La quarantaine, c’est l’âge de raison ? Pas vraiment pour le gouvernement qui prépare la 40ème loi portant sur les droits des étrangers depuis 1980. Ça en fait une tous les 17 mois. C’est pour dire combien ce sujet se veut le chiffon rouge des différents gouvernements qui se succèdent en France depuis plusieurs décennies.
Celle qui est dans le tuyau ne déroge pas à la règle : le ton va se durcir et les droits se désintégrer. Hier, quatre invités ont présenté en détail le contenu de la loi Darmanin et ont déroulé ses multiples conséquences. Au micro, Charles-André Dubreuil, professeur de Droit Public à l’UCA et directeur de la Clinique des droits, Marianne Maximi, députée NUPES de la 1ère circonscription du Puy-de-Dôme, Claire Rodier, membre du GISTI et spécialiste des questions migratoires et Jean-Louis Borie, avocat. La soirée était organisée par la LDH, RESF et La Cimade.
Mise en contexte
Avant l’exposé des invités, un membre de RESF prend le micro. « Depuis 2017 à Clermont-Ferrand, 30 à 40 mineurs non accompagnés vivent en permanence dans un squat. Aujourd’hui, on veut les expulser ! », rappelle ce dernier, qui parle également du contexte politique général défavorable du pays. « La dernière loi sur le sujet date de 2019. Il y a eu deux candidats d’extrême-droite à la dernière présidentielle. Il y a 89 députés RN. À l’automne, une circulaire est arrivée dans les mains des préfets pour leur demander davantage d’OQTF. ».
Une couche de plus dans le mille-feuille
Cette loi a d’abord été examinée à l’été 2022 en réunion interministérielle. Les débats à l’Assemblée puis au Sénat ont eu lieu en décembre avant une présentation en Conseil des Ministres au début de l’année. Après une présentation en Commission des Lois au Sénat, le gouvernement a fait un dépôt en procédure accélérée pour couper court au débat parlementaire. Chacun de leur côté, le Conseil d’État et la Défenseure des Droits soulignent la tardiveté de la transmission de l’étude d’impact de la loi. On a connu des façons de faire plus conventionnelles.
Il y a quelques jours, Élisabeth Borne a demandé à Darmanin de relancer des « concertations » pour présenter le projet de loi en juillet. La Première Ministre avait pourtant renvoyé le sujet à l’automne.
Mais si cette loi commence sa vie parlementaire en eaux troubles, elle risque également de flouter encore plus le droit des étrangers qui porte déjà des allures de mille-feuille. « Le droit des étrangers est devenu, à force de textes, de plus en plus illisible et complexe pour les étrangers mais aussi pour les administrations. », explique Charles-André Dubreuil.
De quel bois se chauffe la loi ?
Au programme de la loi Darmanin, quatre grands axes :
- D’abord, « Favoriser l’intégration », comme l’annonce le projet avec cynisme. Par la maitrise du français dans un premier temps. « Il s’agit d’exiger que des étrangers qui souhaitent obtenir une carte de séjour pluriannuelle puissent apporter la preuve de compétences dans la maitrise du français. », explique le professeur Dubreuil. Aujourd’hui, il faut simplement prouver son assiduité dans l’apprentissage de la langue. Autre méthode d’intégration : le travail. Des cartes de séjour délivrées pour des métiers dans les secteurs en tension seront testées ainsi qu’une carte de séjour « talent » pour les médecins et pharmaciens. « On voit comment les priorités se renversent. La carte de séjour devait permettre l’intégration. Là, il faut travailler et parler français, être intégré pour en obtenir une. », poursuit Charles-André Dubreuil.
- Le deuxième axe porte sur la notion de protection de l’ordre public. Deux méthodes permettront de retirer ou ne pas renouveler un titre de séjour. Lorsque le titulaire a porté une atteinte grave à l’ordre public ou lorsqu’il ne respecte pas les valeurs républicaines. Si dans le premier cas, les règles paraissent assez claires, le deuxième laisse lui, dans le flou. Dans cette loi, se cache aussi la volonté de faciliter les mesures d’éloignement, (OQTF et expulsions). La loi prévoit que des personnes protégées comme un enfant Français ou des époux de Français voient leurs protections réduites.
- Troisième axe : la procédure de demande d’asile avec le projet de la territorialiser au niveau des procédures administratives et de la compétence juridictionnelle de la Cour Nationale du Droit d’Asile. Des pôles territoriaux devraient regrouper les services de la préfecture, de l’OFI et de l’OFPRA. Les juges seraient uniques et donc, la place des juges assesseurs du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés serait amoindrie.
- Enfin, la réforme du contentieux du droit des étrangers. Il s’agit de réduire le nombre de recours ouverts aux requérants. Sans oublier la possibilité de tenir des audiences dans les lieux de rétention et d’attente et la généralisation de visio-audiences.
Fragiliser et durcir
« Le sujet de l’immigration est une manière d’instrumentaliser une position hostile. Il faut commencer par rétablir le droit existant. Appliquer la loi partout alors qu’à des endroits, comme à Mayotte, elle n’existe pas. », commence Claire Rodier qui dénonce les nombreuses conséquences de cette loi sur les étrangers.
Selon elle, trois axes se dégagent :
- Rendre l’accès à un titre de séjour encore plus difficile pour les étrangers.
- Désintégrer le statut des personnes les plus intégrées
- Fragiliser les étrangers les plus précaires
Un constat que partage Maitre Borie qui alarme également sur la très grande place laissée par la loi aux maires et préfets au niveau du contrôle des étrangers.
Non au projet, oui à une autre vision
Marianne Maximi conclue le débat. Elle est une femme politique, on lui demande de finir sur une touche optimiste. Cette dernière propose quelques pistes afin de lutter contre la loi Darmanin et pour changer de cap sur les droits des étrangers. « Il faut travailler pour proposer une autre politique d’accueil. Certains pensent que si on restreint le droit des étrangers, on va améliorer nos conditions de vie. C’est l’inverse ! », clame cette dernière.
Pour elle, il faut tout d’abord arrêter de penser les politiques migratoires à court-terme. Elle prône le retour des titres de séjour de 10 ans pour favoriser l’intégration. Elle souhaite également porter l’ouverture de nouveaux droits comme celui du vote et faire primer la présomption de minorité lors de l’arrivée de jeunes étrangers.

« Comment peut-on légitimer une loi comme ça de nos jours ? Il faut qu’on soit capables de développer une offensive. Parler d’accueil. Surtout dans ce contexte ou d’autres vagues migratoires vont arriver. », termine la députée.
« L’Immigration n’est que représentée sous un angle politique et à travers le prisme de l’ordre public. Faire ce débat au sein de l’université, c’est important car c’est un vrai sujet de société qui doit être débattu démocratiquement. », expliquait Charles-André Dubreuil, au début de l’événement. L’objectif paraît rempli ce soir avec une salle pleine à craquer et des gens assis jusque dans dans les escaliers.
3 réflexions sur “Contre la loi Darmanin, penser une politique d’accueil digne”
Un titre de séjour qui serait lié à la possession de certaines qualités comme la maitrise d’une langue ou la faculté de devenir travailleur est une hypothèse dangereuse pour tous les autres citoyens qui ne pourraient pas remplir ces cases légales, contrôlables.
La vision de l’immigration reste sous ce gouvernement complètement inféodé aux vœux nationalistes : tout étranger sur le sol français est une menace.
la menace verserait elle maintenant du coté non pas du comportement mais d’une néo colonisation des désirs, de la vie : un bon immigré doit apprendre le français et travailler. En cinquante ans, et à cause des fantasmes d’une nation épurée et grâce à la courte échelle politique que certains partis ont permis en laissant se débattre 2 candidats présidentiables, plutôt d’accord sur le sujet de l’immigration, on rajoute une couche sur le dos de personnes fragiles, ne laissant passer dans les mailles du filet que ceux qui iront bosser pour des salaires et des conditions de travail minables, pour le grand bien de la relance économique.
En Allemagne, les étrangers appelés à travailler étaient nommés Gasarbeiter : » travailleurs invités ». Pas de quoi révolutionner le droit des étrangers mais quand on invite quelqu’un c’est qu’il nous ressemble un peu. Avec Darmanin et sa loi « hostile », l’autre est un produit jetable mais qui peut participer à la production. En Allemagne, 22 millions de citoyens ont des racines étrangères et tout va bien.
Wir sprechen ein wenig deutsch :
Gastarbeiter au lieu de Gasarbeiter
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