Et si les incidents à Croix-de-neyrat ne s’étaient pas passés comme la presse locale les a racontés ?

Alors que La montagne, France 3 relataient des feux de poubelles et un quartier nord en ébullition après l’arrestation d’un des jeunes, s’appuyant uniquement sur la version de la police, nous sommes allés toute cette semaine à Croix-de-Neyrat, rencontrer, jeunes, témoins, habitants et A., le jeune garçon plâtré après son arrestation.

En éducation aux médias, on en parle dès les classes primaires : Quelques règles sont essentielles au journalisme : Il ne faut pas se contenter d’une version, il faut vérifier ses informations, recouper ses sources et prendre le temps d’enquêter. Malheureusement, si ces conseils sont suivis désormais (on l’espère!) par les petits élèves du département lorsqu’ils surfent notamment sur Internet, certains médias locaux semblent avoir oublié la bonne vieille charte de Munich. En effet, la semaine dernière, le journal local titrait sur « une soirée sous tension » expliquant que les incendies faisaient suite à un jeune homme qui aurait trébuché lors de son interpellation, sans donner leurs sources. Mais on comprend très vite qu’il s’agit de la version policière.( Retrouver l’article de La Montagne ici . )

Deux autres articles feront mention de ces incendies, expliquant que la police a dû faire face à la violence du quartier, sans remettre en question leur version, ni même laisser les autres protagonistes de l’affaire donner la leur. France 3 Auvergne écrira aussi un sujet prenant le même angle, ici. Pourtant, nous avons tous été stupéfaits que des jeunes puissent mettre le feu à quelques poubelles parce qu’un de leur ami aurait trébuché lors de son interpellation. Alors, nous avons appelé nos contacts, regardé les vidéos et avons rencontré ceux qui avaient une autre version des faits.

Version de la témoin

Zineb fait les carreaux, quand elle voit un gamin allongé sous un coffret électrique. Elle imagine qu’il récupère un paquet de drogue. La police intervient très vite, le jeune les voit et se met à courir. Un agent, très grand et baraqué selon elle, lui fait une balayette et le frappe très lourdement à trois reprises. Zineb lui demande d’arrêter. L’agent lève à peine les yeux pour lui répondre « Je t’emmerde« . Elle réplique en disant « Si le petit porte plainte, je témoignerai de ce que vous lui faites ». Plaqué au sol, le jeune est maîtrisé. Les policiers le relèvent avec violence et le traînent jusqu’à la voiture. Arrivés devant leur véhicule, elle voit le jeune se débattre, et se rend compte que l’un des agents commence à l’étrangler, un autre le pousse très fortement dans la voiture en lui tordant l’un de ses pieds. Le jeune se met à hurler de douleur.

Version du jeune arrêté

A., le jeune homme qui a été arrêté pour trafic de drogue, est entouré de ses amis, ils se méfient de nous. Les journalistes, ils n’aiment pas trop ça. Mais nous connaissons beaucoup de monde, ici, et les habitants leur disent qu’ils peuvent nous faire confiance. A. décide alors de parler. Sa version est similaire à celle de la témoin (que nous avons interrogée avant qu’elle ne revoie le jeune) . Plâtré, A. appuie sa jambe sur sa béquille. Il a mal, son pied devient bleu, il doit retourner à l’hôpital pour la troisième fois. Il doit se faire mettre une plaque. Fracture de la malléole. Pour lui, la version de La Montagne et de la police sont mensongère. « Je n’ai jamais trébuché, ce sont les policiers qui m’ont cassé le pied. Je reconnais être en plein trafic lorsqu’il m’interpelle. Je reconnais avoir couru quand je les ai vus. Mais je reconnais avoir été frappé et m’être fait casser le pied par la police. Je connais parfaitement le visage de l’homme qui m’a fait ça. » A. raconte alors sa garde à vue, tordu de douleur avec ce pied qui enfle à vue d’œil. Il réclame un médecin, qui mettra plus de 5 heures à arriver et qui ordonne son hospitalisation. On lui explique qu’il doit être opéré. Qu’il faut vite le soigner, mais qu’après l’opération il sera déféré devant le parquet. Le jeune homme a la rage. Il publie dans sa story une photo de son pied sur son lit d’hôpital, il dénonce les violences qu’il a subies et déverse sa colère contre la police en les insultant et parlant de retour de flammes. (Image que nous nous sommes procurée). Alors qu’il est encore à l’hôpital, certains de ses amis commencent à brûler des poubelles. Ils sont une quinzaine de jeunes. Deux voitures seront brûlées aussi. A. quant à lui, fugue de l’hôpital et rentre chez ses parents dans le quartier Delille où ils habitent désormais. Il ne veut pas être déféré. A 6 heures du matin, la police vient le chercher. S’en suivront 30 heures de garde à vue, et une comparution immédiate qui le condamnera à un mois de foyer pour le trafic de stupéfiant. « Je vais porter plainte, évidemment, car à cause de mon pied, je ne peux plus commencer ma formation. J’ai demandé à mes parents de porter plainte avec moi. » A. en veut aussi aux journalistes qui ont écrit des choses sans les vérifier et il explique qu’il devra avoir une plaque dans le pied à vie, un handicap permanent.

Version des habitants

Alors que La Montagne et France 3 titraient que le quartier avait vécu une nuit de tension, les habitants ne disent pas la même chose. Certains n’ont rien entendu. D’autres ont jeté un œil par la fenêtre et ont vu des gyrophares. « Non, je n’ai pas eu peur, la police est tout le temps dans le quartier. Ce qui est agaçant quand on sait que les plus gros trafics de drogue se passent à Chamalières, mais nous vivons avec des gyrophares qui éclairent nos intérieurs… » s’amuse une maman. D’autres n’ont même pas été réveillés. Et puis, certains sont descendus voir. « Ce qui n’est pas normal, c’est qu’on paie des gens, des éducateurs pour occuper ces jeunes, les sortir de ces trafics de cannabis. Ils sont où à ce moment-là ? Ce sont nous, les papas du quartier qui sommes allés les raisonner. On leur a dit de rentrer chez eux, que ça ne servait à rien. » Pour les habitants, un article comme celui de La Montagne n’a aucune vertu. « Il stigmatise encore un peu plus notre quartier, il divise encore plus les jeunes et la police. Ce qu’il faut désormais, c’est parler des violences que subissent nos jeunes, violences sociales, violences policières. Un journaliste peut dénoncer, mais il doit expliquer, essayer de comprendre, non ? Là, que ressort-il de ce genre de papier ? Que notre quartier craint? Que nos jeunes sont violents? En plus, La montagne titre quelques jours plus tard « Doit-on armer la police? Ils sont en dehors de la réalité…En même temps, ils ne pouvaient pas avoir notre version, car ici les médias ne sont pas les bienvenus, sauf vous, car ils ont fait trop de mal à notre image… »

Pour conclure, nous ne disons pas ici que les versions que nous avons récoltées sont les bonnes. Un journaliste n’est pas juge, ni avocat. Mais, nous considérons que notre métier est au moins de donner autant de poids à la parole des jeunes des quartiers que celle de la police. Nous estimons aussi que notre métier n’est pas d’alimenter ou de régler les tensions qu’il existe déjà entre police et quartiers, notre métier est de comprendre et ainsi de poser des questions : Pourquoi la police est-elle autant haïe dans les quartiers ? Pourquoi si les faits sont avérés, un policier peut-il handicaper à vie un jeune ? Pourquoi les jeunes ont-ils exprimé leur colère en brûlant les poubelles de leur quartier ? Pourquoi les éducateurs n’étaient pas sur place, selon les jeunes et les habitants pour apaiser les choses ? Pourquoi les journalistes se sont -ils précipités à balancer une information à moitié vérifiée ? Pourquoi Police et journaliste sont-ils autant détestés dans les quartiers nord de Clermont ?

Une enquête d’Avril Dutheil et Eloïse Lebourg

Nos actionnaires, c'est vous.

Aidez-nous à rester gratuit, indépendant et sans pub :

1 réflexion sur “Et si les incidents à Croix-de-neyrat ne s’étaient pas passés comme la presse locale les a racontés ?”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

nos derniers articles
Cet article vous a plu ?

Soutenez le Cactus !

Le journalisme a un coût, et le Cactus dépend de vous pour sa survie. Il suffit d’un clic pour soutenir la presse indépendante de votre région. Tous les dons sont déductibles de vos impôts à hauteur de 66% : un don de 50€ ne vous coûte ainsi que 17€.