Hommage à Samir, rencontré en prison

parolesdedetenus10.jpg
A partir de 2016, je suis allée au centre de détention de Riom afin d'écrire des papiers avec les détenus. Le temps, la famille, l'amour, l'amitié, les regrets, nous parlions de tout et avions alors ouvert un blog. Nous étions assez fiers d'avoir créé cette passerelle entre la prison et l'extérieur. Un des détenus, Samir, ne loupait jamais mon atelier, il était toujours de bonne humeur et avait soif de justice. Il est celui avec lequel j'ai le plus partagé. Au point qu'à sa sortie, il m'a recontactée. Il voulait qu'on fasse un film ensemble. Les années sont passées. j'avais des nouvelles épisodiquement. Jusqu'à ce week-end. Son frère m'apprenait que Samir était mort.

Le son des serrures, des jeux de clefs. La peur incompréhensible de rester coincée. Il faut tout laisser dans un casier, son téléphone, son identité. Puis il faut passer les porters lourdes, les unes après les autres, entourée d’agents en uniforme. Mon cours se passait de l’autre côté de la cour.

Durant mon temps de passage à l’extérieur, je prenais de grandes bouffées d’air. J’avais peur de manquer. Les cris, les sifflements émanant des fenêtres des cellules accompagnaient mes pas. J’en avais pris l’habitude. Les détenus aussi. j’étais la journaliste qui venait les faire écrire. Il n’y avait pas toujours assez de place pour tous. Je ne pouvais accueillir que 10 hommes dans ma salle. Une liste d’attente avait été mise en place. Mon atelier avait du succès. Et chacun revenait d’une semaine sur l’autre.

Atelier d’écriture

Parler, écrire, échanger sur les différentes thématiques de la vie. Au fur et à mesure des mois, je savais pourquoi chacun était enfermé, et nous réussissions à gérer nos différences. Au milieu de mon groupe, Samir. Le jeune homme était beau, souriant. Il était lumière dans cette pénombre. Samir prenait la parole, écoutait celle des autres, défendait toujours le plus faible. C’était un gamin des quartiers populaires parisiens, il avait morflé. Très tôt, il avait été influencé par les caïds. et puis, pas de chance, il avait trouvé un magot dans une cave, il racontait avec sourire qu’il avait tout dépensé en bonbons à l’époque. mais il apprend l’argent facile. On lui demande de surveiller le quartier, de prévenir si la police débarque.

La vie en banlieue

Il commence à filer du mauvais coton. A ne plus aller à l’école. Il me parle de son appendicite. Et son père qui tente de le remettre dans le droit chemin en l’amenant travailler en Algérie. IL devait fabriquer des maisons. Le gosse finit par s’enfuir. c’est trop dur. Il est trop jeune. Il rentre dans sa banlieue. Les années passent, les trafics aussi.

Samir devient un « jeune délinquant ». Il n’est pas méchant. Trop gentil même peut-être pour ce milieu-là. Mais pas dupe. Il politise son combat. Il parle des quartiers laissés à l’abandon, des salaires trop bas, du racisme. Alors, il se réfugie dans ce monde parallèle où « tu peux gagner un SMIC en une journée ». Il se dit que cette période ne durera pas, il veut aider sa mère, ses frères. Le gamin s’est fait virer de l’école. Il ne sait pas trop de quoi sera fait son avenir. Mais il emplit son quotidien d’amour. Il tombe amoureux, il a un fils. Il déconne encore un peu. Alors, il arrive en prison.

Samir, je ne l’ai vu qu’enfermé. Mais tellement libre. Un jour, un gardien me fait une remarque déplacée et me drague ouvertement et lourdement devant les détenus. Samir prend ma défense. « On respecte les femmes. Tu ne parles pas comme ça à Eloïse. » Mais en prison, le gardien a toujours raison. Samir partira à l’isolement. Quand je le revois, je m’excuse. « T’inquiète pas, je préfère l’isolement que de fermer ma gueule devant cette pourriture. »

Un juste en prison

Samir parle de nos ateliers à sa famille. Son frère me contacte par les réseaux sociaux. Samir va bientôt sortir, il n’a pas pris beaucoup. Il parle des ateliers à tous les détenus. Il en fait une publicité presque mensongère. Je ne suis pas sûre qu’il ait loupé un seul mardi. En revanche, il a des principes : « Faut pas de pointu ici. On ne touche pas ni les femmes ni les enfants. » Il sympathise avec Alphonse, un vrai gangster qui pillait les retraits de billets avec son gang « la souris verte ».

Il parle avec M. qui lui a paniqué pendant un cambriolage et a blessé une personne. Il tente de comprendre Antoine qui s’est jeté d’un pont après avoir pété un plomb et poursuivi sa nana avec un couteau. Samir n’est pas fait pour ce monde de violences, mais il doit y faire face. « Je suis né au mauvais endroit. Ma vie aurait été différente si j’étais né à la campagne. Mais, les arabes, on les fait naître en banlieue et on attise la colère. »

Chacun sa caste

Samir se sentait piégé dans cette vie-là. Il aspirait au bon. Je le sais, car alors que tout nous séparait, nous étions devenus amis. Je n’ai jamais participé ni à une course-poursuite contre les flics, ni à un trafic de drogue, je suis née à la campagne, je n’aurais jamais dû croiser Samir. La vie ne permet pas de croiser les gens si différents. Chacun dans sa case. Chacun sa caste.

Et puis Samir est sorti. Et il continuait à m’écrire. IL voulait que l’on se voie pour faire un film, raconter les pièges auxquels on ne peut échapper, quand on naît « comme lui ». Il voulait raconter la prison aussi, l’enfermement, les gardiens, les co-détenus, la drogue et les téléphones. Samir a manqué ensuite à mes ateliers, même les autres le regrettaient. Il était le juste.

Quartier des Minguettes à Lyon

Samir est ensuite parti rejoindre sa mère, au quartier des Minguettes à Lyon. Depuis janvier 2021, complètement sorti de la drogue, il construisait une association pour les gens du quartier, pour les jeunes. Alors même qu’il m’avait dit un jour « Il te suffit d’un jour de prison pour être en vrai condamné à perpétuité. » Il croyait en la rédemption, mais peu à la société du pardon.

Mort de deux balles dans le dos

Cet été, Samir est intervenu dans une bagarre des jeunes du quartier, il a voulu calmer le jeu. Il est mort de deux balles dans le dos. Samir avait 33 ans. Et sa vie commençait enfin à être belle. Il avait réussi ce que peu réussissent : Reconstruire après la prison. Il est mort sous les yeux de sa mère, et son frère a tenté, en vain, de le réanimer.

Samir est mort. Et je me rappelle ses messages sur mon téléphone, et son rire éclatant. Je me rappelle ses milliers de phrases belles à mourir, que vous pourrez retrouver dans les épisodes que je vous laisse ici.

Samir disait qu’avec le bonheur, on n’avait pas le choix. Il avait fait un pacte avec la joie. Elle ne le quittait jamais, sinon, disait-il « ça va me tuer. »

Pacte avec le bonheur

Samir est mort de deux balles dans le dos. Un procès aura lieu pour condamner ses assassins, des jeunes du quartier, paumés et drogués, qui peut-être lui rappelaient lui au même âge. Samir disait que son quartier c’était la jungle, avec des animaux en pire : les humains.

On n’aura pas eu le temps de réaliser notre film et je sais que je ne pourrai le faire avec personne d’autre que lui. Souvent je me disais qu’il fallait que je rappelle Samir, mais que j’avais le temps. Il me paraissait tellement fort qu’il ne pourrait rien lui arriver, c’était sans compter des balles dans le dos.

Samir était à la fois un ami improbable et une source d’inspiration, celui qui me racontait la drogue, les cambriolages, qui me conseillait en film sur les banlieues, qui me défendait contre les méchants. Il avait beau être en prison à notre rencontre, il appartenait aux gentils. Les méchants, il les combattait fermement. Parfois avec violence, il est vrai.

Samir avait fait des conneries sans jamais cesser d’être un mec bien, un enfant aux rires qui prenaient toute la place.

Un procès à venir

Je suis très heureuse et fière d’avoir croisé cet homme-là. Pour la société, il était une racaille, un délinquant. Nous avions ri ensemble de cette définition en parlant des hommes politiques qui étaient tellement pires que les mecs de banlieue.

Pour la société, Samir était le mauvais, la faille, l’erreur. Pour moi, Samir était la bonté, le juste et la joie.

La vie a été généreuse de me le mettre sur mon chemin. Aussi peu de temps, c’est un peu dur. Il me reste ses écrits, les souvenirs et la leçon : Ne jugeons pas les hommes par leur lieu de naissance, leur rêve brisé et leurs erreurs. Jugeons les hommes à leur force de rester bon.

Merci Samir.

Nos actionnaires, c'est vous.

Aidez-nous à rester gratuit, indépendant et sans pub :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

nos derniers articles
Cet article vous a plu ?

Soutenez le Cactus !

Le journalisme a un coût, et le Cactus dépend de vous pour sa survie. Il suffit d’un clic pour soutenir la presse indépendante de votre région. Tous les dons sont déductibles de vos impôts à hauteur de 66% : un don de 50€ ne vous coûte ainsi que 17€.