Audience au Tribunal Administratif pour Madama

Ce matin, à 10 heures, une audience émouvante a eu lieu au premier étage du tribunal administratif de Clermont-Ferrand. En bas, un comité de soutien est resté très solidaire et présent pour les parents « adoptifs » de Madama, venue de Haute-Loire. Récit de l’audience.

Avocat commis d’office et dossier de 700 pages

Covid oblige, il n’y a que 8 places disponibles en salle d’audience. Deux sont prises par le père et la mère de substitution de Madama, les autres par quelques membres du comité de soutien. C’est un avocat commis d’office qui doit plaider. En effet, l’audience aurait dû avoir lieu vendredi, puis a été reportée. L’avocate de Madama n’a pu être présente ce matin. Le jeune avocat commis d’office a reçu le dossier vendredi soir. Un dossier comme on en voit rarement, plus de 700 pages. Un dossier qui oppose le préfet de Haute-Loire qui demande à Madama de quitter le territoire (Obligation de Quitter le Territoire Français, OQTF), et Madama qui demande à rester. Une affaire malheureusement presque quelconque, quasi quotidienne. Madama devient un symbole de ce combat administratif pour enfin pouvoir accéder à une vie sereine, comme nombre de nos concitoyens.

L’avocat et la famille de Madama avant le début de l’audience
Plaidoirie de plus de 45 minutes

Après la lecture par le président, le jeune avocat se lance, on devine rapidement derrière son masque un accent. Le jeune homme connaît le dossier, et s’en vouloir offenser le président remet en cause sans détour les motivations du préfet.

L’avocat dénonce rapidement les faits reprochés. Madama serait une menace pour l’ordre public, Madama aurait falsifié ses papiers. Et pourtant, Madama est un jeune malien arrivé à 16 ans du Mali. L’ASE et le juge pour enfants le reconnaissent bien mineur à son arrivée. Il est pris en charge par une famille d’accueil. Il s’intègre parfaitement à la société, il est actuellement en apprentissage, et ce depuis juillet 2020 dans une exploitation agricole, et ses employeurs sont ravis de son travail. Le préfet pourtant ne semble pas avoir vu les efforts et la motivation du jeune homme. Madama a été confié à un couple désigné comme un tiers digne de confiance qui l’héberge et l’accueille dans tous les sens du terme. Le jeune malien est analphabète à son arrivée, il parvient pourtant en deux ans à décrocher un contrat d’apprentissage.

« Il était analphabète à son arrivée, il est désormais en contrat d’apprentissage depuis juillet 2020 dans une exploitation agricole »

Mais le préfet de Haute-Loire s’acharne. il semblerait, selon lui, que les papiers du jeune Madama sont falsifiés et donc on ne peut lui délivrer un titre de séjour. Il sera d’ailleurs mis en garde à vue, questionné, convoqué. Désormais, le jeune homme est assigné à résidence.

L’avocat alors cite la Déclaration des Droits de l’Homme. « On reproche à mon client d’avoir des liens avec le Mali et donc qu’il peut y retourner puisqu’il y a encore des contacts. Monsieur le président, il a simplement pu faire des démarches administratives auprès de sa mairie pour récupérer des papiers. Peut-on reprocher à un jeune homme de se battre pour prouver son identité alors que c’est exactement ce qu’on lui demande? Monsieur le président, je suis moi-même d’origine marocaine, et j’aurais remué ciel et terre, cherché des contacts dans mon pays d’origine pour récupérer mes papiers. »

Le Mali, un pays instable politiquement et dangereux

Puis l’avocat cite les crises sanitaire et humanitaire que traverse le Mali et le danger que ce pays représente pour ses habitants et ceux qui l’ont fui, rappelant que depuis la venue de Madama, les choses ont largement empiré avec notamment le putsch militaire de 2020.

Quat à la prétendue falsification des papiers de Madama, la défense reste inflexible. « Certes, il n’existe aucune obligation à solliciter le pays étranger pour vérifier les papiers, pourtant, ils auraient pu le faire, car là, on nous dit simplement qu’on n’a pas la preuve que ces papiers ne sont pas des vrais. Cela signifie-t-il qu’ils sont faux ? »

Falsification des papiers ? Rien ne le prouve, et de nombreuses solutions existent pour prouver qu’ils sont vrais

En effet, le préfet prétend avoir eu une affirmation orale de la falsification des actes civils. mais aucune preuve n’est dans le dossier. De plus, l’acte 2 de l’acte de naissance est détenu par le ministère de la justice malienne, et il suffit de se le procurer pour vérifier l’authenticité des papiers. Enfin, au Mali, une réorganisation des actes civils est en cours car il n’existait aucune archive ni aucune informatisation du service, qui reconnaît lui-même qu’il est compliqué de statuer sur les certificats donnés.

Et même si Madama avait falsifié ses papiers, en aucun cas, un usage de faux représente une menace de l’ordre public, alors que le préfet prétend que le jeune malien ne peut rester sur le territoire car représente un danger.

Remise en cause du jugement attestant sa minorité par le préfet de Haute-Loire

Le préfet va même jusqu’à contester le jugement qui a prononcé la minorité du jeune Madama, alors qu’il le reconnaissait le 25 janvier 2021, il y a à peine 3 mois. « Nous sommes donc là face à une contradiction qui ressemble même à de la mauvaise foi » exprime l’avocat.

Un préfet qui dénigre la pétition et ses 37 mille signataires

Concernant le soutien fait à Madama, notamment avec la signature d’une pétition par 37 mille personnes, le préfet parle d’actes politiques de gens qui ne connaissent même pas le jeune malien. « Pas faux » rétorque l’avocat. « Tout comme l’Etat français ne connaît pas tous les birmans qu’il prétend soutenir pourtant. Parfois, on soutient une cause, cela dépasse la personne, et il me semble qu’en France, c’est encore possible… » Mais surtout, le préfet remet en cause le lien solide entre Madama et sa famille d’accueil. « Il les considère comme des professionnels, des gens payés pour ça, mais non, Madama est comme leur fils. et nous avons le soutien des agriculteurs qui veulent le garder, des lycéens qui ont organisé un sit-in dans leur établissement, une pétition, on ne peut absolument pas remettre en cause l’ancrage solide du jeune homme, il me semble qu’on ne peut prouver plus une intégration. »

Alors que la plaidoirie dépasse les 45 minutes, le président demande à plusieurs reprise à l’avocat de conclure. Mais le jeune ténor du barreau ne se laisse pas intimider, et termine : « Non Madama n’est pas une menace de l’ordre public, Non, Madama ne va pas s’enfuir puisque le préfet à cette crainte, il vit toujours dans sa famille d’accueil alors qu’il est majeur et que rien n’oblige la famille de le garder, non, il n’a pas de lien avec son pays d’origine hormis les contacts qui l’ont aidé à récupérer ses papiers. Alors, monsieur le président, je demande l’annulation de l’OQTF, et qu’on laisse enfin ce jeune homme vivre sa vie. »

Madama aspire à une vie simple et humble et nous serons là pour l’épauler »

Famille d’accueil

Le président, alors qu’il n’en a pas l’obligation, propose aux parents de prendre la parole. «  Même si vous n’êtes pas les tuteurs légaux, je vous laisse vous exprimer. »

« Nous sommes prêts à l’adopter »

C’est donc la « maman » qui va à la barre en premier, les larmes aux yeux, et la voix tremblotante. « Cette audience est importante pour Madama, pour son avenir, et je tiens à excuser son absence, il respecte beaucoup tout ça, mais les audiences précédentes l’ont trop éprouvé, nous le sommes tous d’ailleurs. Nous avons un lien très fort avec lui, et nous aimerions pouvoir continuer à nosu enrichir mutuellement, nous nous engageons à l’aider, à l’épauler, et le guider du mieux que nous le pourrons. Son parcours est très simple, il veut juste travailler sur une exploitation bio, et mener une vie humble. Monsieur le président, si vous acceptez qu’il reste, nous serons toujours à ses côtés. »

Quant à Eric, le père, il ne dit qu’une phrase : «  Nous sommes dans la vie de Madama, au-delà des lois, mais nous avons vu qu’il nous serait même possible de l’adopter, c’est une idée qu’on a : Adopter Madama, car il fait partie de notre famille. »

Le délibéré sera rendu demain matin.

Les parents de Madama à la sortie de l’audience, très éprouvés et émus

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2 réflexions sur “Audience au Tribunal Administratif pour Madama”

  1. bonjour eloise je viens de lire ton excellent article sur le procés de madama j’en suis stupefai comment un préfet peut s’acharnait contre une PERSONNE je pense que ce préfet devrait aitre juger pour RASISME fraternellement pierrot

  2. Ping : Le tribunal rejette le recours contre l'OQTF qui vise Madama : Les parents "adoptifs" font appel. - MEDIACOOP

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