Une quarantaine de personnes se sont réunies ce matin devant le tribunal de Clermont-Ferrand dès 8H30. Elles étaient venues soutenir le syndicat et la femme d’un des salariés grévistes de Dachser, la célèbre entreprise de transports.

Il faut remonter à la rentrée 2021. Les salariés Dachser se mettent en grève afin de réclamer une augmentation de salaire mais aussi plus de sécurité. Voici l’article écrit à l’époque.
La mobilisation durera 8 semaines en tout. L’entreprise ne pliera pas.

Il y a plus d’un an, en mai 2022, Patricia mais aussi l’UL de la CGT de Riom et l’UD Puy-de-Dôme de la CGT reçoivent une assignation en justice. On leur reproche d’avoir incité à des dégradations lors de ces grèves. La société leur demande 140 mille euros !
Assignée en justice pour avoir relayé la grève sur Facebook
Patricia ne comprend pas trop pourquoi. Des photos de la grève ont été relayées sur son mur Facebook. Son mari, salarié de l’entreprise n’arrive plus à aller travailler et est en arrêt depuis le lendemain de la réception du courrier d’assignation. « Il ne pourra jamais retourner bosser pour eux… »
A la CGT, même sentiment de surprise. Bien sûr que la CGT a accompagné les grévistes, leur a apporté leur soutien. Mais, rien de répréhensible. « On a encore le droit de faire grève, de manifester dans ce pays. » S’exclame Ghislain Dubourg, secrétaire de l’Union départementale du syndicat.
Un huissier dépêché sur le lieu de grève
L’audience débute rapidement. Le jeune avocat de Dachser arrive de Poitiers. Il rappelle les faits. La grève. Le ralentissement de l’entreprise dû à cette grève. Puis, il parle des dégradations notamment à cause de deux feux allumés avec des palettes.
Un huissier est dépêché à plusieurs reprises pour constater la mobilisation. Le 14 octobre puis le 25 octobre, il relate le blocage du site par les palettes. Il raconte avoir vu les conducteurs de camions se faire racketter pour avoir le droit de rentrer sur le site. Selon l’avocat, il aurait même subi des menaces de mort. Mais ni lui, ni les conducteurs de camion n’ont témoigné ni porté plainte.
L’avocat poursuit son plaidoyer en mettant en cause une vidéo diffusée par la CGT. On y voit le feu de palettes avec une inscription « les grévistes ont du courage, ils ont aussi du talent. » L’avocat estime qu’il s’agit là d’un appel à la dégradation.
L’entreprise décide donc de poursuivre la CGT. En effet, elle tient le syndicat responsable de la dégradation des lieux ainsi que la promotion de la manifestation sur les réseaux sociaux. « Ils ont appelé au soutien et mis en avant les feux de palette. Des actes assumés par la CGT. » Selon l’avocat, de nombreux individus, non salariés, sont venus renflouer les rangs de la mobilisation.
Quant à Patricia, l’avocat est formel. « En diffusant la vidéo du feu de palettes, elle appelle au blocage. » Les réseaux sociaux, les publications publiques sont des éléments de preuve suffisants.
134 mille euros de préjudice
Ainsi, les 3 poursuivis doivent répondra de ces différents préjudices, à savoir le coût de la dégradations du bitume pour 46 mille euros, les pénalités avec les partenaires commerciaux dues au blocage, pour 68 mille euros, et 15 mille euros de mises à disposition des salariés pour remplacer les grévistes.
Mater la révolte
L’avocat termine en se défendant sur légitimité de la procédure. « Nous ne poursuivons aucun salarié, nous ne sommes pas là pour mater la révolte, comme l’a écrit mon confrère. Mais on ne peut laisser impunie l’incitation au vandalisme. »
Plaidoyer de la défense
Maitre Duplesssis a écouté son confrère consciencieusement. Et attaque à son tour son plaidoyer. « 134 mille euros pour des pneus brûlés, ils y vont un peu fort chez Dachser, surtout quand on sait qu’ils ne se ruinent pas en payant leurs salariés au SMIC et en faisant des bénéfices record. »
Pour l’avocat, il s’agit d’un procès contre le droit de grève. « Aucun nom n’est donné. On suppose qu’il s’agit de gens de la CGT. On suppose qu’il ne s’agit pas de salariés, comme ça, on évite d’aller aux prud’hommes. C’est facile de s’attaquer à la CGT sous prétexte que certains ont un chasuble rouge. »
« Demander 134 mille euros à un smicard »
Le défenseur continue en démontrant qu’aucune directive n’a été donnée par la CGT ni Patricia. Il rappelle que durant les 8 semaines de grève, différentes plaintes ont été déposées, toutes sans suite, par l’entreprise. « On ose demander 134 mille euros à la femme d’un salarié payé au SMIC. On est sérieux là ? Comment cet homme peut-il retourner bosser ? »
Duplessis rappelle qu’une autre grève a eu lieu en septembre 2022, qui s’est poursuivie par une dizaine de licenciements, tous contestés aux prud’hommes. Alors, pour l’avocat il s’agit bien là de « mater la colère. » Sans preuve et sans nom.
Une caisse de solidarité prise pour de l’extorsion
Concernant les accusations d’extorsions, le défenseur s’amuse. « Personne n’a racketté les conducteurs de camion qui venaient sur le site. Cela s’appelle une caisse de solidarité. Les conducteurs filaient 10 euros ou ce qu’ils voulaient quand ils soutenaient la grève. L’huissier a vu cette image et en a déduit des choses totalement irréalistes. C’est grave ! »
Il rappelle aussi que la CGT organise de nombreuses manifestations, comme celle du 1er mai et que le syndicat veille justement à ce qu’il n’y ait pas de violences. Pour l’avocat, l’entreprise nie ses problèmes avec les salariés, et s’en prend aux syndicats.
« Dachser a déjà tellement de dossiers aux prud’hommes, effectivement, l’entreprise ne pouvait pas déposer plainte contre ses salariés. Mais contre la CGT ou la femme d’un salarié, pourquoi pas. Car, ils sont nombreux les salariés a avoir posté sur les réseaux la grève et le feu de palettes. Même La Montagne a mis en une de son journal la photo du feu de palettes. Doit-on poursuivre le journal . »
Il rappelle qu’il n’est pas interdit de soutenir un mouvement de grève, qu’il faut respecter le droit d’expression, qu’il n’y a eu aucun appel à la violence, au meurtre, ni même d’injures.
Procédure abusive ?
Aussi, l’avocat dénonce une procédure abusive de la part de Dachser et rappelle que « porter un chasuble ne fait pas d’un humain un délinquant. » Il dénonce aussi les aides publiques dont bénéficie l’entreprise qui n’hésite pas à maltraiter ses salariés. « Je n’ai aucun scrupule avec ce genre de société qui ne respecte rien ni personne. » Il demande ainsi la condamnation de 10 mille euros pour procédure abusive.

A la sortie de l’audience, de nombreux soutiens étaient encore devant le tribunal. Dominique Holle de la CGT a rappelé l’importance de défendre le droit de grève.
Acharnement judiciaire ?
Maitre Duplessis a, quant à lui, expliqué l’acharnement de Dachser sur ses salariés. Ce même jour, au tribunal de Riom, une procédure en référé a eu lieu à 13H45 pour tenter la réintégration d’un ouvrier, licencié pour être passé sous une rubalise. « Alors, que c’est une société qui ne respecte pas les normes de sécurité en vigueur. »
D’autres procédures en cours
Enfin, Ghislain Dubourg, Secrétaire de l’UD de la CGT, a voulu rendre compte de la criminalisation des syndicalistes : le 6 septembre, Sébastien, un des dirigeants de la CGT Energie, est appelé au tribunal pour répondre des coupures d’électricité pendant les manifestations contre la réforme des retraites.
Le 7 septembre, la CGT est reçue dans une commission d’enquête sur les violences dans les mobilisations. Le 8 septembre, des manifestants anti-bassines seront jugés. Les CGT cheminots du département sont eux aussi assignés en justice pour avoir semé le trouble pendant les grèves contre la réforme des retraites.
Pour conclure, Ghislain a rappelé l’importance de défendre le droit de manifester, revendiquer, se syndiquer, s’exprimer et de faire grève.
La justice rendra son verdict concernant le procès Dachser le 6 novembre.