« 9 heures » ne devrait pas être une heure pour pleurer. Pourtant, hier matin, devant la Police Aux Frontières de Gerzat, un couple et une femme seule ne peuvent retenir leur émotion.
Ils sont convoqués, comme une dizaine d’autres personnes – qui ne se présenteront pas- sans savoir pourquoi.
F. a la boule au ventre. Elle a fait garder son fils, né, à Clermont-Ferrand, il y a à peine 2 ans. « Je ne sais pas ce qu’ils nous veulent. Nous sommes en France depuis 2022. Nous n’attendons que ça, des papiers pour pouvoir travailler. »
F. arrive de Mauritanie, un des pays « les plus corrompus au monde » selon elle. Elle est bien née, d’une caste prestigieuse. Mais, elle tombe amoureuse d’un homme esclave, un Harratine. « On a le même nom de famille, car les esclaves portent le nom de leur maître. »
Derrière elle, essuyant ses larmes, l’homme baisse la tête, comme s’il était honteux encore de ses origines. « Les harratines sont maltraités chez nous. Un jour, J. a été torturé parce qu’il a bu devant son maître. » On a voulu lui arracher ses parties intimes, il lui reste une énorme cicatrice sur la cuisse droite. « Mais, nous nous sommes rencontrés et nous sommes tombés amoureux. Rien ne peut lutter contre cela. »
F. raconte que, déjà enfant, elle détestait cette société dans laquelle se côtoyaient opprimés et oppresseurs. « Mon père m’avait fait la remarque à table. Car je baissais toujours la tête quand on parlait des esclaves. »
Ce même père, homme puissant de son pays, n’accepte pas la relation amoureuse de sa fille, qu’il qualifie de « crime d’honneur ».
« Il m’a frappée et m’a interdit d’être avec J., mais on ne peut empêcher personne d’aimer. »
Alors, elle fuit, avec l’homme qu’elle aime. Ils arrivent en Espagne, mais ne parlent pas la langue. La Mauritanie étant francophone, puisqu’elle est une ancienne colonie française, jusqu’en 1960, le couple se dirige en France. « Là, sans la barrière du langage, nous espérions nous insérer, et trouver du travail. Nous savons faire plein de choses. »
Mais, l’accueil français n’est pas celui espéré. A Clermont-Ferrand, on leur refuse les papiers. « Puis, j’ai découvert que j’étais enceinte. Notre enfant est né ici. » L’enfant de l’amour dont elle montre fièrement une photo.
Mais rien n’y fait. Aucun hébergement ne leur est proposé, jusqu’à la Maison du Peuple dans laquelle ils vivront quelques semaines. Puis aujourd’hui, cette convocation.
Les amoureux s’embrassent, il est l’heure de répondre aux questions. L’accueil est glacial. Un homme demande même aux accompagnants de quitter le hall d’entrée. « Mais, c’est un lieu public, ici. » Rétorque l’une d’elle.
F. est convoquée, puis son mari. Ils tiennent dans leurs mains les quelques papiers qui racontent leur histoire.
Assise sur la chaise à côté, attendant son tour, H., angolaise, hésite à ressortir. Elle a laissé son fils, collégien et sa fille lycéenne, tout seuls ce matin pour se rendre à cette convocation. Elle demande ce qu’elle doit donner, et insiste. Elle veut être sûre de retrouver ses enfants ce soir. Elle parle mieux le portugais que le français. Elle tremble, pleure. « Je ne veux pas retourner en Angola. »
Cette mère de famille a été attrapée lors d’une manifestation contre le pouvoir en place. Elle a dû fuir, après avoir été torturée. Depuis, un mandat de dépôt lui a été envoyé. « Si elle rentre elle n’a aucune chance » déclare le militant qui l’accompagne. « Bon sang, ici, ils ne vont tout de même pas la renvoyer à la mort. »
Elle aussi est appelée, après un dernier regard humide, elle s’engouffre derrière un policier. Sa fille appelle quelques minutes après sur le téléphone du bénévole. C’est l’heure de la récré au lycée. « Ta maman n’est pas sortie, mais ne t’inquiète pas, ça va aller. » Tente de la rassurer l’homme, la voix brisée.
Le couple finit par ressortir. Soulagé. Quoique. « On est assignés à résidence pendant 45 jours dans un hôtel, on doit pointer chaque jour au commissariat. On ne peut pas sortir du département. »
Quelques bénévoles et militants appellent les avocats, lisent le document, ne savent pas trop quoi en penser.
Puis, c’est un camion de pompier qui repart du commissariat. H. est à l’intérieur. Elle a fait un malaise, elle est conduite aux Urgences. « Elle a fait une crise d’angoisse, pour rien. » semble s’amuser le pompier. On s’agace : « Pour rien ? Cette femme est convoquée, laissant seuls ses enfants, sans savoir ce que l’on va faire d’elle et vous trouvez qu’elle angoisse pour rien ? » Le pompier retire ce qu’il a dit. « Pardon » Souffle-t-il en prenant conscience du destin et de ce que la France fait vivre à celle qu’il conduit à l’hôpital. « C’est violent de la voir partir avec les pompiers. » Exprime un militant.
H. a aussi reçu une assignation à résidence pour 45 jours. « Le temps de préparer leur départ si on ne fait rien » Explique un avocat au téléphone.
Ces vies malmenées de leur pays au nôtre ne semblent pas émouvoir la préfecture du Puy-de-Dôme.
En effet, la presse locale, sauf nous, a été convoquée ce même lundi. Le préfet a voulu remettre les points sur les I. Il atteste d’ailleurs « avoir pris l’engagement que toutes les personnes dans une situation de grande indignité devaient être prises en charge dans un hébergement digne. Je l’ai tenu » (NDLR: propos relatés par La Montagne.)
Pourtant selon nos chiffres vérifiés avec les associations, seules 39 personnes sur 77 (présentes à la maison du peuple) ont été prises en charge par l’Etat.
Alors à la violence administrative, sociétale d’ici et ailleurs, s’ajoute la violence du mépris d’un Etat qui estime que ces humains venus trouver refuge pour leur survie ne méritent rien d’autres que d’être considérés comme des fauteurs de trouble, obligés de pointer chaque jour dans un commissariat, assignés à résidence, avec interdiction formelle de profiter de la vie…
1 réflexion sur “« Me renvoyer dans mon pays, c’est m’envoyer à la mort »”
le ministre Retailleau ( et le RN) a demandé aux préfets de « s’impliquer personnellement dans ce combat pour réduire l’immigration « Éloignez plus et régularisez moins ». C’est une remise en cause de la circulaire Walls qui permet de régulariser des sans papiers ; déboutés du droit d’asile et sans titre de séjour. Soit 30 000 étrangers par an, soit en théorie 312 personnes par préfecture. Le préfet ignore t’il cette circulaire qui permet d’octroyer une carte de résident à des familles ? OU se plie t’il aux injonctions du discours politique de la droite et du RN ?