Pornocriminalité et prostitution : constats et perspectives féministes

Les chiffres et données de la prostitution et de l’industrie du porno frappent et questionnent. Hier, Magali Gallais (adjointe au maire en charge de l’Égalité) et Céline Piques (membre d’Osez le féminisme et du Haut Conseil à l’Égalité) ont abordé ces sujets depuis l’espace Jean Richepin de Clermont pour mettre en lumière des situations alarmantes et proposer des axes de bataille.

Dans la salle, presque toutes les chaises sont occupées. Invitées d’Osez le féminisme 63, Magali Gallais, adjointe en charge de l’Égalité et engagée dans plusieurs combats contre les violences sexistes et sexuelles sur le territoire est aux côtés de Céline Piques, membre de la Commission Violences du Haut Conseil à l’Égalité. Avant d’entamer la discussion avec le public, les deux femmes, chiffres à l’appui, dressent un constat alarmant.

Pas qu’ailleurs

Avec la loi pour « l’égalité réelle » du 4 août 2014, Magali Gallais a sauté à pieds joints dans la question de la prostitution. Le texte prévoit notamment que les collectivités mettent en œuvre des mesures spécifiques pour plus d’égalité entre les femmes et les hommes et doit favoriser les actions contre le système prostitutionnel. C’est dans ce contexte que des premiers travaux ont été effectués sur le territoire en vue d’établir un diagnostic. L’élue rappelle quelques chiffres, obtenus grâce au soutien de l’association d’accompagnement des personnes en situation ou en danger de prostitution L’Amicale du Nid. « C’est important d’objectiver les choses, de donner les chiffres. », soutient Magali.

En France, 80% des personnes qui se prostituent sont des femmes et des fillettes parmi lesquelles les ¾ ont entre 13 et 25 ans. Une majorité des femmes sont étrangères, en provenance entre autres d’Europe de l’est, d’Afrique Subsaharienne ou d’Asie.

Sur le territoire de la grande métropole, 115 personnes en situation de prositution avérée ont été repérées. 659 annonces de prostitution apparaissent également sur le net. Dans les deux cas, 70% des personnes en situation de prostitution sont des femmes. « Ce qui est très préocupant, c’est que 30% de ces femmes ont entre 18 et 25 ans. 9% sont mineures. », s’inquiète l’élue.

Précarité et nouveaux enjeux

Autre réalité mise en lumière, 89% des personnes sont précaires, sans emploi ou sans ressources. Ainsi, les proxénètes sont des partenaires ou des membres du crime organisé. La prostitution elle, a lieu dans des établissement de loisirs, hôtels, chambres… Elle se cache. « À Clermont-Ferrand et ses alentours, on ne voit plus trop la prostitution même si elle est là. Les réseaux internet compliquent énormément la chose. », rappelle Magali Gallais. L’élue pointe également des évolutions. Elle parle de « michtonage », soit le fait d’avoir recours à une pratique sexuelle pour une contrepartie non financière. La période du Covid a également fait exploser la prostitution étudiante.

« Comment parler de liberté de choix comme le font certains et certaines dans une société où la précarité, les violences, les guerres, jettent des femmes, des hommes, des enfants sur les routes ? De quelle liberté parle-t-on quand un rapport sexuel entre personnes est tariffé, quand le plaisir de l’un repose sur la soumission de l’autre, quand l’un commande et l’autre exécute, quand les fantasmes de celui qui paye dictent les règles. », s’indigne cette dernière.  

Aller plus loin

En 2016, la mise en application de la loi abolitionniste “Olivier – Coutelle” permet de condamner les proxénètes et les clients et d’accompagner les victimes. Elle confère le statut de victime aux prostituées pour la première fois. Mais pour les deux intervenantes, il faut aller encore plus loin. « Dans la rue ou sur internet, cachées pas cachées, les violences, elles sont dans le lit. », indique Céline Piques.  

Parmi les solutions évoquées, multiplier les lieux d’écoute et d’aide comme la nouvelle cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles ouverte à l’UCA. L’éducation scolaire également avec une sensibilisation plus complète et régulière face à ces enjeux. Un meilleur parcours de sortie de la prostitution enfin alors que les moyens alloués sont bien trop faibles actuellement.

Pratiques criminelles

La marchandisation du corps, c’est ce qui lie les deux sujets abordés ce soir-là. Elle est présente dans la prostitution comme dans la pornocriminalité.  Céline Piques commence par affirmer : « Il n’y a pas de porno amateur, toutes ces femmes ont été recrutées. ».

Le stratagème est souvent le même. Le faux compte d’une femme est créé. Cette dernière « aide » d’autres femmes sur les réseaux sociaux. Elles sont vulnérables. On les met en confiance. Le premier rendez-vous est un piège. L’homme derrière l’écran commet un « viol d’abattage » pour casser sa victime. Celle-ci entre ensuite dans un engrenage car elle est toujours face aux mêmes problèmes qu’elle rencontrait au départ. Vient alors la proposition des tournages.

On parle ensuite de séquestration. Avec le site Jacquie et Michel, il y a les hangars, la palette au centre, une femme posée dessus et des dizaines d’hommes qui abusent d’elle. L’humiliation et les insultes.

Le problème est général. 88% des vidéos pornos présentes sur les plus grandes plateformes contiennent de la violence physique ou sexuelle. Etouffement, étranglement… « Ces femmes sont payées pour être torturées donc on n’est pas dans le fantasme consenti. », rappelle Céline Piques. Cette dernière ajoute que 9800 vidéos comprenant le hashtag « torture » sont disponibles sur la plateforme Pornhub. « Il faut le dire, c’est important, les mots-clés qui marchent le plus ont attrait à la pédocriminalité c’est Teen (adolescentes) ou Schoolgirl (écolières), il y a des fantasmes familiaux, des « Papa baise sa fille », c’est une apologie de la pédocriminalité. », ajoute-t-elle.

Quelle vision du sexe et de la femme ?

Les intervenantes le répètent tout au long de leur prise de parole : le choix des mots est important. « Il y a une différence entre crime passionnel et féminicide, entre escort ou prostitution. Ce n’est pas du cinéma car les actes de violences ne sont pas simulés. », explique Céline Piques.  

Faute d’une véritable éducation à la vie sexuelle et affective accessible, ces vidéos pornographiques entraînent les adolescents et adolescentes à banaliser des violences sexistes et sexuelles, la haine des femmes, la haine raciale. Selon l’étude de “Mémoire traumatique et victimologie” de février 2021, à cause de la pornographie, les jeunes sont la tranche d’âge qui adhère le plus à la culture du viol. « Nous n’arriverons pas à faire baisser les chiffres des violences sexistes et sexuelles tant que les jeunes regarderont ce type de pornographie qui véhicule la culture du viol. », continue l’intervenante.

Le plus grand procès de l’histoire

Le gouvernement a annoncé dans son « plan des 100 jours » un plan sur le numérique qui inclut une nouvelle loi sur le contrôle d’âge pour l’accès aux sites pornographiques. L’ARCOM serait assermentée pour constater et ordonner le blocage des sites ce qui pourrait permettre d’être plus efficace et rapide. Cela fait 3 ans qu’une loi sur l’interdiction des sites pour les mineur.e.s a été votée et n’est toujours pas appliquée. 

Les collectifs, eux, réagissent. « On est en train de faire un truc de dingue. », lance Céline Piques. « Nous essayons de partir de la parole des femmes concernées et on les accompagne en se portant partie civile. On parle ici de viol aggravé, de proxénétisme aggravé, de traite des êtres humains, d’actes de torture. Ça va être le plus grand procès de l’histoire des violences sexistes et sexuelles en France, impliquant des actrices mais aussi 20 producteurs et acteurs ».

La publication du rapport du Sénat « l’Enfer du décor » le 28 septembre 2022, auquel Osez le Féminisme a contribué, sur l’industrie pornocriminelle a en effet permis de marquer un tournant dans la prise de conscience de la société sur ce qui se cache derrière l’appellation de « films pornographiques ». Les procès des affaires dites « Pascal OP – French Bukkake» et “Jacquie et Michel” initiés par Osez le Féminisme !, Les Effronté-es et le Mouvement du Nid, ont permis de mettre en examen 15 producteurs et “acteurs”. Le procès devrait avoir lieu en 2024.

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