P. prend son café délicatement dans les mains, comme pour réchauffer des mains beaucoup trop vides. A 27 ans, la jeune femme n’a de cesse de pleurer. Avec dignité, en plongeant ses yeux noirs et doux au travers d’une fenêtre qui lui montre la vie clermontoise. Cette ville qu’elle a adoptée.
Mais, P. est tributaire de papiers. Toujours. Constamment. Alors c’est épuisée, qu’elle décide de nous raconter son histoire.
« Je suis née au Nigéria. J’ai beaucoup déménagé avec le travail de comptable de ma mère. » C’est une excellente élève qui saute des classes et qui lit des livres de poésies. L’un d’eux est écrit en français. Elle a 15 ans. Cette langue l’attire. Et si elle partait finir ses études en France ? Elle parle déjà parfaitement l’anglais.
Le centre Fleura, centre de Français Langues Etrangères et Universitaire de la Région Auvergne, l’accueille les bras ouverts.
Etudiante exemplaire
A 16 ans, bac en poche, elle est l’une des plus jeunes étudiantes. Et elle apprend vite. « Même si la première année, j’avais un peu honte de mes fautes de français. » Mais, la jeune fille a envie de s’instruire, cultivée, lire les poésies françaises. Alors, elle s’accroche. Elle vit au foyer Home-Dome.
Très vite, elle est prise en licence Metiers du livre, puis en Master conduite de projets culturels, à l’université. Chaque année, son titre de séjour étudiant est renouvelé.
Elle bosse pour vivre, dans la restauration. « J’aimais beaucoup ça. » Elle a même un CDI. Puis, elle se tourne vers l’enseignement, d’abord comme assistante en anglais, puis contractuelle.
Prof d’anglais
« Je suis clermontoise. Depuis 10 ans, je vis ici. J’ai mon appartement, mon chat, mes amis. » Déclare comme lors d’une déposition les raisons de sa demande de renouvellement de papiers.
P. ambitionne d’être reconduite pendant plusieurs années avant de prétendre à une CDIsation. Cependant, pour être fonctionnaire, il lui faut être naturalisée française. Car seuls les ressortissants européens peuvent prétendre à ce statut selon la loi. « J’ai fondé mon association, et je ne veux plus partir de cette ville. Je suis tombée amoureuse d’ici. J’y suis chez moi. »
Pourtant, en devenant salariée, P. change de statut. Et les difficultés administratives commencent. « Tant que j’étais étudiante, le renouvellement de mon titre de séjour se faisait facilement. » Au bout de 5 années sur le territoire, elle demande sa nationalité française comme le propose la loi. On lui refuse, prétextant un manque d’intégration.
festival Clermont Afro Fest
A l’époque, elle est pourtant salariée en CDI dans la restauration, titulaire d’un Master, locataire de son appartement et présidente de son association qui organise le festival Clermont Afro Fest afin de promouvoir le mélange des cultures auvergnates et africaines.
P. ne se décourage pas. Elle envoie des lettres recommandées. La préfecture lui répond avoir perdu le dossier, puis l’avoir retrouvé quelques mois plus tard.
Elle se rend sur place. « Mais, la personne à l’accueil est juste là pour nous dire qu’on ne peut pas rentrer sauf si on a rendez-vous. » Elle envoie plusieurs mails de demandes de rendez-vous restés sans nouvelles.
La jeune diplômée travaille dans les collèges jusqu’en juin de cette année. Elle cherche alors du travail pour l’été, en attendant la rentrée scolaire et reprendre son poste d’enseignante. Mais, ses papiers se périment le 11 août 2024. « Personne n’a voulu me prendre pour les 2 mois d’été vu que mes papiers n’allaient que jusque mi-août. Heureusement, j’avais un peu d’argent de côté. »
Promesse d’embauche du rectorat
Le rectorat, quant à lui, aimerait pouvoir réembaucher la jeune femme. Il lui fait passer une promesse d’embauche, en cas de papiers.
Mais, la préfecture bloque. Les syndicats et associations s’en mêlent. « On demande aux gens de mériter leur place dans notre société. Il faut montrer patte blanche. OK, et donc, P. a fait ses études ici. A un travail, un employeur (le rectorat) qui l’attend, monté une association pour faire vivre culturellement notre ville, paie un loyer. Il faut quoi de plus ? » Exprime un syndicaliste de l’éducation.
Mais, rien n’y fait. P. ne peut pas faire sa rentrée en tant qu’enseignante.
« Maman est morte »
Un jour, alors qu’elle est dans son appartement, un ami de son oncle, vivant à Paris toque à sa porte. « Il est venu m’annoncer que ma maman était morte quelques jours avant au Nigéria. » P tente de retenir ses sanglots. Mais, rien n’y fait, les yeux rouges, les larmes sur les joues, elle raconte. « J’ai quitté ma mère je n’avais que 15 ans pour apprendre le français. J’ai pu la revoir pour Noël 2019. Une seule fois. Ensuite avec ces histoires de papiers, je ne l’ai plus revue. Depuis 6 mois, elle était malade. Mais, je pensais que ça irait. »
P. regarde au loin, sans un mot. Puis, dans un murmure : « Elle a été enterrée avant-hier, et je n’ai pas pu y aller. » Avant d’ajouter : « J’ai beaucoup trop mal. »
Hier, en rentrant, elle découvre dans sa boite aux lettres un courrier. L’enveloppe est estampillée du 19 août, mais le courrier à l’intérieur date du 6 septembre. Il l’informe qu’à titre exceptionnel, elle reçoit le renouvellement de son récépissé de demande de titre de séjour. Mais, ce dernier n’est valable que jusqu’au 14 octobre !
P. n’en revient pas : « Je ne sais pas si le but est d’épuiser les gens. Mais, c’est le cas. Je n’en peux plus de devoir tout justifier, payer des recommandés. J’aimerais que ma vie ne soit pas qu’une longue attente pleine de stress. »
L’imbroglio des dates montre le mépris administratif. « Une enveloppe datée du mois d’août avec une lettre de septembre. C’est à en devenir dingue. » Tellement dingue, que P. esquisse le premier sourire de sa journée.
Une préfecture injoignable
Entourée de ses lettres, relances, et courriers, P. tente de finir son café. « Mon association propose de faire découvrir la culture africaine. Mais pas seulement. C’est aussi une façon de mixer la culture afr’auvergnate : on fait des tapas africains, on cuisine qu’avec des produits locaux nos recettes exotiques, par exemple. »
Parce que P. croit en cela : la mixité, la plus-value du mélange, de la découverte, et de ce que chacun peut apporter dans cette société.
Une richesse incontournable pour un monde plus beau…
Reste que P. le dit beaucoup trop bien : « je ne suis qu’un papier que la préfecture perd trop souvent… »
1 réflexion sur “« Je ne suis qu’un papier que la préfecture perd souvent »”
Je ne sais pas si cette information peut aider à trouver une solutions d’emploi pour P.
Pour pouvoir travailler dans la fonction publique, il faut effectivement être de nationalité française, il y a cependant des exceptions.
Mais, si le poste proposé est un poste de contractuel, la condition de nationalité française est caduque.
IL faut bien sur vérifier mais dans l’hôpital, il y a beaucoup de soignants sous contrats et qui ne sont pas des ressortissants français ou européens.
Dans la fonction publique d’état ( enseignement) c’est pareil.
« Aucune condition de nationalité n’est exigée pour être recruté dans les 3 fonctions publiques (État, territoriale ou hospitalière) en tant que contractuel. »
Il faudrait revoir sa promesse d’embauche avec le rectorat et en lien avec la préfecture. Elle a sans doute acquis la possibilité de demander une carte de séjour.
Mais il faut l’accompagner dans ces démarches, qui l’aide ?