« La ligne de couleur » : un documentaire sur l’impact des discriminations

Jeudi 01 avril, à 15h, les occupants de la Comédie de Clermont-Ferrand ont organisé une projection de documentaire, une première depuis un an. Dans le cadre d'une journée sur les discriminations dans la culture, c'est le film "La ligne de couleur", réalisé par Laurence Petit-Jouvet en 2015, qui a été visionné.


Avec un vidéoprojecteur posé sur deux cartons empilés, le documentaire « La ligne de couleur » est projeté sur un mur, derrière le hall de la Comédie, dans un coin sombre et isolé. On se croirait presque au cinéma.

Aujourd’hui les occupants de la Comédie se questionnent sur les discriminations racistes, sexistes ou autre au sein de la Culture. C’est pourquoi « La ligne de couleur », qui fait un zoom sur des artistes discriminés à un moment ou à un autre de leur vie, a été choisi. Les témoins racontent leurs expériences, ce que cela implique d’être une personne non blanche aujourd’hui en France. Au travers de lettres filmées, destinées aux personnes de leur choix, ces onze personnes libèrent leur parole autour des sentiments qu’ils ont pu ressentir par rapport à leur simple couleur. Les stéréotypes qu’ils ont pu eux-mêmes accepter un jour, avant de réapprendre à s’aimer.

Le regard d’autrui

Le documentaire aborde un sujet tabou dans la vie de tous les jours : comment le simple regard d’autrui peut stigmatiser une personne et impacter son quotidien.

Yaya Moore, chroniqueur à France Radio, décrit cette ambiance anxiogène : « On me renvoie à une image d’artiste quand je fais ma chronique. Mais dès que je sors, on me prend pour une racaille, au mieux un rappeur. J’ai changé ma façon de parler, de m’habiller, devrais-je changer ma couleur de peau? Après tant d’années à bord de mon corps nègre, je comprends pourquoi les groupes de cosmétiques qui vendent des crèmes blanchissantes font fureur. Les femmes de mon quartier préfèrent choper le cancer que de vivre avec cette satanée couleur de peau. » s’insurge-t-il, regardant la cité où il vit, accoudé à son balcon.

Pour Yumi Fujimori, actrice, ce regard pesant lui a fait perdre confiance en elle. « Un jour, un jury a dit « qu’est ce qu’on pourrait faire d’une actrice japonaise au théâtre ? » Cette question me ramène à ma différence, à mon illégitimité. J’ai fini par faire du doublage. Ce qui est drôle, c’est que même quand on n’entend que ma voix, on me demande de doubler des actrices asiatiques. » explique-t-elle en se regardant dans le miroir, pensive. « J’aimerais pouvoir jouer avec légèreté, ne plus me poser la question de mon apparence et dire avec tranquillité, « regardez moi. Voulez vous jouer avec moi ? » »

Alice Diop, réalisatrice, raconte ce que c’est d’être noire dans un milieu où la majorité des personnes sont blanches. « J’étais à la bibliothèque de la Sorbonne. Parmi les nombreux chercheurs et étudiants, j’étais la seule noire. Je surprends souvent dans le regard des autres, le même questionnement que j’ai : « mais où sont les autres ? » Je ressens comme une tension ininterrompue, la violence du regard de ne jamais être vue comme quelqu’un d’incolore. » exprime-t-elle, avec un grand sentiment de solitude.

Les préjugés

Beaucoup ne réalisent pas la fréquence et l’impact violent des discriminations pour ceux qui les subissent. Comme celles décrites par Jean-Michel Petit-Charles, « français depuis 4 siècles mais toujours pris pour un arabe ». Pour fuir cela, Jean-Michel se réfugie dans les cafés parisiens, où personne ne le remarque. « On me demande toujours d’où je viens et non pas que je suis chez moi. Les policiers me décrivent comme un « individu typé Afrique du nord ». Quand je leur dis que je m’appelle « Jean-Michel Petit-Charles », ils me demandent si ce sont mes vrais papiers en me tutoyant directement, bien sûr. Je suis contrôlé aux frontières, sur la route, partout. »

Pour Malika Mansouri, ces discriminations la positionnaient plus comme une victime. « Une fille sera moins racisée, mais plus vue comme la « pauvre arabe » : une victime de ses frères, de la religion etc. J’ai toujours refusé ce statut de victime. Je suis quand même catégorisée comme l’algérienne immigrée alors qu’on est d’ici, qu’on se sent d’ici. »

Enfin, Rui Wang décrit les préjugés sur les asiatiques et ses craintes de non intégration. « On me regardera toujours, quelque soit mes convictions, mon caractère, comme un chinois. Je porte tous les stéréotypes de l’homme asiatique : combattant d’art martiaux, calme, petit, sage, informaticien, asexué etc. Aujourd’hui, on me propose un poste en Chine alors que je ne connais ni le pays, ni la langue, ni la culture de là-bas. Je n’ai jamais compris pourquoi j’étais identifié à un autre alors que je ne partageais ni ses intérêts, ni ses habitudes. J’ai peur d’être aussi seul là bas, de ne pas être accepté, d’être encore un étranger toute ma vie. »

Comment avancer lorsqu’on est rejeté ?

Fatouma Diallo tisse les cheveux de sa fille en lui disant qu’elle est belle avec cheveux crépus. Mais elle non plus ne se trouve pas belle. Elle les a défrisés, plaqués, attachés, lissés car ses cheveux la rendaient plus « noire » lorsqu’ils étaient naturels. Elle voulait cacher ça. « On a honte de nos cheveux car la société nous a fait croire que les cheveux lisses étaient plus beaux. Idem pour la couleur de peau et beaucoup de gens y croient encore. » explique-t-elle. « Est-ce que la libération de la chevelure ne serait pas la libération de l’oppression ? Que pour se libérer, il faut s’assumer ? Je suis noire et je suis belle dans mon pays, la France. C’est ce que je veux pour toi mon trésor. Assume ta beauté. » écrit-elle tendrement à sa fille.

Mehdi Bigaderne, adjoint au maire de Clichy-Sous-Bois lors du tournage, a été élu avec 67% des voix. « Mes parents ont versé des larmes de fierté lors de mon investiture. Mais entrer au conseil municipal n’était pas le plus difficile. C’est toujours mal accepté qu’un français au nom et physique arabisé brigue des fonctions républicaines. Même si nous sommes des français à part entière. » Dans son apparat d’élu, il rend hommage aux victimes de violences policières. « Les quartiers populaires s’insurgent contre ces bavures policières, racistes et injustes. Quand j’étais éducateur, je sillonnais les rues pour calmer mes petits frères. Mais les médias ont sali les mémoires des victimes, leurs familles. Voilà pourquoi ma vie a basculé et que je suis ici aujourd’hui. »

Pour ceux qui n’ont pas vu le documentaire, il est en accès libre sur YouTube, ainsi que sur Médiapart pour ceux qui y sont abonnés !

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