« Tiens, Mediacoop » s’amuse un des syndicalistes CGT de la T2C à l’entrée. « Tu vas voir, c’est le bazar là-dedans. » On suit l’attachée de presse qui donne des consignes. Pas le droit aux interviews, derrière le rideau noir. Et un carré presse qui donne directement sur la salle pleinière où les débats font rage.
Les consœurs et confrères sont installés derrière leur ordinateur. Aucun bruit. Chacun pianote sur son téléphone, sirote un café, ou nettoie leur caméra. Les débats, ils en ont plein le dos. Depuis lundi, ça dure. Et nous sommes jeudi. Au début, ça les amusait. Désormais, le duel Olivier Mateu/Marie Buisson finit par lasser.
Mais ce n’est pas dans un carré presse où l’on ne croise que des journalistes, qu’on aura des informations. Direction le bar.
Duel Mateu/Buisson, vraiment ?
Le petit badge autour du cou, nous voilà attablés à demander un café à Nico de la CGT AIA. Lui n’a pas le droit de parler « Au bar, on doit être neutre. » Domi répond pareil. Mais très vite, on y croise Véronique et Bertrand, de la CGT Cheminots. « Viens, on va t’expliquer. Ce qui est pénible c’est qu’on est face à un problème de personnes. » Pour les deux travailleurs du rail, la succession de Philippe Martinez divise forcément. « On va avoir un ou une nouvelle secrétaire. Et la CGT finalement doit prendre un chemin : Continuer ou repenser ses actions. »
Un geste fort a fait douter les soutiens de Philippe Martinez : Le rapport d’activités n’est pas passé. Les congressistes ne l’ont pas validé. « C’est dur ça, car on avait l’impression que les actions des camarades étaient reniées. » Mais en même temps, les deux militants ont des choses à reprocher à Martinez : « On a l’impression qu’il a pris des décisions de façon unilatéral. Normalement, chez nous, les décisions remontent de la base au secrétariat. Là, elles descendaient. »
Bertrand prend comme exemple l’intégration de la CGT au collectif écolo « Plus jamais ça » qui revendique la fin du nucléaire. « Les travailleurs de l’énergie ont bondi, quand ils ont su ça. On remettait en cause leur emploi. »
Martinez au coeur des discussions
Et puis Martinez lors de la mobilisation, ce mardi, à Clermont-Ferrand, a annoncé vouloir entrer en médiation sur la réforme des retraites. « Nous pensons que la discussion est impossible : c’est le retrait de la réforme. Rien n’est négociable. on ne va pas jouer le jeu de la CFDT ! »
Alors, les deux militants ne savent pas trop quoi penser de la candidate qui pencherait plus à poursuivre dans la même lignée que Martinez. « Et puis, de l’autre côté, il y a Matheu, le révolutionnaire, mais sa candidature n’est pas statutaire. et puis, il est vraiment révolutionnaire ! »
A cette heure-ci, pourtant, tout était encore possible. La commission exécutive se compose de 66 personnes, mais les votants pouvaient encore ajouter ou rayer des noms. Matheu pouvait donc encore être élu.
« En fait, l’ambiance est détestable. » Avoue Bertrand. « Mais, ça ne vient pas du congrès. Mais des orientations prises entre les différentes fédérations. Nous n’avons pas tous la même culture de la grève. Certaines fédérations sont plus molles que d’autres. »
Mais Bertrand tient malgré tout à ce que « nous restions rassemblés. » Pour lui, le consensus est inévitable. « Nous, les cheminots, nous ne sommes pas vraiment touchés par cette réforme. » Les cheminots peuvent partir à 57 ans avec une bonne décôte. Sinon l’âge pivot est à 62 ans. La réforme ne change pas cet âge pivot. « Nous devrons partir à 62 ans aussi avec cette réforme. mais, nous le faisons car nous avons des enfants, de la famille. Tout le monde ne bosse pas à la SNCF. Et certains de nos collègues n’ont pas le statut. Bref, il faut être solidaire. Ah, les débats reprennent, on y retourne. »
Des débats qui font avancer
On retourne en carré Presse. Les débats s’enveniment. Plusieurs militant(e)s prennent la parole pour demander l’inscription de Mateu dans la commission exécutive. Applaudissements.
On repart dans la salle. On y croise les militants clermontois. « Je me demande si on peut encore s’appeler camarade entre nous. » Me chuchote l’un d’eux. « Un camarade, tu le respectes. Parfois, ça a été violent. Ca a joué des coudes. Je ne sais pas si ces gens-là sont des camarades. »
Un autre militant essaie de se dégager un peu de l’affect. « Si je tente d’être objectif, je te dirai qu’il y a deux lignes : Une ligne d’ouverture sur la société civile, qui inclurait les luttes sociétales telles que l’écologie, le féminisme, etc. De l’autre, un ligne centrée sur l’entreprise et les travailleurs. Mateu serait plutôt dans cette ligne-là. »
Un syndicat qui doit prendre une direction
On reprend un café. A côté, une femme nous explique : « Il y a beaucoup d’enjeux car on est une famille. ce qui est désolant, c’est que sur le terrain, tout va bien : Nos manifs, nos piquets de grève. Mais, là, quand il faut passer par ce genre d’instances, on a l’impression d’être un syndicat fracturé. »
Les visages connus sont blancs et fatigués. On se passionne pour les débats. On ose dire qu’ils sont gages de démocratie. Mais on nous répond : « On est dans la lutte des classes ou la lutte des places ? On ne peut pas vivre ce que l’on dénonce à l’extérieur : les enjeux de pouvoir. »
Lors de la pleinière, un jeune homme prend le micro, à bout de souffle, il crie, à qui veut l’entendre et pour que personne ne l’oublie : « La CGT c’est nous ! »
Il est tard ce jeudi quand on quitte la halle. Déjà, des voitures sont garées pour le concert de Tikken Jah Fakoly au zénith juste à côté.
Violence ou arrogance
C. fume sa clope dehors. « Je flippe un peu. J’ai pas envie d’un Mateu qui gueule tout le temps et qui écrit « en guerre » sur ses tracts. Il ne me représente pas moi ce mec. Je n’aime pas sa violence. Dès son arrivée au congrès, il a été violent. Ce soir, il a manqué de respect au président de séance. »
Olivier Mateu a effectivement été le dernier à prendre la parole en invectivant le président qui tentait de dire qu’il ne pouvait pas prendre toutes les prises de parole.
A l’intérieur, les votes ont commencé. Dans la nuit, les membres du CCN devront voter.
Sophie Binet, nouvelle secrétaire
Mais, finalement, tout aura duré plus longtemps. C’est à 8 heures que le nom de la secrétaire générale tombe : Sophie Binet. Personne n’attendait cette CPE marseillaise à la tête du syndicat. Proche de la ligne de Martinez, elle représente les cadres. « Ca, ça m’ennuie » souffle un syndicaliste. « On est des ouvriers nous. »
Malgré tout, l’ambiance semble se détendre. Chacun prêt à laisser une chance à la nouvelle secrétaire. « C’est une femme. » se rassurent les uns. « Pourvu qu’elle fédère » Répliquent les autres.
Puis elle entre sur scène. Les journalistes se bousculent. Le spectacle restera là. Les unes des journaux aussi.
Un congrès hors norme
Derrière, des hommes pleurent. D’autres savourent. Certains commencent à ranger les chaises. Les militants clermontois partagent une dernière clope. Le visage des nuits sans sommeil. Hésitants. ne pas trop savoir quoi penser.
Restera-t-il des stigmates de ce congrès ? Au sein même de l’Union Départementale ? « On n’a pas été d’accord, on n’avait pas envie des mêmes candidats. Mais, sur le terrain, on est meilleurs que dans ces instances un peu politico-politiciennes. On est des militants. On se remettra vite. Jeudi, ya manif ! »
Retrouvez sur le Facebook de Mediacoop, les directs du congrès.
1 réflexion sur “Mémorable 53eme congrès de la CGT à Clermont-Ferrand”
Phlippe Martinez bat en retraite.
P. Martinez aurait pu avoir un bilan beaucoup plus emblématique des luttes syndicales.
Que s’est il passé pour que son bilan soit aussi contesté ?
Il aurait pu mener les millions de manifestants à la victoire.
1. Fin mars 10 ème manifestation et toujours le statut quo, pire il semble qu’on arrive au bout de quelque chose mais sans avoir vraiment combattu. On s’en remet au Conseil d’État.
Le match était il joué d’avance ou un grain de sable s’est il glissé dans le mouvement syndical ?
On avait selon les sondages les cortèges les plus nombreux, du jamais vu.
« retrait de la réforme » comme carburant mais ça n’a pas suffit.
Les mots n’ont pas fait bouger la posture du gouvernement.
La grève est le slogan de la gauche syndicale mais pas sur les secteurs stratégiques que sont la production d’énergie, comme en novembre 2022.
Des actions, quelles actions sinon les quelques poubelles brulées par manque d’action collective forte et significative, et porteuse de solidarité.
La CGT aurait elle voulu gagner seule sans l’intersyndicale ? on ne peut pas l’imaginer.
Mais on peut se demander pourquoi la centrale de Martinez s’est arrêtée au milieu du gué.
2. quelle était la force politique capable de tirer profit d’un retrait de la réforme ?
Est-ce que le PC était en mesure de capitaliser et de rebondir grâce à cette victoire ?
Non.
Que faire d’une victoire partagée et d’une victoire dans un espace politique réduit.
On n’a jamais senti P Martinez prêt à ce moment historique mais plutôt frileux – « en avril ne te découvres pas d’un fil ».
Par contre les autres formations de gauche, LFI en premier, était à la meilleure place pour en tirer avantage, lors des futurs combats parlementaires ou lors des échéances électorales.
Est-ce que la NUPES n’est pas devenu le révélateur des enjeux politiques à venir, des traitrises implicites et des divisions partisanes pour mieux régner en maitre ?
AU parlement, les élus NUPES dont LFI, EELV ont pris des initiatives non suivies par les élus PC ; plusieurs fois. Est ce que la CGT a emboité le pas du PC?
Le PC est la force politique de la CGT. C’est dans cette alliance que s’est développé l’idée que la victoire ne servait plus le PC qui est très mal en point. Le salariat ouvrier a déserté le PC qui flirte plus avec le monde agricole.
Le PCF s’est dissocié de la NUPES, une des 2 forces politiques (l’autre étant le RN) qui pouvait profiter des hourras populaires et du retrait du projet Borne.
Alors aucune force politique ne pourra se montrer fière d’une victoire. Surtout pas LFI et donc non plus le PC, mais c’est moins grave. Le PS semble prendre le même chemin dans une élection législative partielle.
Égoïsme politique détestable et qui maintient les choses en état au préjudice du « peuple » aveuglé voire manipulé.
3. La mésentente avec LFI est relayée par la nouvelle secrétaire, ce matin sur France Inter et aussi par le secrétaire du PCF il y a quelques jours sur la même radio.
La démocratie de l’action a été contrôlée par le bureau fédéral et comme une célébré boisson, ce mouvement de contestation avait la couleur de la révolution mais pas le goût.
Martinez a coupé l’élan de nombreux militants en ne mettant pas à genoux le macronisme.
4. je n’irais plus défiler à moins de soutenir un mouvement de grève nationale vraiment réfléchi et acté. Je soutiendrai alors les grévistes des transports, de l’énergie, afin que le gouvernement cède sur le projet de retraite. Il faut que la nouvelle intersyndicale propose des actions visibles, renouvelées et à la hauteur de l’enjeu. Aller dire à Borne qu’on veut qu’elle arrête est d’une grande naïveté.
C’est mon avis sur ce mouvement qui était bien partie et qui finit en que de poisson d’avril.
Mémorable, cette chronique d’une défaite annoncée.