La vie parfois nous joue de drôles de tours. Roanne est une ville dans laquelle j’ai passé quelques grandes vacances, avec ma cousine qui y vivait. Nous allions à la piscine à pieds et on s’enfermait dans sa chambre pour parler beaux garçons et séries télé.
Depuis, Valentine ma cousine a été foudroyée par une leucémie. J’ai continué ma vie de façon un peu bancale, sans jamais remettre les pieds dans cette ville. En la fuyant un peu, je crois.
Mais, 10 ans après le départ de ma cousine chérie, j’ai répondu sans trop y croire à l’annonce de la résidence de journalisme. Après une entretien, un appel m’a confirmé que c’était moi qui étais prise pour cette résidence. Je ne savais pas trop si j’étais heureuse de cette nouvelle. Certes, j’adore l’éducation aux médias et je venais de réaliser une formation sur l’éducation populaire, mais j’avais peur des fantômes.
La vie me faisait dire qu’il était l’heure de ne plus avoir peur.
Alors, chaque semaine, je rencontrais les secondes de Jean Puy pour des débats endiablés, les collégiens de Jules Ferry avec leurs petits camarades de l’IME Le Phénix de Roanne pour la réalisation d’un journal, les 1eres option Histoire-Géo, géopolitique, et Sciences Politiques du lycée Saint-Paul. Ou encore les secondes du lycée pro Carnot.
Le soir, je retrouvais les loulous du centre social Condorcet, dans le quartier du parc, puis je rejoignais un petit groupe au Centre Jeunesse Travailleurs Pierre Beregovoy.
Mon année a été rythmée ainsi, par ces rendez-vous hebdomadaires. Une année à réfléchir sur le journalisme, à en faire, à en débattre, à s’en agacer, à beaucoup partager et rire surtout.
Qu’est-ce que je me suis marrée…
L’adolescence est la période la plus créatrice qu’il soit, la plus incroyable. J’ai alors désamorcé des disputes, entendu les chagrins d’amour, jamais répété les secrets.
On ne peut pas partager sa passion sans avoir créé le lien, sans avoir filé sa confiance et reçu celle de l’autre.
Petit à petit, semaine après semaine, on a fini chacun par adorer nos rendez-vous. J’ai même eu droit à des photos sur Bereal, à des selfies, à des cadeaux…
Cette résidence m’a permis de parcourir Roanne dans tous les sens, son centre beau, historique, nature, ses quartiers populaires qui se débattent comme ils peuvent, ses lycées privés, ses lycées publics.
J’ai affronté les fantômes, fait le deuil du drame de ma vie, pu en rediscuter, lâcher cette culpabilité d’être encore vivante, profité de la ville, de ses bars, de ses pique-niques, de sa piscine entre midi et deux, et de sa piste d’athlétisme inaugurée par Marie-Jo Pérec, il paraît.
J’ai entendu les rumeurs, l’histoire, les maires connus, les moins connus, le lien avec le foot de Saint-Etienne, et aussi appris que Roanne avait une équipe de basket connue…
Le collège Jules Ferry
Chaque jeudi, je commençais par me rendre à Jules Ferry. Grâce à des animateurs des centres sociaux Bourgogne et Marceau-Mulsant, des activités sont mises en place lors de la pause méridienne. L’atelier journal était donc proposé. Alice, Pauline, Jules, Raphaël et quelques autres me regardaient arriver. La salle était souvent déjà ouverte. A l’intérieur les jeunes de l’IME le Phénix de Roanne accompagnés de Chloé, et parfois de Nicolas, nous attendaient. Le projet mêlait les jeunes collégiens et les jeunes de l’IME, on travaillait par binôme. Le premier trimestre, on a réalisé une émission radio, enregistrée un jour de grève. Nous n’avons eu aucun succès. Aucun enseignant ne s’est déplacé.
Ensuite, nous devions réaliser un journal. À mon départ, il n’était toujours pas terminé. Aucun soutien de la structure scolaire ne nous a été accordé. Aucun enseignant même de français n’est passé durant l’année scolaire. Je me retrouvais souvent seule avec les animateurs, Chloé, en service civique, mais très professionnelle. Nicolas, l’enseignant référent de l’IME ne pouvait venir qu’une fois sur deux. Certains élèves arrivaient à midi, d’autres à douze heures trente, et certains repartaient à 13H ou 13H30.
Etait-ce un échec pour autant ? Doit-on mesurer la réussite à un produit final ?
Je me rappelle la joie d’un des jeunes de l’IME quand il est revenu de reportage avec l’équipe de futsal, et la pertinence de ses questions.
Je me rappelle la joie des jeunes quand notre émission fut enregistrée, devant les quelques élèves venus malgré la grève et qui ont applaudi pendant quelques minutes. Il fallait les voir les loulous, montrer aux plus grands comment fonctionne la console.
Je me rappelle ce jeune de l’IME demander à un jeune collégien avec lequel il fait le binôme : « On est copains? » Et l’autre de répondre : « Ben évidemment. » Et le sourire partagé des deux gamins.
Il se passe tant de choses dans ces ateliers : Prendre la parole, écrire, travailler ensemble, s’écouter, argumenter.
Le Lycée Jean Puy
C’est ce que l’on a vécu à Jean puy, le lycée public du centre-ville. Thibault, le professeur de français, m’a juste dit de faire ce que je voulais. Il se fichait du rendu. Il voulait nourrir la tête de ses gosses. J’ai alors appliqué l’éducation populaire. Et on a fait un travail de plusieurs mois sur cette question « Et l’école, c’est bien ou pas ? »
On partait du postulat que les jeunes n’allaient pas très bien : Dépression, angoisse, pression des notes, des parents, du futur, de l’écologie. Et on s’est demandé si un système plus laxiste leur permettrait un meilleur épanouissement, et donc libération de la parole, etc.
2 heures par semaine, la classe devenait un laboratoire qui commençait par un débat, des discussions sans fin, et des réflexions sur le journalisme, l’école, le féminisme, le patriarcat, l’amour, l’adolescence, l’actualité…
Comment sait-on si on a réussi ? Au changement de ses gamins, au changement de leur lien entre eux, à leurs réflexions, à leurs questionnements.
Et parce qu’on leur a demandé : « Alors, la venue d’Eloïse pendant toute cette année, vous en avez pensé quoi ? »
C’était anonyme pour ceux qui le souhaitaient, il fallait des arguments bien sûr, c’est ce que nous avions appris. Voici un exemple :
Le centre social Condorcet
Ensuite, je me rendais au centre social Condorcet. Là, c’est après la fin de cours, les enfants sont plus jeunes, collégiens majoritairement. Maxime et Jules, les éducateurs les connaissent très bien et savent gérer quand parfois ils deviennent turbulents.
Aussi, je ne peux pas gérer de la même façon que dans un cadre scolaire. On travaille sur leur vision de leur propre quartier. Avec Maxime, on s’est longtemps posé la question de savoir si justement on les sortait du quartier ou si on les faisait travailler dessus.
Les jeunes ont décidé pour nous. Ils allaient nous montrer leur quartier, loin des clichés qui le rendaient dangereux voire impénétrables pour ceux qui n’y vivent pas. Ils m’ont fait visiter leur territoire : Là, le marchand de bonbons, ici, le terrain de foot. On passe vite devant l’école, on voit les darons par les fenêtres, on salue les anciens, les plus grands taquinent. On interviewe les mamans, les éducateurs, on raconte la solidarité, la précarité, le manque de commerces, et de boulots.
Mais, les jeunes se marrent car ici, tout le monde se connaît, et les guerres n’existent presque jamais, malgré les 21 nationalités qui vivent ici. La violence, malgré tout, il ne faut pas l’éluder, elle existe, intra-familiale, mais aussi entre bandes.
Maxime a déjà dû intervenir. L’autre soir, ce sont des coups de fusil qui ont résonné. un règlement de compte. Les jeunes n’ont même pas vraiment eu peur. Ici, au centre, ils ont l’impression de ne rien risquer. Lors des dernières émeutes après la mort de Nahel, leur centre a brûlé. Je ne les ai pas revus depuis. Mais, je me suis demandé ce que ces gosses de 12/13 ans en avaient pensé de ces bêtises de grands. Car, eux ils aimaient bien venir faire leurs devoirs, jouer au tennis de table, raconter leur journée et faire du journalisme.
D’ailleurs, voici leur émission :
Le FJT Pierre Bérégovoy
Il est tard quand je sors du centre social, souvent il fait nuit. Mais, je n’ai pas fini ma journée, vers 20H, j’ai rendez-vous avec les jeunes du FJT. Nicolas, responsable de la vie collective et du pôle éducation du CJPB, m’accueille toujours avec du perrier, il m’attend en fumant sa clope. On a une salle réservée. Le gardien de nuit est à son poste. On part faire du micro-trottoir, on apprend le montage. On sort la console, et puis, un jour, on décide de créer un jeu qui raconte les lignes éditoriales et la hiérarchisation de l’information.
Piochez donc une carte parmi les 5 : Vous êtes rédacteur en chef d’un journal féministe, pro-gouvernement, d’extrême-droite, d’extrême-gauche, ou écolo. Vous verrez, le résultat ne sera pas le même. Et pourtant sont distribuées les mêmes informations à diffuser dans votre journal. Vous avez Une heure, pour écrire un flash de 3 minutes, et vous passez au micro !
Ici, les 5 infos sont passées à la moulinette d’un journal d’extrême-gauche, puis pro-gouvernement, et enfin écolo !
(Merci à tous ceux qui ont bien voulu participer à ce jeu présenté à la médiathèque de Roanne!)
Depuis, à Roanne, plus personne ne parle….d’objectivité journalistique !
Le Lycée Saint-Paul
Le vendredi, j’ai rendez-vous avec le lycée Saint-Paul, avec les premières. L’objectif est de réaliser sous forme de podcast, une partie du programme sur les médias justement.
Ces jeunes ont adoré débattre, réfléchir, aller dans les rues faire des micros-trottoirs pour questionner la théorie du complot, les lanceurs d’alerte et leur statut, l’affaire Dreyfus, les nouvelles formes d’information…L’émission dure évidemment très longtemps puisque chaque groupe est passé. Certains élèves timides se sont révélés, et une cohésion de groupe s’est formée alors que la classe ne se croise pas tant que cela avec le jeu des options.
Voici un extrait de leur émission.
Le Lycée Sampaix
Direction Sampaix, un des lycées professionnels de Roanne. Avec l’aide de Lin Wang, designer graphique, j’ai eu l’idée de créer un jeu de rôles pour dénoncer la diffamation, la violation de vie privée, etc. Les jeunes ont donc inventé un scénario, avec des personnages. Le but est de résoudre une enquête : Comment un serpent s’est-il retrouvé au CDI du lycée ?
Ce sont les élèves du lycée Saint-Paul qui ont bien voulu jouer le jeu ! Et ils ont adoré ! Et les jeunes secondes en lycée pro se sont sentis si valorisés ! Ce sont eux qui donnaient les indices, qui guidaient les jeunes journalistes en herbe à résoudre l’enquête.
Nous avons manqué d’espace, puisque nous nous sommes retrouvés dans une petite pièce de la médiathèque, alors que nous étions plus de 60 pour faire le jeu ! Ce qui a un peu gâché l’ambiance…
Centre de détention de Roanne
Enfin, j’ai terminé la résidence en prison…Enfin, pas à proprement parler. Mais pendant une semaine, j’ai pu installer mon studio radio à la prison de Roanne. Avec un public mixte qui purge de longues peines. L’expérience a été incroyable. C’est éprouvant l’enfermement, flippant un peu. Surtout toute une semaine. Mais, j’ai créé des liens si forts avec les détenus que l’ambiance était détendue, j’en oubliais les barreaux. A la prison de Roanne, les salariés sont très accueillants et bienveillants. Ils venaient essayer les micros etc.
L’émission a été enregistrée en fin de semaine. Elle est assez longue. Mais voici deux extraits :
Aline et Mylène racontent leur journée en détention.
Et l’interview préparée par les jeunes du centre social Condorcet. En effet, la prison se situe dans leur quartier. Et nous avons réussi à créer du lien entre les jeunes et les détenus par le biais de cette émission.
Voilà, l’histoire de ma résidence à Roanne, qui se poursuivra cette année. Avec de nouveaux publics, de nouveaux challenges. De nouvelles histoires à écrire …
Merci à cette résidence d’exister, initiée par la CTEAC de Roannais Agglomération et soutenu par Roannais Agglomération, la ville de Roanne, l’Etat (DRAC AURA, académie de Lyon), la région AURA et le département de la Loire.
Merci à Véronique Coulon-Sow, véritable pilier, et salariée « Culture » de Roannais Agglomération.
Merci aux enseignants et encadrants qui m’ont fait confiance.
Merci aux petits, moins petits qui ont bien voulu assister aux ateliers.
Et comme d’hab, merci à la vie !
2 réflexions sur “Résidence à Roanne : Une année d’expériences.”
Bonjour,
Lors de la projection du film « Média crash » au cinéma Renoir à Roanne en janvier, vous avez abordé votre travail en résidence Education aux médias et à l’information. Après avoir lu le compte-rendu de vos interventions, je pense que les enfants et jeunes roannais avec qui vous avez travaillé pourraient être intéressés par un évènement qui aura lieu le 6 juin à Roanne et qui est organisée par le collectif « Citoyens pour le climat en Roannais », le Cercle Condorcet et la Ligue de l’enseignement. Il s’agit d’une conférence-débat d’une de vos collègues, Salomé Saqué.
Je souhaiterais vous envoyer par mail l’affiche de l’évènement afin que vous puissiez à votre tour l’envoyer aux personnes concernées, si vous en êtes d’accord bien entendu.
Merci d’avance pour votre réponse.
Evelyne Granchamp (membre du collectif climat)
bonjour,
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