Derrière ces mains.

Etre journaliste, c'est raconter le monde. Parfois, de celui qu'on ne voit pas. Caché en milieu rural, blotti dans la solitude. Alors, on se balade dans les Combrailles, bercé par les rencontres qui cognent le coeur. Et on s'est dit que les mains parleraient d'elles-mêmes.

Sur la commode, le semainier pour bien répartir les pilules et médicaments. La maison au sol carrelée reçoit le frottis des chaussons qui glissent. Et cette voix douce « Entrez » qui résonne sous la pluie. Alors, j’entre. Il a tout prévu. Des jus de fruits bio, des gâteaux. Tout est prêt. Agrippé à sa canne, il est content de voir une journaliste. Il m’accueille alors, le sourire en coin, et les yeux malicieux derrière ses lunettes carrées. On ne parlera pas de son âge. A peine de sa vie. Mais, dans ce petit village des Combrailles, dans cette jolie maison avec une cuisine, un salon, et une chambre, derrière les rideaux au crochet, on entend la solitude et le chagrin parfois.

Il ne veut pas parler, sinon il pleure. Alors d’un revers de la main, il braille « passons« . Puis sourit de nouveau. Ses ami.e.s arrivent, pour discuter. « Ca fait du bien de se raconter un peu. »

Ils parlent de la rencontre avec leur femme, mari. De la violence dans le couple, de l’alcool, de la joie de vieillir ensemble, des envies d’ailleurs, des chagrins du quotidien. Des drames aussi. chacun.e en a vécu. Mais, à cet âge-là, on ne s’inquiète plus pour soi. On ne vit que pour les autres.

Lui, il parle peu, mais tout ce qu’il dit est assis. Tout ce qu’il dit est posé. Il n’entre pas dans la bien-pensance. Lui, il aime les jeunes, il les voit se démener comme ils peuvent dans un monde de dingues.

L’amour, il n’en parle que du bout des lèvres. Trop dur, ça aussi. Il peut en revanche parler de l’agriculture bio, il a été un pionnier en la matière. Il s’énerverait presque contre tous ceux qui utilisent les pesticides et les engrais chimiques. « Ils font les choses à l’envers« , résume-t-il.

Ses convictions ont survécu aux tempêtes de sa vie. Des deuils, il en a fait, beaucoup trop. Un enfant, une femme, une petite fille. Alors, il ne tient plus vraiment debout. La canne est devenue sa meilleure alliée. Il a peur de bouger, de partir, de marcher. De vivre un peu trop peut-être.

Mais, il regarde des émissions à la télé. La dernière fois, une émission sur le polyamour l’a rendu perplexe. Parce qu’il réfléchit, il ne se laisse pas influencer. « Ils étaient beaux, ces jeunes. Mais j’avais l’impression qu’ils faisaient la compétition à celui ou celle qui avait le plus d’amoureux, amoureuses. C’était bizarre. Parce que, est-ce que ça, ça rend heureux ?« 

Il se questionne. Je lui trouve un petit surnom. Il sourit sans un bruit, mais je le vois, heureux. Je le tutoie, il s’en ravit. « Et puis, ces patrons qui gagnent de l’argent c’est bien normal, mais pas au dépens de leurs ouvriers…« 

Cet ancien agriculteur continue de regarder le monde à travers sa fenêtre et les rideaux en crochet. Il s’inquiète vraiment pour la planète. Pour l’avenir, dont il ne fera pas partie. « La vie est drôle quand même. » « Drôle? » répète-t-on en énumérant dans sa tête tous les drames qu’il a surmontés. « Oui, la vie est drôle. » Puis, il se tait. Ferme les yeux. Ne sourit plus.

Il est l’heure de partir. Je lui fais la bise spontanément. Le bisou enfoncé dans la joue moelleuse. Il se marre. Il ne s’attendait pas à ça. Alors, il me donne la main. Je lui fais promettre un prochain rendez-vous.

Evidemment, il feint d’hésiter, mais j’aime à croire qu’il lui tarde autant qu’à moi, nos retrouvailles.

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