« Je ne servirais même pas ça à mes chiens. »

Nous poursuivons notre enquête sur l'ADAPEI 63. Alors que majoritairement, les repas sont confectionnés par un chef cuisinier sur les autres sites, les cuisines de Chignat qui desservent aussi l'IME La Roussille sont gérés par l'entreprise Elior. Des cuisiniers nous racontent les raisons qui les ont poussés à partir.

11 euros, ce n’est pas le prix du repas, mais du montant total pour tous les repas de la journée pour chaque résident. Petit déjeuner, déjeuner, collation et dîner. « Ici, contrairement à d’autres sites, ils ont un goûter, et heureusement. » De source interne, l’ADAPEI 63 dépenserait 11 euros par jour et par résident, coûts fixes compris. « Elio se gave sur les prix. Une bouteille d’Hepar coûte plus cher chez eux qu’au supermarché. » Explique un cadre de l’ADAPEI 63.

11 euros par jour et par résident

Des cuisiniers ont décidé de prendre la parole pour dénoncer des plats « qu’ils ne serviraient même pas à leur chien. » Il faut avouer que la gestion des repas n’est pas simple, certains résidents mangent normalement, quand d’autres doivent avoir un repas haché, et certains ne peuvent avaler que du mixé. « Sans compter les allergies qu’il faut prendre en compte. »

« Avant, tout allait bien, les cuisines avaient un chef. Il s’appliquait à donner des repas avec des produits frais. » Une diététicienne était même venue sur site et avait réalisé un audit que nous nous sommes procurés afin d’améliorer l’hygiène et la nutrition. Elle avait d’ailleurs rencontré les familles.

Mais, pour des raisons économiques, la restauration des sites Vertaizon-Chignat a été reprise par Elior. Le chef a refusé de travailler dans ces conditions, et est parti.

Turn over

Depuis, ce sont majoritairement des intérimaires et des personnes sans diplôme « cuisine » qui y travaillent.

L’un d’eux raconte : « J’y ai été intérimaire. J’ai été choqué. En un an, 3 chefs de chez Elior sont passés. Même eux, ils ne peuvent travailler dans ces conditions. » Lui, a passé un CAP quand il avait 16 ans. Il entre à l’ADAPEI 63 en tant qu’intérimaire. Mais, il déchante vite.

« Certains résidents ne mangent que de …l’eau »

« Le pire, ce sont pour ceux qui mangent mixé. Souvent, on donne la viande à ceux qui peuvent mâcher. Eux se contentent de plats où on ne mélange que le jus de viande, avec de l’eau, et un gélifiant purement chimique. »

2 cuillers à soupe de ce gélifiant pour 20 litres suffisent à caler le ventre. Il a beau regarder, l’intérimaire ne comprend pas à base de quoi est fait ce produit. « Mais il n’y a rien d’alimentaire dedans. »

Le jeune homme poursuit son récit : « J’ai déjà vu des salades noires être mixées avec du pain dur congelé. Une fois mixé, on ne voit rien. »

Démission des diplômés

A plusieurs reprises, il alerte. Ses collègues sont dans le même état. Beaucoup démissionnent. « Certains avaient 30 ans de cuisine derrière eux, quand Elior est arrivé, ils sont partis. »

L’ancien cuisinier rencontre alors des collègues qui ne restent que quelques jours, sans diplôme. « C’est un peu dangereux, car avec toutes les restrictions alimentaires de certains, dues à leur pathologie, il faut bien suivre les recommandations, et prendre des habitudes. Mais, le turn over est trop important. Un des résidents a dû hospitalisé car ses allergies n’avaient pas été respectées. »

L’ambiance se dégrade. Un de ses jeunes collègues a du mal à se plier à ce qu’on lui demande de faire. « Les conditions de travail sont compliquées. Personne n’a envie de donner de la merde à manger aux gens. On était tous malheureux. Lui s’est suicidé. C’est évidemment multifactoriel. Et connaître les raisons d’un suicide c’est compliqué. Mais, il n’arrêtait pas de se plaindre de nos conditions, et avait pris deux blâmes. Il voulait partir. Il était en arrêt pour un orteil cassé depuis 2 mois. Il devait reprendre le boulot quelques jours plus tard. »

Des résidents qui perdent jusqu’à 30 kilos en 18 mois

Du côté des éducateurs, la crainte se fait sentir. « On voit de résidents maigrir. Lors de la dernière réunion, des familles ont questionné à ce sujet, mais on leur a répondu que c’était parce qu’ils se nourrissaient mal avant. Et que désormais, ils mangeaient équilibré. »

En exemple, sur un groupe de 8, dans un service, l’un a perdu quasi 30 kilos en 18 mois, et l’autre 15 kilos. « Ce sont des résidents qui vivaient en famille avant d’être placés. Donc, on voit vraiment la différence. Nos autres résidents sont placés depuis longtemps, donc ça se voit moins, même si depuis Elior, aucun n’a pris de poids, ça, c’est sûr ! »

Les familles, quant à elle, s’inquiètent. Au détour de prises de sang, certaines ont pu vérifier des carences sur leur proche placé. « C’est compliqué, on nous parle de manque de fer, par exemple, mais on ne sait pas si on peut imputer ça à ce qu’on leur donne à manger. »

Des carences en fer et vitamines

Certaines familles nous expliquent que le vendredi, les personnes se ruent sur la nourriture. « Je me suis demandé si elle était assez nourrie. » Explique une autre maman.

L’intérimaire, qui a refusé de faire une nouvelle mission a quelques explications : « Par exemple, on doit fournir 100g de viande par personne. Mais Hélior apporte 100g de viande crue. Une fois cuite, il ne reste plus que 40g. Tout est parfaitement maîtrisé budgétairement par cette entreprise qui doit respecter les 3 euros de dépenses par jour et par personne. Les différents chefs nous ont montré leur ordinateur où ils ont des codes couleur du vert au rouge en fonction de leurs dépenses. »

Un code couleur pour les chefs

Ainsi, parfois, en fonction des promotions, les résidents peuvent manger plusieurs jours d’affilée la même chose afin que le chef puisse être dans le vert.

« Nous avons le Pacte Hygiène, où toute les infos doivent être rentrées. Sauf que c’est nous qui devons le faire, alors moi j’appelle ça la boite à mensonges. Tu marques ce que tu veux. »

Idem du côté du respect de la chaîne du froid ou des températures à respecter. « On doit mettre dans un chariot qui garde les plats à 65 degrés. Mais, souvent, on le retrouve débranché. Les protocoles ne sont jamais faits. »

Les professionnels ne mangent pas les repas

L’ancien cuisiner le reconnaît : « Il faut une vraie formation, car il y a des menus différents avec une multitude de restrictions. Ce genre de cuisine a besoin de gens formés. Or, on recrute où on peut, puisque personne ne veut venir. »

Le jeune homme qui a décidé de se réorienter, pousse un soupir. « Vous savez, on ne mangeait pas ce qu’on cuisinait. Et quasi aucun salarié ne mange sur place. Les employés apportent leur repas et nous en cuisine, on grignotait un morceau de fromage et de pain. »

Enfin, l’ancien intérimaire aimerait conclure : « J’ai aussi vu des salariés défaillants. Un jour je livrais les repas quand j’ai entendu un employé dire « Allez les mongols, on mange. » « 

Aujourd’hui, le jeune homme est parti des cuisines du site Chignat-Vertaizon. « Majoritairement, les résidents ne parlent pas, mais s’ils le pouvaient, que nous diraient-ils ? Je crois que c’est notre rôle de parler à leur place. C’est trop facile de se faire de l’argent sur les plus vulnérables. »

Pomme pour le goûter. Photo prise par des salariés.

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