Saint-Jacques, le chemin vers soi.

Le monde fou, on n'en pouvait plus. Il fallait aller prendre l'air. S'arrêter sur son rebord, et reprendre sa respiration pour se réconcilier avec lui. 4 jours hors du temps, pour revenir plus vivant.

Les morts, les cons, la haine, la vitesse, les disputes, les mails agressifs, le mal-être. Tout ne devenait que colère. Ce monde-là ne m’allait pas. Et les beaux rêves, la famille, et l’amour ne parviennent pas toujours à réparer les blessures d’un univers qui marche à l’envers.

Besoin de respirer.

Il me prend la main, l’homme que j’aime et il m’emmène. 4 jours au bout de 20 ans et deux enfants. Juste aller marcher, au plus près de la nature. Sans savoir ce qu’il y aura sur le chemin. Partir. Oublier la folie du monde. Et penser à soi.

4 jours. C’est une folie douce que d’abandonner l’actualité, l’information, Mediacoop, ce petit média créé de nos propres mains, il y a maintenant plus de 8 ans. Laisser les enfants aux grands-parents. Et partir, à pieds. Avec un sac. 2 pulls, des chaussettes, et une brosse à dents. L’essentiel. S’enfuir du superflu.

Le départ se fait du Puy. De la cathédrale. On loupe le départ officiel, et on marche. On marche. D’abord, en riant, en discutant, en regardant autour de nous. Au bout de 15 kilomètres, on s’arrête grignoter un truc. Une femme que l’on a doublée entre quand on repart. On discute 5 minutes. Lorsqu’elle pose sa veste, on prend l’ampleur du rôle du chemin. Elle ne laisse entrevoir qu’un sein. Une saleté de cancer. Un chemin vers la vie. Seule.

Le tenancier du bar raconte alors les écorchés qui s’entrechoquent avec les familles catholiques, ou les sportifs.

On reprend nos sacs, et notre chemin. On croise un jeune homme qui pique-nique sur le bord. Seul. Il a l’air si serein.

Au bout de 32 kilomètres et quelques douleurs, la pluie s’abat sur nous. Les mains se frigorifient. Notre refuge est fermé. Il faut attendre sous la pluie et le froid. Nous sommes à Monistrol d’Allier. Le village de 60 âmes est traversé par un pont Eiffel. En-dessous, le torrent me fait peur. Derrière, le gros bâtiment d’EDF en béton finit par définir un paysage des plus tristes sous une pluie battante. On aperçoit un bar, on y entre. BFM TV est en fond. On y boit quand même un café. Au moins se réchauffer les mains. Nos hôtes finissent par arriver. un couple suisse qui a décidé de péter le chemin sur lequel ils s’étaient confortablement installés. Lui l’architecte, elle l’enseignante en école alternative. Trois jolis blondinets pour enfants. « Nous avions envie de leur montrer autre chose que Genève. » Oui, mais l’enfant a un peu de mal dans sa nouvelle école. Lui l’écolo fait connaissance avec des petits chasseurs. « Ca viendra mais pour l’instant je n’ai pas de copains… »

Après un bon souper, Nous allons à la séance ciné proposée par la mairie, dans une petite salle avec une vingtaine de chaises voir un film famille. Au milieu des habitants. Nous sommes les seuls étrangers du village. Nos hôtes se marrent de nous voir là. Mais, nous sommes heureux de faire vivre le petit village.

Le soir, nous nous endormons si vite que le soleil a du mal à nous réveiller. Après un bon petit déjeuner, et de belles embrassades avec les villageois, nous repartons pour la plus dure des journées. Elle commence par grimper. J’adore ce paysage vertigineux, ces forêts qui apaisent nos pas. et nos cerveaux divaguent. On pense à nos enfants, à nos boulots, à nos drames, à nos avenirs, et surtout au présent. A la beauté de ce monde et à cette sensation d’apaisement malgré le chemin qui ne nous offre pas de cadeau.

On retrouve le jeune homme de la veille. Il s’appelle Armand, il a 23 ans, et sans s’épancher parle de son école à Salon, celle de Brest d’avant. Math comprend qu’il est dans la Marine, voué à conduire des rafales. Qu’il a passé les concours de Saint-Cyr ou Central. Mais le gosse, aussi intello soit-il, parle plutôt de trail et kitesurf. On arrive à Saugues, on achète des fruits. Une mandarine, un jour de chemin, a la saveur du bonheur. « J’ai même pris des petites prunes » se ravit Armand.

Les choses nous paraissent simples. Les sacs sont si lourds, que nous ne n’achetons que pour calmer la faim. On repart. Quelques descentes techniques, et puis, une longue route de bitume qui écrase nos pieds. Nous avons mal, mais nous gérons chacun notre douleur. Rien ne sert d’alourdir l’autre de nos plaintes.

Le vent, puis la pluie, horizontale, nous fouette le visage. Nous entrons dans une très grande forêt. Pour réussir, le cerveau se déconnecte un peu de la réalité. On a l’impression de ne plus penser. Je crois même qu’on ne se parle plus. Puis, au bout d’interminables kilomètres, on aperçoit le vieux monastère du Sauvage, aménagé en gites. Tenu par une coopérative d’une trentaine d’agriculteurs, le lieu est juste magique. Au milieu de nulle part. Il nous faut encore quelques kilomètres pour parvenir en son centre. On ouvre une porte. Là, derrière un comptoir, une femme nous sourit. Attablés, des randonneurs, des pèlerins ou de simples visiteurs prennent une part de tarte à la myrtille. On s’assoit dégoulinants.

Julien prend un bière au comptoir. Avec sa chérie Camille, ils sont aussi sur le chemin. Ils font de plus petites étapes. Avec leur chien Archie. Camille vient de perdre son boulot. Dans la forêt, épuisée, elle a crié de toutes ses forces, elle a pleuré. Puis s’est apaisée.

Armand finit par arriver lui aussi trempé.

Nous partagerons une chambre de 5. Avec Archie en prime.

Le soir, on nous propose des lasagnes. On fait connaissance avec tous ceux qui sont sur le chemin. Si nous avons réalisé 60 kilomètres en deux jours, les autres ont pris 3 jours pour les faire. Aussi, certains se connaissent déjà.

Et les histoires se tissent.

D’abord, Enzo. 15 ans. C’est le juge qui lui a proposé une alternative à la prison. « Pars 3 mois sur le chemin de Compostelle. » Il est accompagné d’un jeune facteur qui a accepté au nom d’une association de réinsertion de mettre 3 mois de sa vie de côté pour accompagner le jeune.

Enzo se marre, a mal à la tête, aux pieds. Mais Enzo se marre. Il a jusque fin janvier pour arriver à Santiago.

Lucas aussi est jeune. Un peu moins. Une vingtaine d’années. Il est parti de Metz. Saint-Jacques, il le fait pour son père qui se bat contre un cancer du poumon. Mais deux jours après son départ, sa petite amie l’appelle et le largue. Elle dévalise le compte-joint. Il décide de ne pas faire demi-tour. Il a parfois des épisodes de fièvre. « C’est mon corps qui parle ». Il faut dire que le gamin en a bavé. Violé à l’âge de 8 ans, nous dit-il, il est aussi sur le chemin pour apprendre à pardonner.

« Déjà en 15 jours, je me sens mieux. Je relativise. J’avance coûte que coûte. » Le gamin nous ferait chialer pendant notre yaourt fermier à la mandarine.

On préfère aller se coucher. Armand a parlé de son métier, passionnant son auditoire. Deux cousines ont raconté leur vie de maîtresse et préparatrice en pharmacie. On dit bonne nuit. On pense aux enfants qui nous manquent. On aurait bien envie d’un câlin. en échange, Archie le chien saute sur le lit et nous lèche le visage.

Le lendemain matin, on a des douleurs dans des muscles dont on ne soupçonnait même pas l’existence. Le petite déjeuner nous revigore. On part d’un bon pas.

On rattrape d’abord Meryl, jeune parisienne qui, à 33 ans, a « enchaîné les emmerdes. » Diabétique, hypertension, surpoids. La jeune femme a décide de se faire son propre défi. Loin du regard du monde. Faire un bout de Saint Jacques, seule. Elle écoute Louise Attaque, et s’arrête souvent. Elle reprend son souffle. « J’y vais à mon rythme. Mais je veux réussir. » On la salue bien bas, on continue.

Plus loin, c’est Floriane et Marie que l’on retrouve. L’une vient de perdre son boulot. L’autre a fait une grosse dépression. Elle a développé une phobie sociale. « Même manger avec mes parents était impossible. Etre avec des gens, c’est si dur pour moi. » Explique cette magnifique et longiligne jeune femme. Pourtant, elle parle, elle rit, s’accroche. « Parfois, le soir, je ne vais pas bien j’ai besoin de m’isoler. Je voudrais fuir… Mais je me rends compte que nous avons tous nos moments compliqués. » Se rassure-t-elle en croquant dans un choco.

Nous poursuivons notre chemin. Parfois dans un silence assourdissant. Que pense Math derrière moi ? les silences, parait-il éloignent. Ici, ils rapprochent. On respecte la sphère de l’autre. Parfois, d’un coup, on s’embrasse. On se rappelle nos déchirures, nos ressentis, nos colères. D’un coup, les larmes montent. Sans prévenir. Pleurer.

Armand nous rattrape sur le chemin. « J’ai dû courir pour vous rattraper. » Nous sommes joueurs, compétitifs, comme lui. Sportifs aussi.

Sur ce chemin, chacun son rythme. Le nôtre est soutenu. Pour décharger. Pour avancer. Parce que l’énergie donne de l’énergie. On se sent en forme.

On passe Saint Alban et l’après-midi est longue avant de rejoindre Aumont-Aubrac. Heureusement, les Petits écoliers nous accompagnent.

La vue défile sous nos pas. La colère s’échappe. Le pardon s’instaure. L’amour apaise. On finit par arriver dans notre hôtel. Pour cette dernière nuit, on a décidé d’un peu de confort. On n’ose pas boire trop d’alcool. On s’offre une demie bouteille de vin, quand même.

Notre défi du lendemain est un peu coquin. Faire les 27 kilomètres qui nous séparent de Nasbinals en une matinée pour aller manger l’aligot à la maison bastide !

On part à 8h15 et allons être époustouflés par les paysages désertiques que nous traversons. Quelques vaches aubrac nous regardent, à peine admiratives. On crapahute sur les chemins. Parfois, j’ouvre les bras, je sens le vent. Je sens la vie. Je sens le bonheur s’emmitoufler en moi. J’entends math sourire, derrière moi.

Faut-il marcher 120 kilomètres en 4 jours, braver le froid, le vent, la pluie pour se sentir heureux ?

Math se questionne : « Et nous, pourquoi on a pris le départ de ce chemin ? »

La question nous sèche tous les deux. Pour le défi sportif, c’est certain. Doubler les étapes n’aura pas été une mince affaire. Pour échapper au monde, c’est évident. Pour se reconnecter à l’essentiel, sûrement un peu. Pour se sentir vivant dans un univers mortifère. Pour accepter les règles du jeu, de la mort au bout du chemin.

Mais, pour nous, au bout du chemin, ce sera aligot. Un bon repas en amoureux.

Quelques heures plus tard, dans le bar nous rejoindront Floriane, Marie, Sarah, le petite couple d’amoureux Tristan et Laure qui ont illuminé de leur amour naissant tout le chemin. Ils arriveront tous chacun à leur rythme, chacun avec leurs forces, leurs histoires, leurs douleurs aux pieds et la satisfaction du bout de chemin accompli.

Nous les laisserons là. Nous repartirons en bus. Avec Daniel, un randonneur de 75 ans, venu marcher seul pendant que sa femme visite les enfants en Australie. « Ca coûte moins cher qu’un billet d’avion. » 10 ans qu’il voulait faire ça. Se retrouver seul à marcher dans les paysages. « Voir si la machine marche toujours. » Daniel repart rassuré. Même sa prothèse partielle de genou a tenu. Pour cet ancien élève de l’ENA, associé d’un célèbre cabinet d’audit, ici tout le monde se mélange. « On a tous juste des chaussures aux pieds et rien de superflu. On ne sait pas qui est riche, qui est pauvre. »

On finit par rentrer, embrasser nos enfants, embrasser mes parents.

Je me suis dit que tous ces gens, ca ferait un beau reportage. Que toutes ces émotions ce serait un bel article.

Pendant 4 jours, sur ce chemin, on a marché. Mais pas seulement. On a rencontré, on a écouté, on a compris, on a accepté, on a partagé, on a souffert et on a bien ri. Lucas l’a dit le premier. Lui, qui n’a plus un sou mais qui veut continuer. « Ici, on m’offre le gite et le couvert, on me file un peu de sous. On ne me laisse pas tomber. La société devrait ressembler à ce chemin. » Ce chemin qui nous a menés vers les autres. Et surtout, surtout, qui nous a guidés vers soi.

Reprendre le monde, après ça paraît si simple. tous ces humains qui bataillent avec leurs conditions humaines. Avec ce temps qui passe, avec les guerres, la haine et le chagrin.

Après le chemin, on n’est pas moins conscient de toute cette violence, on ne l’accepte pas plus. Mais, on sait désormais qu’ailleurs, le vent d’Aubrac souffle autre chose d’une belle humanité. Se rappeler des belles choses, pour ne pas sombrer. S’aimer soi et les autres. Et toujours finir par un bon aligot.

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