleuri dans le village. « Ca permet de peupler le village et l’école. » Ici, la gare a fermé. Les gens travaillent à Thiers ou Lezoux, ou encore à Clermont-Ferrand. « En 30 minutes, tu es à l’entrée de la ville, c’est un peu moins cher et plus tranquille ici. Cependant, il faut payer l’essence. Les transports en commun ne sont pas assez développés. Il faut prendre la voiture pour prendre le bus, c’est idiot… »

Les élèves viennent de rentrer en classe. Les volets seraient à repeindre, s’amuse-t-on. « On a 3 classes de 20 élèves chacune. On est à la limite de la fermeture de classe, à chaque rentrée. »

Dans la ruelle principale, les maisons sont toutes ornées d’une piscine. « C’est un peu dommage, car les enfants restent chacune dans la leur désormais. C’est la démonstration que le monde a changé. » Le maire reconnaît qu’ici, il manque un peu de divertissement culturel. Chaque mois, le cinéma ambulant installe un film dans la salle de la mairie. « Les jeunes peuvent faire du sport à Thiers, mais c’est vrai que l’offre culturel s’est beaucoup amoindri aux alentours. » Sur la commune, les 700 habitants se connaissent tous. D’ailleurs, un couple de marcheurs arrive à notre rencontre. « Tiens, vous pouvez les interviewer eux, ils votent Lepen. » S’amuse l’édile en arrêtant les randonneurs. « Non, moi je ne vote pas » se défend la femme tandis que l’homme se trouve des excuses : « J’aime bien les blondes moi. » Ce sera son seul argument. « On n’est pas d’accord, mais ça ne nous empêche pas de bien nous aimer. » Rectifie le maire. « C’est un peu ça le problème de la société. On divise, on ne parle qu’avec ceux avec lesquels on est d’accord, et on se prive de bons moments. Parfois, il faut savoir ne pas parler de politique électorale. La vraie vie est au-delà des clivages. »

Retour en mairie, on reparle d’une affaire qui a fait mal à toute le village. Le maire avait été accusé de propos racistes par un journaliste de La Montagne. « Lui, il n’a pas intérêt à remettre les pieds ici. Même ceux qui ont voté RN ont ri en me disant qu’ils auraient préféré qu’il ait raison. » Le maire a été très affecté par cette histoire. « J’ai bossé toute ma vie pour l’accueil des étrangers. Mais, j’ai préféré lui donner 200 euros pour qu’il arrête de raconter des bêtises pareilles. C’est difficile d’être accusé à tort de tels propos, surtout qu’il s’en est vanté dans son journal après. Ca ne donne pas envie de faire confiance aux journalistes. »

Deux cousines arrivent, tandis que le civet de chevreuil embaume toute la mairie. Elles sont voisines et retraitées. Avant, leur grand-mère tenait une supérette au village. « Et ici, il y avait un moulin. » L’une a été ingénieure, l’autre « a travaillé à l’ASSEDIC, et puis c’est devenu Pôle Emploi, et c’était vraiment difficile. »

L’aîné des chasseurs veut la clef pour le four, il intervient dans la conversation que nous entreprenons sur la télé : « Moi, je regarde Hanouna. Il dit pas que des conneries, par exemple, il a dit que le plus gros sexe d’homme c’est 35 cm. » Se marre-t-il grassement. « Ca vous en bouche un coin mesdames! »

Les deux femmes, gênées, ne répondent pas si ce n’est un « Hanouna, on n’aime pas du tout. Ca rend les gens idiots. » Elles préfèrent regarder « Affaire conclue. » Férue de belles pièces, elles y découvrent des objets anciens. « Et pour l’information, on regarde France 3, le local, c’est moins douloureux je trouve. Car le monde va mal, quand même… »

Dehors, le vent se lève. Jacky plie le auvent de son camion. Télé regain range ses caméras. Elle tenait à faire un sujet sur cette immersion journalistique à la campagne. On décide de quitter le maire, mais pas le village.

On ne peut pas partir sans aller voir les agneaux dans l’immense bâtisse de Michel. Il est dans la bergerie, entouré de ses patous. L’endroit est chargé de son histoire. Les agneaux nous grimpent dessus. Michel ne tarit pas de discours politique sur la paysannerie. « On est là pour aider les exploitants à s’installer. C’est très dur actuellement. Et on veut une rémunération juste. Je travaille de 6 heures à 21 heures. On aide tout le monde, enfin sauf ceux qui ne respectent pas leurs animaux. Ca arrive, mais il faut chercher à comprendre pourquoi. Le système n’est pas aidant. » Il raconte l’histoire de cette femme qui pour continuer de travailler, doit mettre un exosquelette d’une valeur de 5000 euros tant ses épaules sont douloureuses. « Ben la MSA n’a pas pris en charge. »

Pour lui, le monde agricole n’a plus rien à perdre. « On est clair sur certains sujets, les méga-bassines, on est contre. Mais on doit considérer les agriculteurs qui vivent avec et grâce Limagrain, car c’est une réalité. »

Michel le rappelle, c’est un suicide par jour. « Et c’est pas Lepen qui va nous aider. » La MSA a mis en place un numéro sentinelle. « Mais tu n’as pas envie d’appeler celui qui t’a mis dans la merde… »

Alors, Michel, du haut de ses 26 ans, et de son histoire familiale, continue à envoyer des communiqués de presse rarement repris. « On ne parle que de la Conf paysanne ou de la FNSEA. Mais, nous aussi, on existe. On a 600 adhérents dans le département. On mérite une place à la chambre de l’agriculture. » Les agneaux gravitent autour de nous. Ils bêlent timidement. Dehors, la nuit tombe. Au fond, la chaîne des puys reçoit un magnifique coucher de soleil rouge et orange.

La voiture démarre, dans 45 minutes, nous serons à la maison. 45 minutes qui nous séparent d’un autre monde, d’un petit village de 700 habitants qui se réuniront demain au buffet des chasseurs ou à l’été autour de leur festival Rock. Un village où le maire, sans prétention, tente d’unifier les différences et respecter les idées de chacun. Avant de partir, il a été interpellé par une des deux cousines. « On l’a attrapé celui qui balance les poubelles partout ? » Le maire acquiesce. « On sait qui c’est mais la gendarmerie ne veut pas se déplacer, on est trop loin. Je vais devoir régler ça, encore. » Rouspète-t-il. Avant de conclure : « Nos territoires ont été oubliés, à la manière des quartiers populaires. Elle vient de là, la gronde et la colère. Après, je dis ça mais je ne suis qu’un vieux maire coco, moi… »

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