La Furtive : entre intégration au voisinage et organisation du confinement

Deux semaines après l’installation du squat de la Furtive, ses membres ont d’ores et déjà organisé deux évènements, tenté de contacter et s’intégrer au voisinage, continué de nettoyer et sécuriser le site… Aujourd’hui, ils font face au nouveau confinement et craignent la perte de leur château fort des luttes. Par une lettre ouverte publiée lundi 02 novembre, ils ont exprimé leur souhait de poursuivre leur projet malgré les mesures sanitaires imposées par les autorités.

Le week-end qui avait suivi son ouverture, le 24 et 25 octobre, la furtive avait organisé les évènements « Disco Soup » pour lutter contre le gaspillage alimentaire ainsi qu’un après-midi crêpes et projection de film le dimanche, à prix libre. Le nettoyage et travaux sur le site avançaient petit à petit, avec la mise en place d’une batterie solaire pour l’électricité, la récupération d’objets pour constituer des abat-jours, canapés, petits rangements, cuisine et même un beau tableau blanc pour les réunions. L’organisation démocratique et la division des tâches en cinq pôles ( travaux, lien avec les collectivités territoriales, gouvernance, gestion du lieu, communication externe) se mettaient bien en place avec des assemblées régulières. La mise en valeur du lieu avec la constitution d’un graff végétal à l’extérieur, le début d’un potager… Alors que la Furtive commençait doucement à s’implanter sur la place Louise-Bourgeois, le confinement a sonné le glas, recevant au même moment le soutien mais aussi le mécontentement de ses voisins !

Parmi les réfractaires à cette occupation illégale d’un site classé au patrimoine, on retrouve notamment les commerçants à proximité. En effet, le tabac presse « Le Kessler » et le bar à vin et restaurant « L’Antre de Dionysos » situés à côté ont exprimé leur colère : « C’est aberrant qu’on soit chez soi chez les autres, si tout le monde faisait comme ça, ce serait l’anarchie. Je ne suis pas contre le fait d’avoir des idées mais on a pas été prévenus par ces personnes de leur installation, ils ne respectent pas les mesures sanitaires alors que nous on est obligés de faire très attention, c’est pas cohérent. La dernière fois ils étaient treize devant, sans masques ! Ça a gêné mes clients. Je suis surpris qu’il ne se passe rien au niveau de la Mairie. Après, ce n’est pas mon problème s’ils se promènent en faisant n’importe quoi. De toute manière, si on reconfine, ce sera vite réglé » prédisait le gérant du bar/restaurant.
« Personnellement, je ne suis pas du tout d’accord avec cette installation. » commence le propriétaire du Kessler. « On nous impose un tas de choses sur les locaux à occuper, nous on doit faire de multiples demandes pour être autorisés à faire des travaux, ils choisissent les couleurs pour nous etc… et à eux on ne leur dit rien ? Sur un monument classé patrimoine en plus ? C’est n’importe quoi. Au bout de la rue il y a un local vide, ils ont qu’à tout péter aussi. Si tout le monde fonctionnait comme ça, on n’irait pas loin. Ce sont des assistés, c’est facile de s’approprier les choses quand on ne bosse pas. Ces gens là, ils ne respectent rien, ils sont habitués à bosser dans des assos, à toucher des subventions, que nous payons, nous les travailleurs ! C’est l’anarchie totale là dedans, ils dorment dedans, des fois ils sont plus de trente sans masques. C’est la mairie que ça regarde, qu’ils se démerdent ! » s’exclame le tabagiste. Pour la Furtive, l’entente entre eux et les commerçants mécontents est primordiale. Ils ont donc entendu les remarques, notamment sur les masques et essayent d’y faire plus attention. Ils aimeraient aussi soutenir économiquement ces commerces en consommant chez eux par exemple. L’heure est donc à la tentative de dialogue.

Quant au reste du voisinage, comme le comité de quartier et les habitants des environs, ils semblent prendre cette initiative comme une belle alternative : « Il se trouve que je suis journaliste retraité, ce qui m’a valu de suivre longtemps des projets architecturaux et urbains dans la région. » se présente Denis Couderc, un des voisins du squat. « C’est d’un bon œil que je vois l’installation de la Furtive dans le château de Rabanesse. J’habite ce quartier depuis 30 ans et c’est la première fois que j’ai pu, grâce à eux, visiter les lieux. Une petite réjouissance personnelle… Donc si ces jeunes sont désobéissants, je m’en trouve plutôt bien, d’autant que leur désobéissance civile n’est en aucune manière nuisible : ils n’ont rien cassé, plutôt aménagé a minima (l’entrée notamment) et ont d’emblée balisé l’intérieur du château pour éviter tous risques lors des visites. Donc, quelles nuisances peut-on leur reprocher ? Et s’il pouvait y en avoir, ils et elles semblent tout à fait volontaires pour les repérer, les éviter et les réduire. Pour l’instant, rien ne permet de dire que la Furtive ne respecte pas le site, le voisinage et les nécessités sanitaires ; mon expérience sur place m’incite plutôt à penser l’inverse. »
En ce qui concerne le non respect de la propriété privée dénoncée par les commerçants, Denis, lui, ne le voit pas du même œil : « Propriété privée, dites-vous ? Ce n’est pas le cas, je crois que le propriétaire actuel est toujours l’EPF-SMAF, organisme public qui a pour vocation le portage d’acquisitions immobilières et foncières destinées à être ultérieurement aménagées par les collectivités publiques. Quels autres droits sont-ils bafoués par cette initiative ? Je ne vois pas bien lesquels : pas de tapage nocturne, pas de violence… Personnellement, en tant que citoyen contribuable, j’aurais plutôt tendance à demander des comptes au SMAF, à la Ville, etc. quant à leur gestion de ce bâtiment : combien d’argent immobilisé, depuis combien de temps, dans cette acquisition qui ne débouche sur rien puisqu’il n’est toujours fait aucun usage de ces lieux ? Le classement d’un bâtiment au titre de monument historique est une mesure de protection, ce qui ne veut pas dire “mise sous cloche”. Depuis ce classement, en 2009, rien n’a bougé, rien n’est sorti, pas la queue d’une idée… Rien n’a été fait, hormis un crépi pour que le bâti n’ait pas l’air trop misérable à côté des deux “totems” de 21 m de haut qu’on construisait devant et derrière lui. La création d’un terrain de pétanque est une excellente chose, celle de l’espace public aussi, mais le bâtiment lui-même, c’est-à-dire la “substantifique moelle” de ce patrimoine, n’a absolument pas été aménagé, au contraire, il a été muré. Ces jeunes occupants et occupantes s’offrent à l’aménager et à l’utiliser dans des objectifs d’intérêt général : à mes yeux, ils ont le mérite de lancer une proposition, ce que les pouvoirs publics auraient dû faire depuis longtemps – et qui leur fut encore demandé en réunion publique lors du lancement des travaux des fameux totems ! » lance-t-il, plutôt remonté, lui, contre les autorités que contre les furtifs.ves.
« Alors si les Furtives et Furtifs en font quelque chose aujourd’hui, sous les yeux de tout un quartier dont ils sollicitent l’avis et le soutien, je considère qu’ils sont, eux, de meilleurs protecteurs du patrimoine que la Ville, et surtout de meilleurs “acteurs” de ce patrimoine, pour qu’il vive. Quant à la question de principe du squat, comme celles de l’urgence sociale (dont le logement fait partie), climatique et culturelle, nécessité fait loi… Plutôt que de voir des gens dormir dans la rue, je préfère les voir au moins à l’abri d’un toit, même si ce lieu n’a aucun confort. D’autre part, ce quartier n’a quasiment plus de tissu commercial, il n’a pas non plus de salle de réunion publique : personnellement et dans mes activités associatives, j’en aurais bien eu et j’en aurais encore l’usage, tout comme l’association Lieu’topie et d’autres. Il me paraît également évident que l’École supérieure d’arts, juste en face, est un partenaire naturel qui pourrait profiter de ce lieu, et réciproquement le faire profiter de ses compétences et ses dynamiques, pour le bénéfice de tout le quartier et du centre ville. Donc oui, il sera probablement plus facile de cohabiter avec ces Furtives et Furtifs qu’avec les fantômes du château… » termine ce voisin dont le soutien sera accueilli avec joie au sein de la Furtive.

Le groupe de désobéissants a lui-même souhaité s’exprimer à l’annonce du confinement concernant ses intentions. Une lette ouverte a donc été publiée hier soir pour avertir sympathisants, voisins et autorités que les activités de gestion du site continueraient durant la crise sanitaire. Dans cette lettre, les membres du squat expliquent leur vision : « Il a été décidé que La Furtive cesserait toutes ses réunions en présentiel sur le lieu pour au moins un mois. Des visites techniques seront néanmoins maintenues, dans le respect de protocoles sanitaires responsables, pour assurer la continuité de l’entretien et du soin du lieu. Prendre soin de ce château nous tient à cœur. Et si nous devons tout arrêter en attendant le retour à l’anormal, alors nous n’avancerons jamais. Nous pensons que les bouleversements ne s’arrêteront pas, ni dans un mois, ni dans six ans. Nous pensons même qu’il est très probable que la perturbation actuelle ne soit qu’un avant-gout des bouleversements à venir ». Le but est donc, tout en respectant les mesures sanitaires au maximum, de continuer les travaux, ne serait-ce que pour finir la mise ne place des fenêtres, de l’isolation et de l’électricité. Le constat est clair : « La Furtive reste active et continue de faire vivre le château Rabanesse. Cette occupation, même dans le contexte actuel, même désobéissante, est au cœur de notre raison d’être. Plus que jamais, la nécessité d’interroger nos modes de vie et de faire solidarité se fait ressentir. Ce confinement ne doit pas être l’occasion pour des institutions publiques d’étouffer une flamme populaire. La menace virale actuelle n’efface en rien les périls sociaux et écologiques ainsi que les inégalités qui lui pré-existaient. Pire, sa gestion par les pouvoirs publics les exacerbe ! Les luttes sociales et écologiques sont, elles aussi, existentielles : nous voulons garder une planète habitable. Nous sommes prêt.e.s à lutter pour plus d’égalité. Cette exigence, vitale, ne disparaitra pas devant l’impératif d’obéissance absolue amenée par l’urgence sanitaire.« 
La Furtive fait donc appel à la solidarité de tous et dont des groupes politiques locaux. Pour elle, l’urgence est surtout de loger les personnes les plus démuni.e.s, d’autant plus touchées par le confinement. Elle dénonce l’inaction de ces groupes politiques et critique même leur hypocrisie avec le plus de diplomatie possible : « Lors de notre dernière entrevue avec les élu.e.s, ces dernier.ère.s nous ont invité.e.s à produire un cahier des charges des besoins matériels des associations signataires de la tribune initiale. Leur offre : pouvoir, très rapidement, allouer des bâtiments à ces associations. Comment interpréter cette « surprise » d’une métropole qui semble découvrir les besoins opérationnels d’associations avec lesquelles les pouvoirs publics sont supposés être en dialogue permanent et qui se sont vues privées de la maison des associations du centre-ville ? Et que faire de toutes ces associations toutes aussi légitimes à avoir l’attention et le soutien des pouvoirs publics et qui n’ont pas signé cette tribune ? » En réponse à cela, la Furtive explique qu’elle ne souhaite pas dépendre des moyens offerts par la collectivité territoriale, qu’elle souhaite rester indépendante, mais invite « chaque association œuvrant pour l’intérêt général sur nos territoires, signataires de la tribune de la Furtive ou non, à contacter la direction de la vie associative pour les informer de leurs besoins matériels urgents. » Et comme l’organisation de ce lieu est basé sur la démocratie, le squat reste tout de même ouvert au dialogue avec les groupes qu’il dénonce : « La porte est ouverte aux collectivités territoriales et à leurs représentant.e.s. Ces institutions portent historiquement et structurellement une lourde responsabilité dans l’immobilisme dont nous sommes maintenant les victimes. Et ces mêmes institutions ont aussi les clefs de certains des verrous institutionnels qui nous limitent. C’est maintenant une affaire de volonté politique. » La main est tendue, certes ferme, mais ouverte, il ne reste plus qu’à la prendre et participer à ce projet humain, solidaire et écologique, basé sur un espoir : un avenir meilleur pour tous et toutes.

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